Shūeisha, l’une des plus importantes maisons d’édition japonaises qui détient le magazine Weekly Shōnen Jump, connu pour ses publications des plus grands mangas tels que Dragon Ball, One Piece ou encore Naruto, a diversifié son activité. À l’image d’un Kadokawa, elle a ouvert une branche jeu vidéo en 2022 pour aider des développeurs indépendants à sortir leurs jeux. Après Oni, Soulvars ou Arcana of Paradise, l’éditeur revient avec Urban Myth Dissolution Center. Une production indé qui a intrigué du monde lors de son annonce en 2024. À juste titre ?
Après quelques sorties confidentielles, Shūeisha Games a fait le pari d’accorder sa confiance à Hakababunko. Une petite équipe japonaise qui a déjà sorti Makoto Wakaido’s Case Files sur Nintendo Switch, PC et mobiles (iOS, Android), un jeu d’enquête en 2D où l’on doit faire la lumière sur une série de meurtres macabres, dans une histoire qui a pour contexte le Japon des années 80 et les sectes religieuses. Des caractéristiques qu’on retrouve dans Urban Myth Dissolution Center, leur nouveau jeu qui, même s’il a bien des défauts, s’avère une bonne surprise.
Bienvenue dans l'Urban Myth Dissolution Center
Urban Myth Dissolution Center plante le décor d’entrée de jeu avec une courte introduction à la mise en scène minimaliste, mais bien classe et efficace, où l'on fait connaissance d’Azami Fukurai. Une jeune étudiante qui semble voir régulièrement des « gens qui sont morts ». Perturbée par ses visions, et alors qu’elle est victime d’une nouvelle manifestation surnaturelle en pleine rue, elle décide de se rendre au Centre de Dissolution des Légendes Urbaines après avoir vu une affiche sur un mur.
Cette mystérieuse entreprise, bien planquée au quatrième sous-sol d’un immeuble, est une institution privée spécialisée dans l’investigation de légendes urbaines qui promet de régler des « problèmes d’anomalies ». Une promesse alléchante pour Azami qui se dit que la société en question pourrait l’aider à arrêter de voir des silhouettes flippantes quotidiennement. Là-bas, elle rencontre le directeur de l’établissement, Ayumu Meguriya, un étrange personnage qui connaît son nom et prénom, mais également le maux dont elle souffre grâce à son don d’acuité. Une chose en amenant une autre, Azami va être contrainte de se transformer en enquêtrice et de travailler pour le centre afin d’éponger une dette qui lui tombe dessus, avant même d’espérer peut-être résoudre son souci. Voilà pour le contexte d'Urban Myth Dissolution Center, et comme d’habitude, on n’ira pas plus loin.

Si Urban Myth Dissolution Center est pour nous une bonne surprise, c’est d’abord pour son scénario et ses thématiques. Du jour au lendemain, notre jeune étudiante se retrouve à chasser des légendes urbaines qui « existent vraiment » dans notre monde. Il y a par exemple l’histoire de « Bloody Mary », de « L’homme sous le lit » ou encore celle du « Baby Blue ». Des légendes urbaines plus ou moins connues des amateurs de productions horrifiques.
La façon dont ces récits sont présentés, et évidemment les sujets convoqués ici, nous ont immédiatement ramené à l’époque des Contes de la Crypte ou d’Urban Legend. Et vu que je suis totalement client de ça, j’y ai clairement pris du plaisir, d’autant plus qu’Hakababunko n’a pas besoin d’en faire des caisses dans la mise en scène pour nous immerger dans les différentes légendes. Une image fixe, tout de même balancée de manière dynamique, avec le nom de la légende urbaine suffit. Il y a de vrais moments d'horreur visuels hyper accrocheurs et beaux (comme celui juste en dessous), qui évoqueront certainement aussi Junji Ito à certains. Malheureusement, si on a vraiment apprécié réentendre ces mythes, et en découvrir d’autres, force est de constater que tous ne se valent pas en termes d’intérêt, ce qui sera responsable d’un des défauts majeurs du titre.

Toutes ces légendes urbaines revisitées, à travers les six chapitres du jeu, sont connectées par un fil rouge qui réserve bien des surprises. Y compris jusqu’à la toute fin surprenante, avant que les crédits ne défilent, même si l'exposition de la révélation est un peu faiblarde sur la mise en scène. Une trame prenante grâce à son écriture et l’humour pince-sans-rire distillé dans l’intrigue et les personnages. En effet, à bien des égards, Urban Myth Dissolution Center est beaucoup plus léger qu’on ne pourrait le croire, même s’il jongle entre divers tons pour embrasser des sujets nettement plus sérieux comme le harcèlement, la dépression, le suicide ou encore le doxing sur Internet.
Et c’est aussi et surtout une satire sociale du monde actuel, qui vise juste, notamment vis-à-vis du rapport à l’information et de son traitement dans les médias et sur les réseaux sociaux où les personnes se moquent éperdument de la vérité du moment qu’on leur donne ce qu’ils veulent. Un constat fait directement dans le jeu qui est plus d’actualité que jamais. Vous découvrirez que tout cela (légendes urbaines, le traitement de l’information etc.) est intrinsèquement lié et pertinent. C'est assez bluffant et j'ai été agréablement surpris, d'autant plus que j'ai foncé sans m'intéresser en profondeur au jeu auparavant. Ce fut une découverte totale, et quelle belle découverte ! L'une des surprises de 2025 assurément !

Urban Myth Dissolution Center a donc de grosses qualités dans l’écriture, le ton et les thèmes explorés, mais nous a fait décrocher à plusieurs reprises. Certes, j'y ai joué le soir, après des journées de travail dans les pattes, mais passé la surprise des débuts, le rythme de l’aventure est parfois très compliqué car constamment parasité par des choses qui auraient pu être supprimées ou simplifiées. De même, le fait que les légendes urbaines soient inégales, en étant parfois trop longues pour leur propre bien ou inversement trop courtes, a réussi à nous faire soupirer voire tomber dans les bras de morphée. Et la structure du jeu n’est pas non plus innocente à cela.
Du réel au paranormal, il n'y a qu'un pas
Mais Urban Myth Dissolution Center, ça ressemble à quoi ? C’est un jeu d’aventure psychologique point’n’click / visual novel d’enquêtes paranormales où il faut constamment interagir avec des personnages ou des objets du décor en cliquant dessus pour obtenir des informations. En gros et pour que vous ayez peut-être une image plus précise de ce qui vous attend, on est dans la lignée de la cultissime licence de Capcom : Phoenix Wright Ace Attorney. Chaque chapitre qui présente un cas spécifique, et par conséquent une légende urbaine unique, se déroule de la même manière.
On nous présente brièvement le dossier, on enquête sur les réseaux sociaux avec une interface classique mais bien conçue de messagerie, puis on se rend sur les lieux en compagnie de Jasmine, une autre membre du Centre de Dissolution des Légendes Urbaines. Une fois sur place, on cherche des témoins pour discuter et récolter des preuves, et on fouille toutes les choses indiquées à l’écran pour se procurer des indices qui sont indispensables pour entamer la « Phase d’identification ». Une étape pendant laquelle on compare nos découvertes avec les archives du Centre afin de discerner la légende urbaine à laquelle on doit faire face. Et de démêler au passage le surnaturel du réel.

L’enquête des réseaux sociaux, qui permet de faire le tri dans les rumeurs et les observations utiles d’internautes, est clairement l’une des forces d’Urban Myth Dissolution Center puisque l’un des thèmes est transposé tout d’un coup en une mécanique de gameplay. Et ça fonctionne très bien autant dans la présentation du procédé que dans ce que ça raconte, avec les mauvais côtés des réseaux sociaux qui ressortent. Néanmoins, là encore, on voit des limites assez tôt. Avant de trouver les bons indices, il faut lire les commentaires d’internautes sur les différents sujets, et assister aussi à la réponse de notre acolyte. Le problème, c’est que tout cela est trop fastidieux à la longue.
Être obligé à lire est normal, puisqu’on est devant un visual novel, mais les trop nombreux messages peu intéressants cassent la dynamique de l’exercice. C’est dommage parce que c’est lors de ces moments qu’on peut également profiter de l'écriture, des dialogues et des réactions criantes de vérité, des protagonistes ou des internautes. Un réalisme d’ailleurs souligné par l’excellente traduction française. Je ne pensais pas que le jeu serait nécessairement traduit, et je pensais encore moins que la qualité serait au rendez-vous. Du très bon boulot qui rend la lecture très facile et plaisante.

Durant ces enquêtes sur les RS, Azumi peut mettre des lunettes spéciales qui lui permettent de faire bouger des termes qui deviendront des mots-clés, à utiliser de manière isolée ou de concert avec d’autres paroles dans le moteur de recherche. Là encore, c’est vraiment bien vu. Une fois retournée sur les lieux d’une affaire, on pourra aussi revêtir les lunettes pour distinguer les silhouettes qu’Azumi est capable de voir, qui sont des réminiscences du passé et non pas des fantômes. Cela permet de débloquer davantage de possibilités de dialogues, et donc d’avancer dans la collecte d’indices et dans nos investigations. Lorsqu’on est proche de la résolution, la « Phase de Dissolution » se déclenche après un appel du directeur du Centre de Dissolution des Légendes Urbaines, afin de réexaminer et de démêler les informations recueillies dans le but de réduire le champ des possibles et de résoudre les mystères.
Que ce soit pendant les deux Phases d’identification et de Dissolution, ou même quand on tentera d’établir une simple hypothèse sur un personnage, l’interface d'Urban Myth Dissolution Center est identique. On aura systématiquement une question à choix multiples ou des phrases à trous à compléter - sur la base de mots prédéfinis - avec tous les détails consignés dans notre journal et notre mémoire. Car évidemment, s’il y a un support pour se souvenir de tout le blabla raconté, il faudra également faire fonctionner sa mémoire et ses talents de détective. Cependant, n’ayez crainte, il n’y aucune difficulté. L’échec si l’on donne une « mauvaise » réponse n’est jamais pénalisé puisqu’il suffit d’en sélectionner une autre jusqu’à arriver à la bonne. Les différentes notations, de « Bon » à « Fabuleux », que l’on reçoit après chaque déduction ne nous récompensent jamais.

D’un côté, c’est un bon point si on ne veut pas d’une expérience exigeante, et de l’autre, et c’est là tout le paradoxe, c’est l’un des défauts du jeu. On est trop pris par la main, trop guidé, et ça met malheureusement en exergue la structure répétitive des cas confiés. C’est vraiment toujours pareil, et combiner au fait qu’on est plus finalement un lecteur qu’un vrai Sherlock Holmes en herbe, ça génère une frustration et un sentiment de lassitude.
Malgré ces griefs non négligeables, si Urban Myth Dissolution Center m'a tapé dans l'œil, c’est aussi grâce à son esthétique. Après le jeu de gris et rouge du précédent titre du studio, on a ici un mélange de bleu et rouge qui se retrouve un peu partout dans l'interface, les cinématiques, les phases de gameplay et les chouettes menus. C'est épuré mais avec un style indéniable. Il y a une vraie recherche esthétique qui prend toute sa dimension avec le très beau pixel art du soft. En dépit des contraintes impliquées par ce style graphique, Hakababunko réussit haut la main son pari avec des personnages détaillés en termes de modélisation et d’animation. Mention spéciale d’ailleurs pour les différentes présentations des légendes urbaines et des cinématiques qui offrent beaucoup avec peu de choses dans les faits. Il y a aussi du bon au niveau de la bande-son, notamment la musique lors de la Phase de Dissolution, mais on aurait aimé encore plus de variété pour nous convaincre totalement.