C'est lors des British Academy Games Awards (BAFTA) que nous avons appris le départ de Yoan Fanise, directeur créatif chez Ubisoft et plus particulièrement co-créateur de Soldats Inconnus et des Lapins Crétins. Après 14 ans au sein de la société française, ce dernier s'est confié auprès de Gameblog pour évoquer son parcours, les raisons de son départ, ses projets futurs ainsi que sa vision du média. L'occasion de découvrir les coulisses de développement de ces jeux aussi bien par le biais de cette interview que par les images présentes dans la galerie et transmises par Yoan.
Notre Interview de Yoan Fanise, désormais ex-directeur créatif chez Ubisoft
Bonjour Yoan, merci tout d'abord de prendre le temps de répondre à nos questions. Pourrais-tu te présenter auprès de nos lecteurs et évoquer ton parcours au sein de la société Ubisoft ?
Bonjour Gameblog, merci pour cette interview, je suis un des anciens d'Ubisoft Montpellier, j'ai eu la chance de démarrer aux cotés de Michel Ancel en 2001 sur Beyond Good & Evil. Je venais alors du film et il a fallu apprendre comment se construisait un jeu vidéo. Çà a été le début d'une longue odyssée.
Qu'est-ce qui t'a amené à faire du jeu vidéo ?
Je créais des sons à l'époque pour Ubisoft dans le studio du compositeur Christophe Héral. À Ubi ils cherchaient quelqu'un pour intégrer les sons dans le jeu, je me suis dit "pourquoi pas ?". Donc ce n'était pas un rêve d'enfant mais plutôt une opportunité exotique. Petit à petit j'ai évolué vers la direction créative et dépassé le cadre de l'audio.
Qu'est-ce qui motive ton départ après 14 ans de bons et loyaux services ?
L'envie de changement et de nouveaux challenges surtout. J'ai pu développer des jeux très variés, je suis parti à Singapour deux ans pour créer la partie navale d'Assassin's Creed, c'était une expérience très enrichissante, une autre manière de produire les jeux, à une autre échelle. Il y avait des aspects incroyables comme la diversité de ce studio, avec plus de 30 nationalités réunies sur un même floor, des développeurs de tous horizons, EA, Lucas, Activision, et d'autres. Par contre j'ai moins aimé la grande part d'énergie consacrée à la coordination inter studios, à la documentation, au process de validation, qui est invisible pour le joueur. Il y avait moins de place pour le hasard, les brainstorms fous, les découvertes fortuites de prototypage par exemple.
Que comptes-tu faire par la suite, as-tu des projets en tête ? Penses-tu, peut-être, à l'élaboration de ton propre studio par exemple ?
Pourquoi pas, c'est une des pistes très excitantes que j'explore en ce moment. Montpellier est en train de devenir une place forte du jeu vidéo en France. Il y a tout ici : les talents, les infrastructures, le soleil, la mer...
Tu m'as dit avoir inventé le mythique "bwaaaaaah !!!" des Lapins Crétins et être le co-créateur de Soldats Inconnus, pourrais-tu nous en dire plus sur la conception de ces titres ? Comment sont venues les idées ? Notamment, celle de raconter une histoire aussi forte que celle de Soldats Inconnus ?
Oui quand on a imaginé Les Lapins Crétins en 2006, je voulais leur donner une vraie signature vocale, loin du cartoon habituel. Je pensais à un mélange du Wazaaaaaa de la pub TV avec les voix de Worms 2 que j'adorais. J'ai enregistré une vingtaine de personnes du studio, c'était très drôle, certains avaient une gêne tétanisante devant le micro. D'autres pas du tout, notamment Yoann Perrier, qui est programmeur et qui a tout de suite sorti des sons hyper originaux. Avec un peu de traitement et beaucoup de montage, la voix du lapin crétin était née.
Soldats Inconnus c'est un peu l'opposé des Lapins Crétins. Après Assassin's Creed III, j'avais envie de faire naître un projet à taille humaine avec une ambiance de travail créative proche de celle de BG&E. J'ai donc relancé un projet qui avait été abandonné quelques années auparavant : World War One. Son créateur, Paul Tumelaire, un dessinateur au talent incroyable, a bien voulu le ressortir du placard.
Pour Soldats Inconnus, nous étions comme des indépendants au milieu d'Ubisoft.
Nous avons présenté un prototype à Yves Guillemot, le CEO d'Ubisoft, qui à tout de suite accroché. La production n'a cependant pas été simple car nous n'étions pas prévus dans les plans du studio et il a fallu se battre à chaque étape. Nous étions comme des indépendants au milieu d'Ubisoft.
Pour ne pas nous aider, le thème n'était pas du tout "sexy" pour les gens du marketing et du business : un jeu sur les "poilus", en 2D, sans même une arme à la main...
Je pensais souvent à John Lassetter, le fondateur de Pixar qui avait réussi à vendre aux financiers un film avec un rat qui se met à cuisiner dans un restaurant Parisien. Tous les sujets sont potentiellement intéressants, il n'y a pas de mauvais sujet si on l'aborde avec un angle intéressant.
Tu m'as aussi dit que c'était ton projet le plus beau et le plus personnel ?
Oui, car en faisant les recherches historiques pour le scénario, j'ai découvert que mon arrière grand-père avait combattu dans les tranchées (comme des millions d'autres) et retrouvé de nombreuses lettres et objets qu'il avait sculptés avant d'être gravement blessé. Dès lors il était inimaginable, par respect pour la mémoire de nos "ancêtres", de traiter de cette période à la Metal Slug ou à la CoD. Le pari a été payant, le jeu est un énorme succès aujourd'hui avec de nombreux Awards et plus d'1 million de joueurs sur console et autant sur mobile.
Soldats Inconnus, c''est 1 million de joueurs sur consoles et autant sur mobiles.
Quand il s'agit de Montpellier, nombreux sont les joueurs à penser à Beyond Good & Evil 2 ? Pourrais-tu nous en parler ? Peut-être en savoir plus concernant le déroulement de son développement ?
Même si je ne suis plus à Ubisoft, vous n'obtiendrez rien de moi sur ce sujet, même sous la torture, c'est classé "secret défense" :)
Comment as-tu vécu l'arrivée des consoles nouvelles générations au sein d'Ubisoft ? As-tu pensé à de nouvelles technologies comme la réalité virtuelle ?
Ça a été un tournant très dur pour les studios de taille moyenne, les moteurs devaient évoluer très rapidement et la taille des équipes augmenter de façon colossale. Plus possible de finir un BG&E à 30 ou même un King Kong à 80. C'est là que le studio de Montréal a pris toute sa puissance. Aujourd'hui la plupart des studios Ubisoft utilisent leurs technologies.
Il y a des prototypes de réalité virtuelle en cours dans plusieurs studios, mais leur contenu est évidemment confidentiel.
Et de ton côté comment vois-tu l'évolution du média à l'avenir ?
D'un point de vue personnel, je ne suis pas séduit par ce phénomène. Par exemple, j'ai pu tester longuement des protos Oculus, une fois passé le côté rigolo façon Futuroscope, c'est surtout la sensation de nausée et de mal au cou qui me reste. C'est le cas pour beaucoup de gens malheureusement, il y'a un vrai problème de durée d'expérience. Même en imaginant que cela soit corrigé, je pense que ce sera comme le Wii Fit... une mode passagère.
Par contre je crois beaucoup plus au potentiel des formats tactiles, il ne faut pas se focaliser sur notre attachement historique aux consoles, d'ici 2 ans les tablettes auront la puissance d'une PS4 et une définition encore plus haute. Ce tournant dans notre industrie est déjà bien entamé et son accentuation va faire bouger les choses comme l'arrivée du mp3 à son époque dans l'industrie du disque.
Et pour terminer, aurais-tu un conseil à donner à celles et ceux qui veulent se lancer dans la conception de jeux vidéo ?
C'est un lieu commun, déjà entendu mille fois, mais croyez-y, foncez ! L'accès à la distribution est tellement facile que rien ne doit vous empêcher de tenter l'aventure. N'écoutez pas les rabat-joie qui vous diront que 138 000 jeux sont sortis en 2014, c'est vrai et alors ? Si vous réunissez les talents complémentaires au vôtre et que vous travaillez ensemble avec persévérance, ça marchera !
Merci de nous avoir accordé de ton temps pour nous parler de tout cela, nous te souhaitons le meilleur pour la suite. Pour suivre Yoan sur Twitter, voici son adresse.