Maniac Mansion, Zak Mc Kracken, les deux premiers Monkey Island : des point'n'click cultes, que l'on doit en grande partie à un certain Ron Gilbert. Effroyablement rare depuis LeChuck's Revenge, sa dernière production au sein de LucasArts en 1992, le créateur revient aux affaires pour le compte de Double Fine avec un projet qui lui trottait dans la tête depuis vingt ans : The Cave. Un jeu d'aventure - sans combats, juste des puzzles - adoptant un format 2,5D moderne façon Trine mais dont le feeling nous ramène, en quelque sorte, "au bon vieux temps".
Une caverne qui parle, c'est pas banal. Une caverne qui cause et qui exauce vos désirs inavouables si vous relevez les défis - personnalisés - qu'elle vous propose, encore moins. Du coup, tout le monde en parle, ça fait le buzz, ça clashe, et on se bouscule pour s'y rendre. Devant la fameuse grotte, ils sont sept personnages à patienter. Le Moine vient chercher un moyen de "succéder" à son maître, l'Aventurière est sur les traces d'un trésor inestimable, la Scientifique aimerait bien montrer l'étendue de son savoir pour plus de thune, la Voyageuse du temps ambitionne de "réparer" une erreur de la nature, le Chevalier a besoin d'Excalibur, le Fermier a un coeur à conquérir et les Jumeaux (qui comptent pour un personnage) voudraient juste s'affranchir du joug parental. Mais attention, mesdames et messieurs : tout le monde ne rentrera pas en même temps. Seuls trois d'entre eux sont tolérés simultanément.
Les Grotte-Trotters
Le choix de votre équipée a un impact sur votre expérience. Dans ce titre qu'on pourrait prendre pour un platformer mais qui, au final, demeure un jeu d'aventure à base de puzzles, de combinaisons d'objets, de caisses à pousser et de mécanismes éloignés à actionner en passant d'un perso à un autre à la volée via la croix directionnelle, vos héros sont amenés à traverser différentes chambres. Trois d'entre elles sont personnelles. Par exemple, le Chevalier accomplira sa quête dans un environnement médiéval où il devra récupérer, derrière un dragon, une pièce qui lui ouvrira l'accès à une princesse... qui lui donnera elle-même la possibilité de récupérer l'épée Excalibur. L'Aventurière recherchera son artefact dans une tombe égyptienne, le Moine trouve la sérénité dans un temple, etc. Différentes atmosphères très réussies pour exploiter davantage leurs capacités propres - de l'invincibilité pour le Chevalier au piratage informatique pour la Scientifique. Ce qui ne veut pas dire que le reste de la team soit délaissée dans ces moments-là. Non, le hasard fait parfois que certains pourront filer un coup de main avec leur propre pouvoir, histoire d'accélérer le mouvement. Prenez le Moine, doué de télékinésie, ou la Voyageuse du temps, capable de se téléporter derrière une paroi. Pour choper une clé, ça évite de passer par un plan de diversion bien plus long à élaborer... Mais chut, j'en ai déjà trop dit.
Capitaine Caverne
Impossible d'en balancer davantage parce que, de toute évidence, l'intérêt de The Cave réside dans le triturage de cerveau permanent qu'il propose au(x) joueur(s). Donc, à partir de maintenant, j'ai un peu votre vie entre mes mains. Il va falloir me faire confiance et me donner votre numéro de carte bleue quand je vous affirme qu'en termes de casses-tête, c'est du tout bon. Souvent barré, mais pas illogique ou inutilement stupide. Pour certains objets (un seul transporté par personnage, puisqu'il n'y a pas d'inventaire) ou certaines actions à accomplir, on cherche la connection, l'endroit, le moment. On essaye, on revient sur ses pas - et Dieu merci, les différentes chambres ne sont pas assez vastes pour que les allers-retours se montrent réellement pénibles - et puis bingo ! Vous connaissez ce petit cri : "haaaaaaaaan, c'était ça", suivi du sentiment d'avoir découvert le boson de Higgs et le remède universel à la connerie ? Il révèle une certaine qualité dans la conception. Bonne nouvelle : il sort assez souvent de votre bouche (peut-être encore plus dans la chambre de la Voyageuse du temps, je dirais). Il y a réellement une satisfaction à accomplir les bonnes connections. Comme trouver à quoi sert une pelle dans une zone minière. Les yeux sont plissés et puis l'évidence vous saute au visage. Et vous pouvez vous y mettre à plusieurs, le jeu proposant à deux voire trois personnes de participer en tenant le rôle des personnages libres. Pas forcément évident à gérer au début, la caméra ne suivant qu'un protagoniste à la fois, on recentre sur celui souhaité sans écran partagé. Mais cela autorise à un trio d'amis de répondre présent aussi bien physically que mentally. Un bon point pour la convivialité. Ajoutons à cela que la jouabilité, avec un faible nombre de boutons, des sauts sans difficulté et des décès suivis d'une réapparition instantanée, conviendra sans problème à quelqu'un qui n'est pas familier avec le joyeux monde vidéoludique. Merveilleux, n'est-ce pas ?
Les fils qui se touchent
Aussi ingénieux soit le challenge proposé, il faut une esthétique, un contexte, un enrobage, une écriture qui soit en point d'accroche. La direction artistique assure le premier contact en se montrant soignée et plaisante. Personnages et animations cartoon, détails cocasses fourmillant dans la coupe du décor et en arrière-plan, environnements variés : tout cela fonctionne à merveille. L'aspect sonore n'est pas en reste, avec des musiques Danny Elfmaniesques, des bruitages débiles et une caverne qui ponctue vos pérégrinations de remarques bien senties (grinçantes et cyniques par moment) et hilarantes - en V.O. sous-titrée. Eh oui, qui dit Double Fine et Ron Gilbert dit humour et ambiance à part. Sans doute possible, on retrouve l'esprit de ces poin'n'click d'antan auxquels on repense avec la larme à l'oeil. D'ailleurs quelques références sont là pour ajouter une couche de nostalgie. De fait, les situations absurdes, surréalistes, dignes des Monty Python, abondent. Mais la teinte est plus sombre, voire macabre. Les histoires et secrets de chacun des sept braves, que l'on découvre à travers des peintures rupestres éparpillées un peu partout, leurs buts et les épilogues n'ont rien de très joyeux. Ce qui lui donne une saveur toute particulière et donne lieu à quelques scènes surprenantes. Mais, une fois de plus, taisons-nous.
Et la re-Cave ?
Alors, autant on peut apprécier The Cave, aimer ce qu'il propose de tout son coeur, autant certaines choses font un peu de peine. Commençons par les temps de latence dans les sauts, les micro-ralentissements et les bugs empêchant parfois de ramasser un objet ou n'enclenchant pas une cinématique. Gênant. Mais ce sont la durée de vie qui font un peu de peine. D'abord, pour la relative brièveté d'une partie si l'on est une personne normalement constituée du côté cérébral. En comptant large, disons que les deux premiers runs - deux trios différents - m'ont pris plus ou moins trois heures chacun. Et le dernier, avec un seul perso inédit, moins de deux heures. Ensuite parce que la rejouabilité n'a rien d'extraordinaire. La faute à des niveaux intermédiaires, entre les chambres des héros, qui restent totalement identiques. La deuxième fois, passe encore, puisque l'on a toujours trois zones inconnues. Et quelques pouvoirs à tester, parfois. Mais lever le voile avec le septième gus exige tout de même de se retaper 80% d'éléments déjà connus. Ce qui, me concernant, a été un calvaire. De petites variantes pour entretenir le plaisir jusqu'au bout et sans redondance n'auraient vraiment, mais alors vraiment, pas été du luxe.
Comme j'ai envie d'utiliser un lieu commun, je dirais que The Cave se situe assez bien entre tradition et modernité. La tradition avec l'écriture spécifique aux anciens jeux de LucasArts, les mécanismes de l'esprit amenant à la résolution des différents puzzles ; la modernité avec cette apparence jeu de plate-forme, pour une circulation plus rapide, l'absence d'inventaire et le multijoueur jusqu'à trois. Au final, le mélange prend bien. Le titre supervisé par Ron Gilbert répond convenablement à nos attentes même si un petit pincement demeure concernant les menus problèmes de finition et cette rejouabilité pas assez soignée.