Eric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice a récemment détaillé les principales mesures du "projet de loi confortant les principes républicains", dont les sanctions pour ceux qui diffusent des contenus haineux en ligne. Nous avons voulu à Gameblog donner la parole à deux avocates spécialisées en droit des nouvelles technologie et en droit de la propriété intellectuelle. Et particulièrement au domaine vidéoludique et à l'eSport. A ce titre, elles sont persuadées, à raison, que les éditeurs de jeux vidéo ont un rôle à jouer dans la lutte contre la cybercriminalité. Voici leur appel que nous relayons bien volontiers, car tout le monde doit contribuer contre ce fléau.
L'industrie vidéoludique représente aujourd'hui l'industrie culturelle la plus lucrative en France et dans le monde, faisant malheureusement du jeu vidéo une véritable niche pour les contenus haineux.
Le succès de cette industrie est en effet à la hauteur des risques qu'elle suscite. Les faits dramatiques qui ont secoué la France ces dernières semaines ont permis de pointer du doigt les conséquences d'un tel fléau dans les réseaux sociaux, mais les jeux vidéo sont loin d'en être épargnés, bien au contraire.
C'est la raison pour laquelle il est absolument crucial pour les éditeurs de jeux vidéo de renforcer leur politique contre le déferlement des contenus haineux dans leurs plateformes de chat et leurs forums.
Une toxicité consternante dans cette industrie en plein essor
Pourtant, les éditeurs de jeux vidéo ont pour la majorité, mis en place un véritable arsenal de protection des joueurs : la présence de modérateurs bénévoles au sein des chat qui suppriment les messages à caractère illicite, le signalement au support, la procédure de suspension temporaire du compte d'un joueur jugé toxique, et la procédure de ban des joueurs récidivistes destinés à bannir définitivement un joueur de la communauté.
Certains jeux ont la réputation de contenir plus de discours haineux que d'autres, citons à ce titre League of Legends, DotA2, Call of Duty, Fortnite ou encore Rainbow Six Siege.
Les éditeurs de ces jeux ont bien pris conscience de la nécessité de sévir dans le cadre de la prolifération de ces contenus. Ubisoft par exemple, éditeur et développeur du jeu Rainbow Six Siege continue d'améliorer le système de sanctions à l'encontre des joueurs qui ne respectaient pas le code de conduite établi. Les joueurs qui n'auront pas un comportement exemplaire pourraient donc voir un message s'afficher pour les informer de la sanction "L'utilisateur a été banni pour toxicité".
Les forums de discussion des plateformes spécialisées dans le secteur du jeu vidéo ont également leur rôle à jouer.
A titre d'illustration, le forum Blabla 18-25 ans a eu une réputation sulfureuse en raison de la propagation de discours de haine et des campagnes de cyberharcèlement et c'est loin d'être un cas isolé.
Les mesures prises par les éditeurs et hébergeurs demeurent malheureusement insuffisantes. La sensibilisation des joueurs à ce type de contenus ne permet pas leur éradication.
Le fait de bannir un compte permet toujours à un joueur ou un internaute de créer un autre compte et de rejoindre la communauté qui l'a banni.
La nécessité d'aller plus loin que la sanction du jeu, et d'atteindre la sanction législative
Dans le jeu League of Legends, une intelligence artificielle permet l'identification des comportements néfastes, en prenant en compte les pays et les cultures locales afin d'infliger des sanctions rapides, de seulement quelques minutes ou quelques heures. Les sanctions peuvent également être publiques afin de susciter un sentiment de justice rendue au sein de la communauté.
Le studio Riot Games a ainsi déjà sanctionné des joueurs professionnels de League of Legends pour leur comportement, les privant de certaines compétitions eSport de grande envergure.
Il n'en demeure pas moins que cette justice est entièrement détenue par les éditeurs de jeux vidéo. En dépit de leur bonne volonté ou de leurs forums, la lutte contre la cybercriminalité dans les jeux multi-joueurs est lacunaire.
Les tribunaux et les forces de l'ordre demeurent étrangers à ce phénomène et c'est bien le risque
Dans le contexte actuel, il est absolument crucial que le système judiciaire se transforme et s'adapte pour répondre aux risques suscités par l'immédiateté des échanges au sein des jeux vidéo en réseau et de leur plateforme.
Le fait qu'un joueur (le plus souvent sous pseudonyme) soit banni d'un jeu pour des propos haineux ou radicaux ne permet pas à l'individu derrière son écran d'être pénalement tenu responsable. Pourtant, la gravité de certains propos et la récidive de joueurs qui changent simplement de compte pour continuer à déferler leur haine en ligne mérite de véritables mesures judiciaires.
Dans ce contexte, il est impératif de faciliter la levée d'anonymat des joueurs, et de réformer le système de signalement afin que la justice puisse être saisie.
Les éditeurs de jeux vidéo doivent pouvoir travailler main dans la main avec une cellule policière spécialisée afin de signaler les individus aux propos haineux.
Le processus de signalement doit permettre de retracer l'adresse IP du joueur de manière plus facile et accélérée afin d'identifier les auteurs de ces propos et qu'ils puissent être sanctionnés en dehors des simples sanctions infligées par les éditeurs de jeux vidéo.
Enfin et surtout, les éditeurs doivent poursuivre leur démarche de lutte contre les propos néfastes dans leurs jeux et redoubler de vigilance afin de mieux protéger leur communauté de cette haine aujourd'hui omniprésente.
Maria Berrada et Julie Jacob
Cabinet Jacob Avocats