En moins de dix ans, le studio anglais Supermassive Games s’est forgé une réputation dans le domaine des séries B interactives. Des jeux horrifiques et fantastiques qui impliquent totalement les joueuses et joueurs en leur permettant de façonner eux-mêmes, jusqu'à un certain degré, le déroulement des intrigues. Après avoir sorti The Quarry et The Dark Pictures Anthology : The Devil in Me, à quelques mois d’intervalle seulement, puis le titre PSVR2 The Dark Pictures: The Switchback VR, les développeurs sont de retour avec The Casting of Frank Stone. Y a-t-il des évolutions notables dans la formule ? Est-ce que ça fait vraiment peur ? Est-ce encore un bon moyen de passer une soirée divertissante entre amis ? Voici notre avis complet du jeu qui sort aujourd’hui, mardi 3 septembre 2024, sur PS5, Xbox Series X|S et PC.
Depuis la sortie de l’excellent Until Dawn en 2015 sur PS4, qui va d’ailleurs revenir le 4 octobre 2024 sur PS5 à l’occasion d’un remake flambant neuf, Supermassive Games est passé maître dans l’art du film interactif horrifique. C’est pétri de défauts dont certains extrêmement tenaces, et pourtant, on y revient dès qu’il y a une nouvelle sortie. Un petit plaisir coupable pour une formule qui tente tout de même de gommer ses imperfections, quand bien même elle n’y arrive jamais totalement. The Casting of Frank Stone fait-il partie des bons élèves ? Il y a du potentiel, de bonnes choses… mais aussi de vraies carences.
Trois timelines pour trois fois plus de plaisir ?
L’histoire de The Casting of Frank Stone démarre en 1963 à Cedar Hills alors que Sam Green, un policier du coin, enquête sur la disparition d’un enfant qui pourrait se trouver dans l’aciérie de la ville. Mais ce qu’il découvre sur place va dépasser tout ce qu’il aurait pu imaginer. Cette introduction d’environ 30 minutes sert à créer le mythe autour du tueur en série Frank Stone qui est l’une des pierres angulaires du récit. Un préambule tout en douceur qui maltraite néanmoins sans attendre le personnage principal. Une fois ce prologue terminé, on fait un bond dans le temps jusqu’en 1980 pour suivre un groupe d’amis qui tourne un film d’horreur en 8mm dans la fameuse aciérie où beaucoup de sang aurait été versé au fil des décennies. On ne rentrera pas davantage dans les détails du scénario, mais sachez qu’il y a également une troisième timeline en 2024 avec d’autres personnages.
D’un point de vue narratif, The Casting of Frank Stone est dans le haut du panier des jeux Supermassive Games. Ne vous attendez cependant absolument pas à quelque chose d’original voire de jamais vu car vous allez très vite déchanter. Cela reprend les codes de l’horreur / du fantastique de manière ultra conventionnelle, mais la gestion des diverses timelines est assez réussie compte tenu du défi global représenté. Malheureusement, c’est très loin d’être sans défaut. Encore une fois, il y a un problème de rythme assez évident, malgré une durée de vie semblable aux titres du studio - environ 7 heures pour la première run en fouillant. Il y a de longues séquences qui manquent cruellement de dynamisme ou d’événements marquants susceptibles d’impliquer totalement le joueur. Même quand c’est censé bouger, ça reste relativement plat tout du long. On n’est jamais réellement sous tension, ne serait-ce que par rapport à l’histoire, on n’a jamais peur et on ne retrouve pas ce qui fait d’Until Dawn un excellent jeu dans le domaine du film interactif horrifique. On suit par conséquent l'intrigue avec le désir de savoir le fin mot de l'histoire, mais sans jamais être emporté.
La mise en scène n’aide pas non plus à rehausser l'ensemble, même si The Casting of Frank Stone offre certaines des plus belles scènes des productions Supermassive Games. L’esthétique est soignée que ce soit au niveau de l’éclairage, y compris avec des jeux de couleur rouge ou vert, ou de l’atmosphère années 80 pour la deuxième timeline. Mais comment ne pas se tirer les cheveux devant les transitions rêches ? Oui, il y a des améliorations, et encore, mais insuffisantes. Un problème qui ne date d'hier puisqu'on le mentionne à chaque nouveau titre Supermassive Games. De même, c’est toujours compliqué d’être pleinement concerné par le sort des personnages, et l’une des explications à cela, ce sont les graphismes perfectibles. Parfois, des parties du visage vont être très détaillées, comme les lèvres ou les yeux qui sont bluffants, et à d’autres moments, on regrettera l’absence de textures poussées d’un perso à l’autre.
Mais les animations sont bien le principal reproche qu'on peut faire au jeu. Le moindre écueil à ce niveau se voit et ça ne pardonne jamais. On en paye donc encore le prix avec des comportements robotiques par endroits ou des regards dans le vide qui décrédibilisent certaines réactions. Au moins, cette fois, la synchronisation labiale est meilleure que d'habitude. À noter que le vieux démon des textures qui popent durant les cinématiques est aussi de retour, bien que ce soit rare. Prenez garde aussi à un tearing très prononcé sur PS5 si vous jouez sans avoir installé de patch. Vraiment, faites-le, vraiment, sinon ça va être l’enfer. Ce qui n’aide pas non plus à se soucier du sort de des personnages, c’est la crédulité avec laquelle certains personnages acceptent des événements importants qui devraient les bouleverser. De ce fait, comment éprouver une quelconque empathie ?
Un jeu solo Dead by Daylight
Par rapport à The Quarry et The Dark Pictures Anthology : The Devil in Me, The Casting of Frank Stone se veut plus ambitieux dans la mesure où il s’inscrit au sein d’un univers bien établi qui cartonne : Dead by Daylight. Oui, le jeu d’horreur asymétrique avec deux équipes - celle des Tueurs et celle des Survivants - qui a accueilli des monstres du cinéma ou du jeu vidéo d’horreur tels que Ghostface (Scream), Michael Myers (Halloween), Pyramid Head (Silent Hill 2), Le Cénobite (Hellraiser) ou Nemesis (Resident Evil 3). Et c’est sans compter la galerie de vilains originaux créés par Behaviour Interactive. Un monde sanglant, violent et idéal pour ce nouveau jeu Supermassive ? Oui.
Le studio est parvenu à s’approprier la licence en la transposant dans le cadre d’une expérience solo. Les renvois, clins d'œil et éléments du lore de Dead by Daylight se fondent parfaitement dans l’histoire du titre. Par exemple, le concept de l’Entité est central dans la trame. Si vous avez poncé DbD, vous savez peut-être de quoi l’on parle, et pour les autres, on vous laisse la découverte. Pour le coup, il y a un vrai respect de l’univers et tout le délire autour du sacrifice d’humains est complètement aligné avec un jeu où les morts peuvent être légion.
Tout au long de votre périple, vous serez invités à collecter des babioles, contenus dans des petits coffres et rangés dans des boîtes à outils semblables à celles que l'on a dans le jeu d'horreur asymétrique, voire des poupées à l’effigie des Tueurs de Dead by Daylight (ex : Le Farceur, Les Jumeaux, Le Montagnard…), qui n’ont aucun véritable effet. Il faut comprendre par là que vous n’allez avoir aucune indication sur le potentiel sort des personnages comme dans Until Dawn ou les épisodes The Dark Pictures. En cherchant à explorer des lieux, vous pourrez également tomber sur un tableau d’Archie MacMillan, sur un vieux poste de télévision, sur des palettes etc. Bref, des références plus ou moins flagrantes qui percuteront directement auprès des fans de DbD.
Deux mécaniques de gameplay ont même été reprises de Dead by Daylight comme l’Instinct de Pillard. Une compétence normalement attribuée aux Survivants pour faire apparaître en surbrillance les coffres et objets de chaque carte. Évidemment, il n’y aurait aucun intérêt de pouvoir utiliser cela au lancement, c’est pourquoi cet outil n’est débloqué qu’après la première run de The Casting of Frank Stone. L’autre mécanique rapportée de DbB, ce sont les célèbres générateurs. Pour les activer, il faut d’abord les réparer en collectant des pièces dans les environnements. Lorsque c’est fait, place à une série de QTE qui reprend la même interface que celle de Dead by Daylight. Un bon ajout du point de vue du respect de l’univers, mais qui déçoit. Quand un joueur tente de réparer un générateur dans DbD, il s’expose à la mort. Ce n’est jamais le cas dans le jeu de Supermassive et c’est décevant, car ça aurait pu représenter un challenge supplémentaire.
L'illusion du choix touche aussi The Casting of Frank Stone
Hormis ces deux choses, The Casting of Frank Stone essaye moins de choses que The Devil in Me en termes de gameplay, mais ce n’est pas plus mal puisque les ajouts du jeu étaient tout sauf indispensables. Il y a bien une autre nouveauté, mais on préfère ne pas s’étendre dessus pour garder la surprise. On peut juste vous dire qu’elle est parfois liée à des chemins dans le scénario, mais que c’est peu pertinent à ce niveau étant donné qu’il est impossible de rater ces séquences trop permissives en mode Normal.
Dans ce nouveau jeu Supermassive Games, tout tourne encore des QTE et des choix effectués qui pourront bien entendu conduire à des morts bien brutales et inattendues. Tellement inattendues que vous pourrez perdre au moins un personnage dans le chapitre final si vous n’êtes pas aux augets. Mais de façon générale, comme pour The Quarry, c’est encore très permissif et le destin des personnages dépend surtout des décisions prises. Même s’il peut y avoir des surprises, on l’a appris à nos dépens, on a toujours ce gros sentiment de choix finalement illusoires car les événements ne bougent presque pas. Oui les phrases prononcées ou actions réalisées pourront vous mener vers d’autres embranchements, mais le déroulé général est pratiquement identique au point où l’on déconseille une deuxième run dans la foulée. Vous risquez non seulement de voir les limites de l'exercice, mais également de subir davantage les soucis de rythme.
De notre côté, on a fait deux parties complètes, avant de sélectionner des passages bien précis pour juger les différences. Et là déception au niveau des choix et possibilités est bien là. Ce n'est pas pour autant que vous n'allez pas aimer ces péripéties horrifiques, mais il ne faut pas s'attendre à pouvoir transformer le récit d'une partie à l'autre. Ce qui pêche encore, ce sont aussi les fins expéditives. Le studio a décidément du mal à conclure certaines de leurs histoires et les crédits arrivent un peu comme un cheveu sur la soupe.
Une fois que le générique défile, on a pourtant toujours cette envie de relancer pour observer justement les différences qui existent parmi les 185 embranchements et 16 fins promis, et continuer de savourer le côté graphique des morts. Et pour vous faciliter la tâche, The Casting of Frank Stone inclut une « Salle de montage ». Un menu qui cache une carte évolutive où les choix réalisés tout au long de l’aventure sont enregistrés. Il est ainsi possible de voir le chemin emprunté, avec le pourcentage de personnes qui l’ont suivi, et les routes alternatives. Mais surtout cette fonctionnalité, qui se débloque après une première run, permet de rejouer des séquences. Merci Supermassive Games ! Le studio évolue dans le bon sens, et ça fait plaisir, même s’il y a du travail. On aimerait que le système soit réellement plus souple dans les prochains jeux afin de pouvoir entreprendre des décisions différentes, mais sans devoir recommencer de longues scènes. Il faudrait qu’on puisse réellement retourner quelques secondes seulement avant un QTE raté ou un dialogue sélectionné. Mais l’effort est à saluer car c’est une fonctionnalité qui devrait être dans tous les films interactifs aux multiples embranchements.
The Casting of Frank Stone a aussi pensé à celles et ceux qui n’ont pas le courage de vivre l’expérience en solo. Le multijoueur en local sur un même écran est de retour, mais le nombre de joueurs est limité entre 2 et 4 cette fois. Encore une fois, c’est une option très appréciable qui se prête parfaitement au style de jeu, et malgré les défauts, vous passerez une bonne soirée entre amis. Si vous êtes steamer de métier, ou que vous aimez diffuser vos parties juste pour le plaisir, il y a également « l’Intégration Twitch ». Cela permet à vos viewers d’avoir la main sur les choix directionnels (ex : prendre à droite plutôt qu’à gauche) et conversationnels (ex : être gentil ou méchant envers quelqu’un). Les spectateurs ont même accès à des vétos, en nombre limité, pour annuler des décisions du public. Enfin, le mode Streamer évitera que votre chaîne Twitch ne saute pour non-respect des droits d’auteur en raison des musiques du jeu.