A peine Link commence-t-il à gambader sur la plage, accompagné des musiques synthétiques aux accents celtes d'antan, que l'on ressent une impression très familière, comme si l'épopée sur GameCube datait d'hier. Ces paysages en cel-shading ne semblent pas avoir vieilli, ils paraissent même plus jolis que dans nos souvenirs. Et pour cause, à l'instar des vedettes du show-biz, The Wind Waker a bénéficié d'un sérieux lifting. Celui-ci ne s'est pas limité pas à étirer l'image pour la recadrer en 1080p. Nombre d'éléments ont été redessinés afin d'exploiter le surcroît de détails que la haute définition autorise - voire requiert, au regard de quelques textures encore sommaires (notamment sur le sol) ou de jointures abruptes. Malgré ces anicroches, The Wind Waker HD se montre d'une rare beauté, et intemporelle qui plus est. Cette grâce résulte d'une netteté saisissante que seuls les effets de flou viennent volontairement troubler, de façon à souligner la portée infinie de cet horizon d'azur. Et la finesse de l'affichage ne fait que renforcer son aspect épuré, rendu encore plus éclatant par la sophistication des éclairages. Ce subtil mélange de simplicité et de modernité se manifeste tout particulièrement à travers les personnages, qui n'ont pas non plus pris une ride. Certes, les yeux de Link ont encore parfois l'air de lui sortir de la tête, cependant les traits rudimentaires qui forment son visage lui permettent d'exprimer clairement ses émotions, remplaçant ainsi des dialogues superflus. Au delà de notre héros traditionnellement muet, ou presque, la narration n'est en effet pas très bavarde, sans que cette retenue ne l'empêche de se révéler touchante. De même, le scénario n'est jamais envahissant, son déroulement laissant une grande part de liberté pour l'exploration. C'est justement là que réside l'âme aventurière de cet opus, incarnée par les voyages en mer, et le frisson de la découverte aux abords de terres inconnues...

Waterworld

D'habitude, le concept de Zelda se résume à placer le joueur dans un espace ouvert, mais relativement restreint au départ. Le terrain de jeu s'étend alors progressivement, à mesure que l'on obtient des objets qui servent à résoudre les énigmes. The Wind Waker rompt avec les coutumes de la saga, car il donne accès quasiment d'emblée à l'ensemble du monde. Celui-ci se compose d'une myriade d'îles, séparées par d'immenses étendues d'eau. Link a beau être capable de barboter sur de courtes distances dès le début, ses déplacements nécessitent l'aide d'un bateau, parlant et souvent de bon conseil d'ailleurs. En effet, il n'est pas toujours évident de savoir où aller, en voguant au gré du vent. Ce dernier constitue l'autre facteur essentiel de ces croisières, qui deviendraient infernales sans l'aide d'une baguette magique. Tout marin le sait, naviguer contre le vent n'a rien d'une sinécure. Heureusement, Link peut orienter sa direction à sa guise grâce à ce mystérieux bâton. Et pour se repérer, il s'appuie sur la cartographie, nourrir les poissons de chaque zone permettant d'établir une carte marine, en plus d'être informé des potins du coin. Car accoster sur les rives de ces archipels - quand cela est possible - ne signifie pas que l'on ait loisir d'en découvrir immédiatement les secrets. La plupart des îles comportent des puzzles, qui supposent l'usage d'outils spécifiques. Par conséquent, l'univers de cet épisode n'est fondamentalement pas si différent des autres. Ses grands espaces aquatiques s'apparentent dans l'absolu à de grandes prairies, avec des lopins de terre émergés à la place des cavernes, pour ne pas dire des îlots, du fait de leur taille très réduite, la majorité ne renfermant qu'une énigme. Et compte tenu du nombre relativement faible de véritables donjons, la quête apparaît donc diluée. Ce phénomène n'est pas forcément une mauvaise chose, à plus d'un titre.

L'appel du large

The Wind Waker surfe beaucoup sur les principes des épisodes N64, mais les développe davantage, cimentant du même coup les piliers du gameplay en trois dimensions pour la suite de sa lignée. En témoignent les expériences aériennes offertes par la feuille Mojo, à la fois prolongement des fleurs de Majora's Mask et prélude de la cape dans Skyward Sword. Naturellement, l'ingénieux level design des donjons ne pallie pas le manque d'ustensiles véritablement neufs avec lesquels fonctionnent ces mécaniques. Cette vague d'évolutions suffit pourtant à ce que l'épopée garde sa fraîcheur, y compris avec le recul que l'on a aujourd'hui. Dans cette logique, Link dispose d'une palette de mouvements étoffée en matière de furtivité, des manoeuvres facilitées par le contrôle de la caméra via le stick droit. Idem pour les combats, qui ne se déroulent pas que sur la terre ferme. Les voyages sont ainsi ponctués de batailles navales, la présence d'ennemis et autres postes de surveillance évitant que le vide inhérent à cet environnement marin ne se fasse trop sentir. Cela dit, ces moments à voguer la nuit sous un ciel étoilé, ou à lutter avec le vent sous une pluie battante, avant d'admirer le soleil levant, ont indubitablement un côté poétique. En outre, le temps passé en mer contribue à percevoir les distances qui séparent les îles, soulignant l'envergure de cet univers. Revers de la médaille : les multiples allers et retours qu'engendre l'aventure tendent à devenir soporifiques, notamment dans la seconde partie du jeu. Des ennuis que ce cru Wii U vise à effacer avec l'ajout d'une voile rapide, qui permet de se déplacer deux fois plus vite sans se soucier du vent, et ce quand on le souhaite. Comme il faut patienter un peu avant de l'acquérir, le caractère contemplatif de Wind Waker est préservé, tandis que les plus pressés n'auront plus à supporter ces longues traversées pour profiter de ce qui distingue cette odyssée de toutes les autres, sa quasi absence de linéarité.

Tous à bord de la Calypso !

Bien sûr, les grandes étapes passent classiquement par les donjons, et les outils que l'on y trouve pour avancer. Toutefois, un écosystème vit tout autour, au rythme des journées et des phases de lunes. Cela comprend le petit train-train quotidien des habitants, qui demandent évidemment à Link de leur rendre toutes sortes de services, de même que les légendes murmurées par les vents marins, synonymes de quêtes plus ou moins annexes. De ce fait, notre héros dispose d'une panoplie de sacs pour stocker les denrées issues de contrées lointaines, et transmettre certains objets, éventuellement par voie postale. En dépit de sa structure éclatée, ce monde demeure interconnecté grâce aux boites aux lettres, sans compter les services du bon vieux Tingle. Sur la version GameCube, son Tuner servait à appeler notre omniscient énergumène à la rescousse. Ces coups de pouces sont désormais fournis par la communauté du Miiverse par l'intermédiaire des bouteilles de Tingle jetées à la mer, sous forme de messages accompagnés de photos si nécessaire. Les clichés peuvent être pris avec le concours du gyroscope, qu'exploite également la visée en vue subjective d'autres outils comme le grappin ou l'arc. Ces manipulations s'avèrent anecdotiques, à l'image des notes jouées avec la baguette du vent par le biais de l'écran tactile. Les méthodes traditionnelles usant du second stick restent plus efficaces, mis à part pour la navigation et la gestion de l'inventaire en temps réel, où le GamePad démontre sa supériorité par rapport à la manette Wii U Pro. Il est ainsi facile d'être submergé par ce raz de marée de tâches, un foisonnement de préoccupations qui encouragent le vagabondage. Car en plus des montagnes de rubis et des quarts de coeurs, les trésors dénichés dans les profondeurs recèlent des cartes. Et celles-ci dévoilent souvent la position d'autres cartes, ce qui nous mène à la tristement fameuse - gare au spoiler - Quête de la Triforce, agréablement simplifiée dans ce remake. Seules quelques cartes doivent ici être traduites par cet usurier de Tingle pour localiser les fragments, la cachette des autres étant directement indiquée. Le périple maintient donc son rythme de croisière, sachant que la voile rapide évacue là encore toute présomption d'allongement artificiel de la durée de vie. Surtout que The Wind Waker HD n'en a aucunement besoin, puisqu'en plus des surprises que recèle la fin, le mode Héroïque rehausse le challenge, il est vrai très abordable pour les joueurs aguerris. Dans cet héritier de l'illustre "Master Quest" d'Ocarina of Time (sélectionnable à chaque début de partie), les blessures infligées par les ennemis sont doublées. En outre, on doit se passer des petits coeurs, seuls les conteneurs, les potions et les fées redonnant de la santé. De quoi redécouvrir The Wind Waker sous un nouveau jour, encore plus épique, et c'est précisément l'aspiration que poursuit ce remake dans son ensemble avec brio, celui de l'aventure avec un grand (Zeld)A.