Ce Test est paru initialement le 5 juin 2013 à 16h00. C'est donc une reparution pour célébrer dans la joie et la bonne humeur le jour de sa sortie, ce vendredi 14 juin !

Les maîtres de la narration ont joué une partition tout à fait différente de celle des Uncharted, mais tout aussi juste. Sinon plus. The Last of Us est brillant dans l'équilibre de son gameplay, mêlant action brutale et infiltration tendue, pour une survie qui réussit à imposer sa tension, son drame et son univers sans jamais frustrer. Mais il l'est aussi dans son ton tragique, terriblement lucide sur l'âme humaine, telle qu'elle peut exister dans un univers aussi noir, et répond finalement à toutes nos attentes, ou presque.

La dynamique d'un couple

Bien entendu, le coeur de The Last of Us, c'est le couple formé par Joel et Ellie. Mais s'il fonctionne si bien, c'est avant tout parce que chacun de ces deux personnages est écrit avec justesse et cohérence, dotés qu'ils sont d'une humanité et d'un caractère qui sonnent vrai, loin des caricatures que sont habituellement les héros de jeu vidéo. Car si l'aventure incroyable qui leur fera traverser les Etats-Unis leur vaudrait sans doute ce qualificatif de héros, le prisme par lequel on les découvre tous les deux, la manière dont ils se rencontrent, puis évoluent, et l'impact incontournable qu'un univers sans pitié peut avoir sur tout ça, ne cède jamais à cette facilité, préférant conserver l'angle d'une tragédie humaine se jouant sur de multiples niveaux. Depuis les blessures personnelles jusqu'aux horreurs qu'ils vivront et devront digérer, en passant par une moralité jamais manichéenne et les liens qu'ils tisseront entre eux, mais à leur corps défendant, il est difficile de ne pas finir par les aimer tous les deux pour les humains qu'ils sont, même si Ellie aura sans doute la préférence de la plupart d'entre nous. La fin, seule, évite l'écueil du grand spectacle, sans pour autant oublier de confronter le joueur à des difficultés dignes de la dernière ligne droite d'une histoire forte. Alors certes, le scénario s'avère, du moins dans les grandes lignes, cousu de fil blanc, mais ces deux personnages qui le vivent et nous le font vivre l'incarnent tellement bien que le récit prend le pas sur l'histoire, et touche au coeur, d'autant plus qu'il est magnifiquement soutenu par la sublime musique de Gustavo Santaolalla, parfait reflet de ce mélange improbable entre simplicité brute et nuances inattendues, avec cette phrase mélodique simple tout juste décalée d'un dièse, sur la fin, qui incarne bien les pointes dissonantes de l'univers.

"Survivre."

Dans ce monde post-pandémie, on retrouve une atmosphère qui intègre le meilleur de ce genre de récits, La Route de McCarthy en tête. La plupart des moteurs qui motivent les quelques survivants, bon nombre des horreurs et des choix impossibles qu'ils doivent pourtant affronter, tous sont abordés ou suggérés à divers moments dans The Last of Us. Soit directement par les personnages, soit par l'intermédiaire du gameplay lui-même, soit encore en lisant les vestiges de notes, enregistrements, images ou marques de civilisation qu'on découvre, ça et là. Tout cela en explorant, avec un ravissement mêlé de mélancolie, un univers qui semble vide d'espoir pour une humanité rongée par l'infection d'un champignon qui, peu à peu, la transforme en une espèce morte, sans but, proche du zombie. Pourtant, on y vit aussi quelques moments d'une joie authentique. Ils sont rares, certes, mais puissants, lorsqu'on découvre en même temps qu'Ellie, qui n'a jamais connu autre chose que la zone de quarantaine de Boston, une nature qui reprend ses droits sur la civilisation quasiment éteinte qui l'avait transformée, après des millénaires de règne humain. Quelques moments, aussi, qui nous arrachent un rictus contrit lorsqu'elle met en doute les habitudes curieuses d'une civilisation qu'elle n'a pas connu. Entre un Joel renfermé et méfiant, qui était déjà adulte lorsque l'épidémie frappa et dont les blessures psychologiques forment une muraille infranchissable entre lui et les autres, qu'il entretient lui-même avec zèle, et une Ellie qui se raccroche inconsciemment aux vestiges d'une enfance jamais véritablement vécue, dominée par cette époque brutale où le vol, l'agression et le meurtre ne sont plus des crimes mais des méthodes de survie, et qui pourtant est capable d'une incroyable force de caractère du haut de ses 14 ans, difficile de ne pas saluer la performance d'écriture, comme d'interprétation (en VO en tout cas, la VF étant présente mais inférieure).

Tous les moyens sont bons

Même si la rudesse de l'univers force à avancer avec prudence, ménageant ressources et munitions, le joueur reste globalement libre de l'approche à adopter, séquence après séquence. Qu'il s'agisse des infectés ou des chasseurs, survivants poussés vers l'absolue nécessité d'exploiter sans vergogne tout étranger pouvant leur fournir des ressources additionnelles, on aborde chaque "rencontre" avec la peur au ventre. Les combats sont d'une rare violence, viscérale, soutenue par une animation confondante de fluidité et de réalisme, tirant partie de l'environnement de manière transparante et de cadrages de caméra toujours justes et dramatiques. Et c'est parfois la meilleure approche ; mais la plupart du temps, mieux vaudra utiliser l'écoute, sur le bouton R2, qui permet de dessiner les silhouettes des adversaires émettant du bruit, soit par leur mouvement pour les survivants, soit par les sons émis par les infectés. Deviner ainsi quels chemins adopter, rester discret, prendre à revers, préparer des pièges... et se montrer aussi économe que malin car, on s'en doute, tôt ou tard des moments obligeront à des affrontements plus frontaux qui coûteront cher en ressources. Mais là ou The Last of Us parvient à imposer un équilibre de gameplay admirablement réglé, c'est dans l'absence totale de frustration face à la mort, ou à la difficulté. Parfois sans pitié (quand on se fait attraper par un claqueur par exemple), il est certes expéditif, mais la mort n'est pas véritablement pénalisante puisqu'on recommence de suite à la dernière rencontre. Il n'empêche qu'on évite à tout prix de mourir, on ménage sa progression, on ressent la tension, naturellement, car c'est bien le contexte, l'environnement et la narration qui l'induisent plutôt que le gameplay. C'est donc bien l'immersion qui fait l'essentiel du travail, et c'est finalement la marque des grands jeux, ceux où le gameplay n'est pas vécu comme une limitation à surmonter, mais un outil qu'on exploite bien ou mal, et qui permet de s'attribuer à 100% l'échec.

Vers l'inéluctable dénouement

Après un prologue puissant, marquant, qui ne surprend finalement pas mais dont on est ravi que Naughty Dog l'ait fait, et aussi bien, un premier acte se met en place, distillant les premiers éléments de gameplay et les différents grands "types" de séquences du jeu : exploration, infiltration, action, fuite. Quatre grands "genres" qu'on retrouvera finalement tout du long, parfois de manière un poil trop découpée, certes, mais c'est un sentiment qui s'évanouira après le second acte. Jusqu'à sa conclusion, on progresse avec grand plaisir, mais indubitablement, le jeu n'accède à son statut de chef d'oeuvre que par son dernier acte, où se trouve synthétisé le parangon de la survie (en termes de gameplay) et de sa moralité sous-jacente (en termes de scénario). Les "bulles" de gameplay s'élargissent, les situations prennent enfin de l'ampleur et la narration grandit jusqu'à occuper enfin toute sa mesure avec des séquences inédites, faites de moments précieux et singuliers... jusqu'au final, grandiose à mon sens, par ses multiples temps et sa logique humaine aussi satisfaisante que tragique. Du début jusqu'à la fin, on apprend à domestiquer les capacités d'artisanat qui sont les nôtres, à saluer la découverte des rares établis qui permettront d'améliorer nos armes. On parfait ses tactiques en prenant soin d'avoir à sa disposition, le plus possible, les ressources permettant de faire face aux pires situations. Mais plus on s'approche du but, moins tout ceci semble important ; plus on veut s'en sortir ; moins on n'envisage de renoncer après tant d'épreuves déjà surmontées. Si le gameplay s'avère presque tout du long propre, carré, léché même, c'est pour mieux se faire oublier une fois maîtrisé, et laisser toute leur place aux situations et à l'histoire. Certes, par moments, la suspension consentie d'incrédulité peut être mise à mal par un bug ou deux, ou plus régulièrement par la transparence peu réaliste des personnages secondaires pour les ennemis qui ne les voient pas vraiment, mais globalement, c'est un bien maigre sacrifice au réalisme, nécessaire pour des questions purement ludiques.

Un multi à ne pas sous-estimer

Quant au mode multijoueur que Naughty Dog a eu la présence d'esprit de ne pas trop dévoiler pour éviter de donner au solo, la part la plus importante du jeu finalement, une couleur trop facilement interprétée comme "inutilement violente", alors qu'il n'en est rien (la violence est tout à fait justifiée), en sous-estimer l'intérêt serait une grave erreur. Moi-même, tout en ayant apprécié cet aspect sur les Uncharted, j'étais loin de me douter qu'il serait aussi savoureux. En parvenant à retranscrire très précisément le coeur des mécaniques du solo sans en écarter aucune, mais simplement en ménageant leur puissance (par exemple, l'écoute y est régie par une jauge qui se recharge lentement et empêche une utilisation abusive), le rythme des parties devient unique. Les balles y sont toujours rares, l'artisanat toujours important (surtout sur la fin des parties enchaînant les rounds), et l'approche brutale et frontale peu recommandée. Pour faire simple, le multijoueur se découpe en deux modes similaires, jouables sur 7 cartes admirablement conçues. Dans les deux, deux équipes de survivants s'affrontent pour leur survie, à 4 contre 4 maximum : les lucioles et les chasseurs. Dans le mode "Raid sur les Provisions", chaque mort est définitive ; il faut attendre la fin d'un round avant de pouvoir revenir dans la partie. Dans le mode "Survivants", on respawn régulièrement jusqu'à ce qu'un quota total soit épuisé, après quoi on passe en "mort subite". Mais dans les deux, il s'agit autant d'éliminer les survivants adverses, que de récupérer des ressources qui serviront soit à acheter, en cours de partie, des améliorations, soit des munitions, suivant la classe jouée. Ces ressources seront aussi comptabilisées à la fin de chaque partie (constituée de plusieurs rounds, donc), pour déterminer la survie de votre "clan"... c'est la partie "méta-jeu" du multi, une brillante idée.

L'entre-parties

Dès que vous entrerez pour la première fois sur le multijoueurs, votre clan sera créé. Peuplé avec vos amis facebook si vous décidez de lier votre compte à votre ID PSN, celui-ci grandira au fur et mesure, en fonction des ressources que vous ramènerez, partie après partie. Mais cet aspect est persistant : c'est à dire que chaque partie compte pour un jour de survie, et que le but du "méta-jeu" est de réussir à faire survivre un maximum de membres de votre clan pendant 12 semaines. Régulièrement, des événements viendront menacer la survie des membres de votre clan : épidémies, invasion d'infectés, etc. Lorsque cela surviendra, vous devrez choisir un type d'objectif à remplir sur les parties suivant l'événement, par exemple réussir le maximum d'exécutions, de soins de coéquipiers, de mises à terre avec telle ou telle arme, etc. Plus vous en réussirez, plus vous diminuerez les effets négatifs de l'événement sur votre colonie virtuelle. Généralement, ces événements durent sur trois jours (donc trois parties) et les effets sont amoindris par paliers (3 réussites, 6 réussites, 10 réussites, etc.). Les ressources glanées au fil des parties sont ensuite décomptées pour déterminer si votre clan grandit ou diminue ; le montant de ressources se retrouve ainsi amputé du nombre de malades ou d'affamés qui devront en consommer plus pour retrouver un état sain, et si il en reste après, de nouveaux membres rejoindront votre clan, agrandissant d'autant plus le montant de ressources à ramener au fil des parties pour contenter tout le monde. Une idée absolument brillante pour maintenir l'intérêt de chaque joueur au-delà des parties individuelles, et offrir des objectifs supplémentaires puisque le seul moyen de débloquer certaines choses, c'est de réussir ce "méta-jeu". Mais les parties elles-mêmes offrent un attrait suffisant pour ceux qui ne souhaiteraient pas s'intéresser de trop près à la survie de leur clan. La tension, le côté stratégique de l'utilisation de l'écoute, l'utilité de se montrer malin, débloquer au fur et à mesure de nouveaux avantages, de nouvelles armes ou améliorations, constituer ses propres classes personnalisées... tout cela suffit à fournir à tout amateur de multijoueur "différent" une motivation à enchaîner les parties. Le système emprunte ainsi le meilleur de Black Ops 2, en permettant aux joueurs de construire la classe de leur choix via un coût de chaque arme ou capacité en points, limités à un total de 9. On peut en prendre des plus puissants mais plus chers, ou opter pour de plus nombreux avantages individuellement moins coûteux. Comme chaque action entreprise dans les parties rapporte des ressources, depuis le simple fait de marquer les ennemis (à la Assassin's Creed, en les visant et en cliquant sur R3 pour indiquer à tous pendant un certain temps leur position), jusqu'à aider ses coéquipiers, leur offrir des objets fabriqués, assister au tir, exécuter des ennemis, etc., toute coopération et tout style de jeu parvient à tirer son épingle du jeu. Une réussite inattendue pour moi, donc, mais qui joue à part entière à faire de The Last of Us un titre incontournable, en plus de son solo marquant.

Vous l'aurez compris, Naughty Dog a réussi son pari : en proposant un titre aux émotions aussi fortes que subtiles, sans jamais occulter un gameplay savoureux, entier, et aux multiples couches, le studio californien livre une expérience aussi marquante que ce qu'on en attendait. Et cerise sur le gâteau, l'inattendu mode multijoueur offre également une expérience unique, admirablement bien pensée, pour prolonger encore notre plongée dans cet univers tragique et effrayant de la survie.