Encore relativement discrète il y a encore quelques années, la pratique du crunch qui oblige les petites mains du jeu vidéo à sacrifier une bonne partie de leur vie pour oeuvrer à l'achèvement d'une oeuvre collective commence à être publiquement remise en cause, au fur et à mesure que les enquêtes lèvent le voile sur l'aspect peu ragoûtant de certaines arrières-boutiques...
Et c'est, pour ne pas changer; une fois de plus le journaliste de Kotaku Jason Schreier qui allume la mèche, et a pris le temps de recueillir de nombreux témoignages d'employés du studio Naughty Dog, qui a malgré le report au mois de mai d'un certain The Last of Us Part II toujours les faveurs de notre bien-aimé rédacteur en chef.
Dans sa longue enquête dont nous ne pouvons que conseiller la lecture aux plus anglophones d'entre vous, le journaliste exprime la lassitude des équipes pourtant passionnées par leur métier, mais qui peinent à tenir sur la durée :
Le jeu est fantastique, mais il coûte énormément aux équipes en place.
Ils essayent de prendre soin de nous, nous apportent à manger, nous poussent à faire des pauses. Mais au final, la finalité est de finir le boulot, quoi qu'il en coûte.
Cette pratique ne peut pas continuer encore et encore à chaque nouveau jeu, car c'est intenable. À un moment donné on se dit : "Je ne peux plus continuer comme ça, je suis trop vieux. Je ne peux plus rester éveillé et bosser toute la nuit."
Des départs en cascade
Schreier s'interroge sur les conséquences du crunch systématique, en rappelant que 70% des designers "de base" ayant travaillé sur Uncharted 4 ont quitté Naughty Dog, ce qui a eu un impact direct sur le développement de The Last of Us Part II. Les nouvelles têtes mettent des mois à devenir opérationnelles (et à intégrer le fonctionnement particulier de l'entreprise qui veut que "si on ne te dit rien, c'est que tu bosses bien"), et rallongent les plannings des designers :
Naughty Dog attend le même niveau de qualité des nouveaux entrants que de ceux qui sont en place depuis un bail. C'est ridicule, cela a clairement généré du stress, et les nouveaux se sentent comme des merdes.
Pourtant, Druckmann et l'équipe dirigeante aurait tenter de planifier au plus juste le travail nécessaire afin d'éviter d'essorer les employés de Naughty Dog, mais les (mauvaises) surprises inhérentes à l'exercice et les premiers retours de l'E3 2018 ont obligé les équipes à cruncher dès la fin de l'année 2018, le jeu étant devenu "le projet le plus ambitieux de Naughty Dog en 35 ans d'existence".
Smelly cats
Le moral et l'ego des membres de l'équipe sont également mis à rude épreuve, voire carrément tabassés, puisqu'il n'existe pas chez Naughty Dog de département chargé de vérifier la cohérence et la continuité du script, tant et si bien que plusieurs semaines de travail effectives peuvent voler en éclats alors que la direction décide de purement et simplement supprimer une scène entière.
Schreier précise que contrairement à ce que certains pouvaient s'imaginer, le report décidé au mois de février n'a pas été synonyme de relâchement pour les équipes, bien au contraire : le rythme n'a pas ralenti, et les employés ont commencé à venir travailler même en étant malade, sautant régulièrement repas et douches...
Nous nous permettrons de conclure ce bref résumé par l'introduction (paradoxalement, oui), qui permet de prendre s'il était encore besoin, conscience du problème :
Un vendredi soir du mois de février, des artistes sont encore au travail alors qu'ils entendent un bruit d'effondrement. Un gros tube de métal venait de tomber juste à côté de leur bureau. À quelques mètres près, les conséquences auraient été bien différentes. Il était 21 heures passées, et les ouvriers qui travaillaient à l'étage du dessus avaient sans doute pensé que plus personne n'était présent. Mais chez Naughty Dog, il y a toujours quelqu'un.
The Last of Us Part II reste quant à lui prévu pour sortit le 29 mai 2020 sur PlayStation 4.