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Le lieu en impose : 25.000 m2 d'entrepôts qui abritaient jadis les bus de l'agglomération. Un temps voués à la destruction, ces murs sont désormais transformés en pépinière à projets. Et celle-ci fleurit littéralement de créativité, qu'il s'agisse de résidences d'artistes, d'ateliers de production, de studios, de médias, d'associations ou de micro entreprises. Ce site en pleine ébullition est né de la Nuit Blanche, un évènement culturel par nature éphémère et nomade, qui s'est trouvé un refuge permanent au sein de la plateforme collaborative TCRM-Blida, sous l'impulsion des pouvoirs publics. En somme, le lieu idéal pour accueillir une structure aussi innovante que l'Expressive Game Lab, premier laboratoire en France destiné à l'étude des contenus et des pratiques vidéo ludiques.

A l'origine de cette unité, il y a Sébastien Genvo. Après des études de cinéma et un bref passage dans l'industrie du jeu vidéo, il se consacre à la recherche, en particulier dans le domaine du game design qui constitue le sujet fondamental de sa thèse. Devenu maître de conférences en sciences de l'information et de la communication au sein de l'Université de Lorraine, il multiplie les initiatives pour explorer les différents aspects de cet objet encore trop méconnu, pour ne pas dire dénigré par les institutions. Cette démarche l'a amené à s'intéresser tout spécialement à leur potentiel expressif :

Qu'est-ce que l'on va pouvoir transmettre comme émotion, comme message, comme idéologie à travers un jeu, et de quelle façon.

Au-delà du "simple" jeu vidéo

Son jeu Keys of a Gamespace s'inscrit dans cette approche, en s'attachant aux réalités quotidiennes pour aborder des problématiques sociales, psychologiques et culturelles. Des thématiques historiquement sous-représentées dans les jeux vidéo, où les univers imaginaires ont été largement privilégiés. Cette oeuvre se distingue néanmoins des serious games.

Il ne s'agit pas d'instrumentaliser le jeu, mais d'y intégrer des sujets sérieux tout en restant ludique.

Or il n'est pas évident de permettre au joueur de s'engager, de garder cette logique de divertissement face à des thèmes aussi sensibles que la pédophilie.

Voici l'un des principaux enjeux de ce laboratoire issus de la collaboration entre le Centre de Recherche sur les Médiations (CREM) et le Laboratoire Lorrain de Recherche en Informatique et ses Applications (LORIA). Il résulte de la volonté de lier des recherches en informatique, en sciences cognitives et en sciences humaines pour développer des réflexions sur les jeux vidéo. Mais pour les analyser, encore fallait-il un environnement qui le permette, ces supports étant soumis à des contraintes d'obsolescence. En effet, beaucoup de jeux anciens nécessitent une machine spécifique pour fonctionner, dont certaines ont aujourd'hui plus de trente ans.

C'est là qu'entrent en jeu des associations telles que Tryptik et Aux Frontières du Pixel, installées juste à côté. Avec leurs bornes d'arcades, consoles et ordinateurs restaurés (ou maintenus en état de marche), celles-ci contribuent à la conservation du patrimoine vidéo ludique. Une mission qui ne se résume pas qu'à faire partager la passion du jeu vidéo au travers d'un caractère évènementiel, mais aussi à s'en servir dans un cadre socio éducatif. "Nous allons dans les écoles à la fois pour sensibiliser les enfants à l'utilisation sécurisée d'Internet et pour leur apprendre à concevoir des jeux" explique le fondateur d'Aux Frontières du Pixel Thomas Willaume, des démarches financées en partie par les collectivités locales.

La preuve que les jeux vidéo sont aujourd'hui reconnus par les institutions, et à tous les niveaux, y compris académique. Le Professeur Jacques Walter, directeur du CREM, s'en réjouit :

Aujourd'hui le terme jeu vidéo n'est plus considéré comme un gros mot dans les universités.

Le jeu vidéo est devenu incontournable dès que l'on étudie les technologies, les évolutions culturelles et sociales. Il faut dorénavant réfléchir en terme de jeux sur les supports numériques, et globalement en terme de ludicisation, qui désigne le processus de mise en jeu des activités au sein de notre société. Et ça, c'est l'avenir.

L'Expressive Game Lab est donc appelé à jouer un rôle essentiel dans ces expérimentations, sa situation au sein de la TCRM-Blida lui permettant de "stimuler la recherche sur les jeux vidéo comme forme d'expression, et de créer du lien avec des acteurs du monde économique, associatif et institutionnel, c'est une passerelle entre les différents domaines", comme le souligne Sébastien Genvo. Ce tiers lieu s'impose ainsi comme un environnement de travail privilégié pour les étudiants, un monde de convergence propice aux réflexions et aux échanges qui donneront probablement naissance aux applications ludiques de demain.

Le jeu vidéo à la croisée des chemins

L'arrivée de Grand Est Numérique (GEN) illustre l'effervescence de cet espace de coworking. Cette association d'entrepreneurs soutient la création numérique, sur l'axe Epinal-Nancy-Metz-Thionville jusqu'au Luxembourg, afin de favoriser l'émergence d'un écosystème. Pour son président Frédéric Schnur :

Cela passe par la mise en relation des anciennes industries avec le numérique, qui constitue un levier d'accélération pour tous les pans de l'économie. Il faut que ces deux mondes se parlent, qu'ils apprennent les uns des autres.

L'autre point névralgique se situe au niveau politique, par la prise de conscience de ce potentiel, mais le fossé des générations ne facilite pas la communication.

Toutefois le message semble désormais bien reçu, en témoigne le choix de la TCRM-Blida pour représenter le LOR'N'TECH, comme l'a annoncé le maire de Metz Dominique Gros, qui se sent "mieux branché" avec le 21ème siècle grâce à ce tiers lieu de synergies. Si la zone ne profite pas de mesures fiscales spécifiques, elle est très bon marché et suscite donc la concentration de toutes ces énergies créatives. En somme l'élu y voit un véritable "bouillon de culture" à même de participer à la redynamisation le tissu économique local, et de montrer la ville de Metz sur la carte de France. Notamment dans le domaine des jeux vidéo ? Les années à venir le diront...


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