Il y a bientôt 10 ans, Arkane Studios donnait avec Dishonored un grand coup de pied dans la fourmilière du FPS en rappelant les plaisirs simples d'une aventure solo ouverte et à la narration soignée. C'est donc peu dire que nous salivions d'avance à l'idée d'enfin pouvoir poser les mains sur Deathloop et sa singulière mécanique de boucles. Après avoir passé quelques heures dans la peau (et le blouson) du pauvre Colt Vahn, on peut enfin se dire que cette interminable attente en valait la peine.
Depuis son annonce lors d'un E3 2019 physique et donc forcément lointain, le nouveau jeu des lyonnais d'Arkane n'a pas manqué de faire saliver d'envie un bonne partie de la rédaction de Gameblog. Du moins... ceux qui ont un certain sens du style. Pourtant, l'arrivée sur l'île n'est franchement pas des plus accueillantes : à peine a-t-on eu le temps de commencer l'aventure que notre malheureux protagoniste se voit sommairement exécuté, et sommé de remettre un peu d'ordre dans sa mémoire trouée. En l'espace d'un menu et de quelques secondes seulement, les bases sont ainsi posées : pour espérer sortir le gars Colt d'une boucle temporelle vicieuse, il va falloir se retrousser les manches, et passer plus d'une fois par le fil de l'épée. Pas grave : on s'habitue.
Sur la plage abandonnée
Ceux qui ont suivi de près l'actualité de Deathloop le savent déjà : l'aventure commence sur une plage rocheuse, alors que notre héros amnésique vient d'oublier jusqu'à son patronyme, et repars pour ainsi dire de zéro, avec son verbe et son couteau. Dès les premières minutes, le ton est donné : malgré les inscriptions fantomatiques qui tentent de l'orienter une fois encore sur la marche à suivre, Colt n'est pas du genre à se laisser dicter sa conduite, et l'on découvre un personnage aux interrogations nombreuses, au caractère affirmé et au langage ô combien fleuri, interprété avec une étourdissante justesse par Jason E. Kelley (le Doomslayer de DOOM Eternal).
Très vite, c'est à travers le haut-parleur de la DualSense qu'éclate la voix de Julianna, l'antagoniste moqueuse que l'on apercevait quelques minutes auparavant une machette à la main. En Némésis affirmée, elle n'aura de cesse de jouer avec nos nerfs en nous prenant de vitesse sur tous les plans. Un émetteur dans la main et une arme dans l'autre, nous voici donc lancé à l'assaut de l'île de Blackreef, une aire de jeu découpée en zones géographiques et temporelles qui prend d'abord le soin de nous prendre par la main pour comprendre les (nombreuses) règles qui régissent cet univers qui semble resté délicieusement figé dans les années 1970.
Corvoltige
C'est peu dire que les premières heures de Deathloop ne ressemblent pas encore à la chasse à l'homme (et à la femme) teasée de longue date par l'éditeur Bethesda : avant de pouvoir se lancer à l'assaut des huit Visionnaires et espérer rompre un cycle infernal, Colt devra en passer par une phase tutorielle qui a tendance à s'étirer en longueur. Le temps d'une première boucle où les menus s'enchaînent à en perdre la tête, les développeurs déroulent une à une leurs mécaniques, qui s'entendent comme une version plus bi-fluorée de la formule Dishonored, excusez du peu.
Chaque partie commencera donc invariablement devant le même lever de soleil, et s'il sera rapidement possible d'accumuler quelques bonus pour rapidement se remettre en selle, Colt devra en repasser par les mêmes étapes préparatoires avant de choisir dans quelle direction poursuivre son entreprise meurtrière. L'avantage, c'est qu'il conserve à chaque boucle les informations accumulées précédemment, et le menu principal liste ainsi les nombreuses pistes à suivre pour structurer sa partie, et découvrir une à une les routines bien établies de l'octuor de salopards à défaire. Peu à peu, on découvre les avantages de chaque Trinket, ces capacités spéciales qui proposent de se téléporter ou de relier des ennemis par un lien invisible qui permet d'en faire tomber plusieurs avec un seul headshot bien placé, et si l'aventure n'a rien d'un rogue-like, chaque run sera forcément différent, mais s'intègre dans un travail d'enquête de longue haleine, qui nécessite parfois de ressortir une bonne vieille feuille pour prendre des notes... Un vrai régal, aussi old-school que valorisant.
Fenêtre sur court-métrage
Peu importe finalement le terrain de jeu qui sied le mieux à votre session de tir matinale, puisque chaque environnement parcouru transpire littéralement la classe, à chaque heure du jour ou de la nuit. Inspiré par une décennie singulière et empreinte de design, Arkane Lyon semble avoir voulu témoigner de tout son savoir-faire dans chaque aspect de Blackreef : des cabines téléphoniques rondouillardes aux villas à flanc de falaise en passant par une décoration intérieure qui s'entend comme une véritable machine à remonter le temps, chaque zone est l'occasion d'en prendre plein les yeux, tout en profitant d'une fluidité et d'une lisibilité permanente. Car si Deathloop propose à l'instar des AAA déjà sortis sur PS5 trois modes d'affichage, le Performance et ses 60 fps constants fait assurément des merveilles.
En plus de se perdre dans les détails infinis d'une narration environnementale très dense, l'exploration des divers environnements permet ici et là de tendre l'oreille, et profiter de quelques précieux indices sur les us et coutumes des locaux, et ainsi mieux planifier ses prochaines expéditions. Car s'il s'avère rapidement jouable d'abattre rapidement nos cibles, réussir cet exercice en une seule journée demandera assurément beaucoup, beaucoup de préparation, et une connaissance élevée du terrain. C'est là que les Trinkets peuvent rendre une approche bien plus efficace, puisqu'il est parfois plus simple de s'armer lourdement pour vite foncer dans le tas : vos curieux adversaires colorés ne sont pour l'heure un peu mous pris individuellement, mais représentent une menace certaine une fois regroupés. C'est que l'unique barre de vie descend bien vite, et l'on comprend rapidement ce réglage sans doute volontaire de l'IA, qui a vite fait de vous renvoyer à la case départ. Heureusement, les zones d'alerte restent bien délimitées, et l'on pourra toujours tenter un repli improviser, non sans en profiter pour marquer tous ses ennemis, et trouver une route moins empruntée.
Non, c'est toi qui raccroches
Nouvelle génération oblige, l'expérience s'apprécie également du bout des doigts, puisque la DualSense permet de multiplier les interactions, même si la prise en main demande un peu de pratique, notamment en matière de changement d'arme, tant la formule qui sépare chaque main est encore peu intuitive dans les premières heures. Mais en plus de retranscrire les pas et la course du gars Colt, le haut-parleur de la manette haptique renforce grandement l'immersion en faisant jaillir les douilles durant les gunfights, mais fait surtout office de talkie-walkie, et le verbe toujours moqueur de Julianna viendra régulièrement interrompre le fil de vos pensées, le temps de rappeler que malgré l'accumulation d'indices et d'objectifs dans une myriade de menus encore intimidants passées quelques heures, votre Némésis aura toujours un (sinon deux) coup d'avance sur vous. C'est rageant, mais on y retourne quand même. Parce que c'est un peu ça finalement, l'amour vache.
ON L'ATTEND... COMME UN JOUR SANS FIN !
L'attente aura été longue, mais ces premières heures passées dans la peau du pauvre Colt n'ont eu de cesse de nous rassurer sur l'amour et le souci du détail qui anime une fois encore les équipes d'Arlane Lyon. Au croisement du FPS, du jeu d'enquête et du puzzle-game, Deathloop s'annonce déjà comme l'un des grands jeux de l'année. Intelligent, singulier et beau comme un dieu, il ne manque plus qu'une partenaire de jeu pour venir semer la zizanie en ligne, pour enfin découvrir comme s'articule cet étrange mode multijoueur promis de longue date. Deathloop est toujours attendu pour le 14 septembre prochain sur PC et PS5 mais ces quelques jours qui nous en séparent ont déjà un petit goût d'éternité...