"Mon premier jeu, mon premier job dans l'industrie au milieu des années 90, c'était après avoir déménagé au Texas, quand j'ai rejoint Millard, Georges Broussard, et les autres - pour travailler sur Duke Nukem 3D". Randy Pitchford, le patron de Gearbox Software, est un gamer, un game designer, et un business man réunis derrière un visage sympathique, et une personnalité volubile. Quand on se met dans la peau du bonhomme, récupérer l'arlésienne parmi les arlésiennes, Duke Nukem Forever, et assumer les risques créatifs et commerciaux qui y sont liés mérite déjà un cigare. Quand on parle en plus du Duke, ça coule de source. Mais le jeu, lui, faut-il y croire, bordel, ou pas ? On en a tâté assez pour se faire un premier avis, alors en attendant de revenir sur l'histoire rocambolesque du titre le plus à la bourre de tous les temps, commençons déjà par là.
Pitchford sait parfaitement où il a mis les pieds. Il connaît 3D Realms, il connaît le personnage de Duke Nukem, il connaît les FPS et leur histoire pour avoir commencé par là et bâti Gearbox sur le genre. Et dans la démo de DNF que nous avons essayée, s'il y a une chose qui apparaît clairement, c'est que l'esprit du personnage et son univers irrévérencieux, politiquement incorrect, à l'humour gras et vulgaire sont bel et bien de retour.
After 12 fucking years, it better be
Autant être clair : quand on n'est pas familier de Duke, l'approche n'est probablement pas la même. Mais lorsqu'on l'est, lorsqu'on a, gravée dans la tête, la voix du Duke lâchant ses vannes de badass mysogine typiquement 80's sur fond de riffs rock FM aussi gras que lui, difficile de ne pas se retrouver instantanément sous le charme à la première scène. Un urinoir à remplir précautionneusement jusqu'à profiter de la fameuse voix caverneuse lâchant sans réserve le soulagement éprouvé avant de quitter les lieux. On est déjà dans le clin d'œil à gogo : les vétérans de Duke 3D se souviendront avec quel émoi on observait alors le reflet pixelisé du Duke dans les miroirs de toilettes dont on pouvait déjà - comble du raffinement technologique d'alors - tirer la chasse. Après ce premier soulagement partagé par Duke comme celui qui l'incarne après 12 ans d'attente, on quitte les toilettes de ce stade pour rejoindre une pièce de briefing occupée par une poignée de bidasses parfaitement crétins. Un tableau Velleda dessiné par un enfant de 12 ans montre un plan d'attaque sans doute élaboré par son frère cadet, auquel on pourra ajouter d'ailleurs ce qu'on veut pour le plaisir au moyen de feutres de couleur, avant de suivre le mouvement pour se rendre compte que ces crétins se font écharper par le boss de Duke Nukem 3D, un cyclope mécanique alien de 12 mètres de haut.
Devastator en main, on circle-straffe comme à l'époque dans la vaste arène, sous la pluie, en lâchant des rafales de roquettes pour abattre le vilain, sans difficulté aucune. Lorsque vient le moment de shooter dans son oeil comme dans un ballon de football américain (et de marquer, bien sûr), alors que la connexion entre ce premier affrontement et les sensations d'alors achève de se faire dans notre tête, la caméra s'éloigne pour révéler un Duke assis peinard chez lui, manette de jeu en mains face à son écran géant, avec une paire de jumelles écolières achevant de lustrer sa virilité, satisfaites de leur prestation. "Et le jeu aussi, Duke, il était... bon ?" demande l'une d'elles. "Ouais, mais après 12 putains d'années, il avait intérêt".
Touche pas à nos gonzesses
C'est donc par une habile mise en abîme que débutera cette nouvelle aventure, dont Randy nous assure qu'elle "est la vision originale de 3D Realms". 12 ans après les événements de Duke Nukem 3D, le blondinet aux Ray Ban est devenu un héros mondial (il a sauvé le monde des aliens, normal), et l'homme le plus riche du monde. Il a son loft de malade, un train de vie de nabab extravagant, le monde entier le kiffe. À commencer par les femmes qui se jettent à ses pieds, prêtes à sucer la moindre parcelle de son corps musculeux. Le pied quoi, mais comme d'hab', ça ne peut pas durer : les aliens sont de retour, et s'ils semblent faire un coup de charme aux politiques en arguant que cette fois, ils viennent en amis, Duke n'est pas dupe, lui, et découvre leur plan bien vite : kidnapper nos femmes pour en faire les mères porteuses d'une nouvelle armée hybride. Rebelotte, et dix de der, Duke rempile pour de bon, cette fois. Non, vraiment, c'est un mec qui l'a déjà vu à trois E3 différents, dont un avant même le changement de millénaire qui vous l'assure : cette fois-ci, c'est la bonne. On aura notre Duke ; mais l'idole des vieux en a-t-il pris un coup, de vieux, ou pas ?
Flashback
Après cette première phase en forme de clin d'œil à la situation bien particulière de DNF dans le paysage vidéoludique d'aujourd'hui, nous sommes passés au 15e niveau du jeu (les deux tiers de l'aventure nous dit-on), au volant d'un 4x4 écrabouillant des flics phacochères dans un canyon. Maniabilité arcade avec turbo et tenue de route binaire associée, la séquence n'avait rien de très surprenant ni de très exaltant. Juste une respiration avant de quitter le véhicule à sec de carburant pour continuer à pieds dans un espace rocailleux un peu plus ouvert, dans lequel les développeurs avaient disposé un peu partout pour les besoins de la démo des ennemis peu résistants et un vaste choix d'armes pour la plupart familières : du shredder (mitrailleuse à triple canon) aux pipe bombs à balancer et détoner au meilleur moment, en passant par le shrink ray rapetissant les ennemis, le railgun qui les fait exploser en gerbe de tripes et de sang, et le classique fusil à pompe avec lequel on obtient le même résultat à courte distance, les classiques sont eux aussi de retour. Il y a ce petit quelque chose des sensations d'origine qui les accompagne, lui aussi : ce feeling un peu rétro, un peu vintage, et immensément bourrin de l'époque, dans lequel on oublie toutes les tendances ballistiques d'aujourd'hui pour du shoot simple, bas du front, sans grandes subtilité. Et le peu qu'on en a joué (la démo n'allait pas plus loin que ce dernier affrontement contre un transport alien qui n'aura pas tourné à l'avantage du Duke) a l'air de fonctionner. On renoue finalement avec des sensations pures, dont le côté passéiste dépassé constitue finalement le charme, à la manière d'un Expandables, aussi familier qu'il est vieillot, tout en ayant bien des difficultés à s'en plaindre puisque c'est finalement ce qu'on en attendait.
Série B ou Z ?
Si ce premier aperçu digne de ce nom aura surtout validé le fait qu'il ne faut pas s'attendre au FPS parfait que 3D Realms a tellement rêvé de sortir qu'il a failli les tuer sans y parvenir, il est encore bien insuffisant pour mesurer pleinement l'intérêt du retour du Duke. Le personnage est mythique, et le capital sympathie immédiatement retrouvé, ça c'est sûr, malgré la réalisation moyenne et les sensations vieillissantes. Reste qu'on nous a promis une aventure assez riche, surtout en vannes de mauvais goût, qui s'accompagnera également d'un multijoueurs encore tenu secret. Et on a bien envie d'y croire car comme Randy qui se refuse à intervenir dans le game design, on a "envie d'y jouer, à ce jeu, depuis le temps qu'on en parle". Car, mine de rien, si on en juge par la tripotée habituelle de FPS qui se prennent au sérieux en Afghanistan, ou ailleurs, le genre a peut-être bien besoin de se faire chatouiller les roubignoles par un Duke aussi irrévérencieux que jamais. Reste savoir si ce sera une hilarante série B ou une décevante série Z dans la longueur, mais quoiqu'il arrive, on le gardera à l'œil avec grand intérêt jusqu'à sa sortie, calée l'année prochaine sur Xbox 360, PlayStation 3 et PC.
Duke is back, cette fois c'est sûr. Ce ne sera probablement pas le jeu qui collera la honte à tous les autres du genre qui ont continué leur route sans lui pendant les 12 ans qu'il a passés sur le bas-côté, mais au final, je suis sorti de cette première prise en mains plutôt satisfait de mes retrouvailles avec le cador des pissotières, l'empereur du one liner, le papy frelaté du mauvais goût : faut dire qu'il m'avait bien manqué. Et c'est déjà pas mal.