Nous en faisons l'écho depuis des mois désormais. Sans joie aucune. Embourbé dans des poncifs d'une autre époque, incapable de se réinventer, de marier technique et propos un rien mature, le RPG japonais patine sur consoles dites Next Gen. Il manque du souffle, de l'étoffe de ces aventures jadis marquantes, aujourd'hui globalement décevantes. Une triste fatalité ? Pas forcément. Aujourd'hui, sans bouleverser les codes bien établis, Tales of Vesperia pourrait bien faire souffler un vent de réconciliation avec le jeu de rôles à la japonaise. Son secret ? Miser sur un rythme soutenu, un style soigné et une impressionnante richesse. Le tout sans emphase particulière. Un maître mot : générosité...
Débutée en 1995 sur Super Nintendo, la série des Tales of est une véritable institution au Japon. Entre les différentes versions et adaptations, c'est pas moins d'une vingtaine de titres qui auront vu le jour. Une série animée a fini par consacrer une saga habituée aux million-sellers. Ainsi lorsqu'en décembre 2007, ce bastion du RPG fut annoncé comme une exclusivité temporaire sur Xbox 360, le séisme fut d'importance. Un vrai symbole qui aura permis à la console de Microsoft de connaître une rupture de stock historique lors du lancement du titre sur l'archipel en août 2008. Oui, il y a un an déjà. Depuis, aucun RPG HD japonais n'a réussi à totalement affoler les charts ou à insuffler ce parfum de légende. Infinite Undiscovery, The Last Remnant, Star Ocean The Last Hope... autant d'espoirs transformés en vague à l'âme. Mais Tales of Vesperia avance armé. Une véritable Dream Team s'étant en effet penché sur son berceau. Un design général signé par Kosuke Fujishima (mangaka de Ah! My Goddess et You're Under Arrest), une production des séquences animées assurée par Production I.G (Ghost in the Shell, Patlabor, Evangelion, Kill Bill Vol.1) et une bande-son composée par le très surbooké Motoi Sakuraba. Une armada pour un résultat qui redonne, enfin, l'envie d'y croire. Alléluia...
L'union fait la force
Yuri Lowell est jeune, fougeux, un rien cynique. Estellise est forcément belle, bourgeoise, et souhaite parcourir le monde. Un duo que tout aurait dû séparer mais que les RPG japonais adorent rassembler. Au fil de l'épopée, c'est une galerie d'une quinzaine de protagonistes qui rejoindront votre troupe, ou s'y opposeront. Riche, l'univers l'est incontestablement. D'autant qu'au-delà des fréquentes cut-scenes qui rythment l'aventure, vous aurez souvent la possibilité d'accéder à des discussions annexes étoffant le background de tel ou tel personnage. Si bien qu'au fil des heures, certains caractères un rien insupportables de prime abord (le jeune Karol !) finissent par trouver leur place. "On vit ensemble, on meurt ensemble" déclarait un grand philosophe français. Dans Tales of Vesperia, l'osmose du groupe constitue en tout cas l'une de ses plus belles forces à défaut d'un scénario à la maturité exacerbée. Un soupçon de naïveté, quelques soubresauts de férocité, des retournements de situations après une bonne dizaines d'heures et quelques séquences qui resteront gravées dans la mémoire des joueurs. Rien de culte, mais une efficacité suffisante pour être soulignée...
Croiser le fer
Utilisant une version améliorée du système de combat employé dans Tales of the Abyss, les joutes rivalisent de dynamisme. Tout d'abord il est possible d'éviter (ou de forcer) les affrontements, les ennemis étant visibles à l'écran. La manière dont les acteurs entrent dans les duels aura d'ailleurs un impact. Avantage ou handicap si par exemple plusieurs ennemis se sont simultanément jetés dans la bataille. Autre bonne idée, contrairement aux traditionnels combats au tour par tour, Tales of Vesperia offre un large terrain de jeu dans lequel vous allez pouvoir évoluer librement. Quatre personnages peuvent être utilisés en combat. Vous en dirigerez un, tandis que l'IA se chargera des suivants. Frustrant certes, mais plutôt bien équilibré. D'autant qu'il est néanmoins possible de leur conférer des alignements tactiques ou de gérer leur motivation au combat. Si vos déplacements s'effectuent globalement sur un seul plan, il est à tout moment possible de passer en Free Run et de se mouvoir librement. Mais c'est lorsqu'il s'agit de multiplier les combos que le système de jeu dévoile sa substantifique moëlle. Il existe ainsi de nombreux attribus à booster permettant de déclencher de super-attaques : l'Overlimit (se charge au fur et à mesure des coups), le Fatal Strike (un coup définitif) et les Arte (techniques de combat spéciales). Un système de Skills à faire progresser permet aussi d'augmenter les capacités de ces partenaires, mais rien de bien original ici. Ce qui l'est plus c'est la manière dont le système de combat s'étoffe au fil de l'aventure. En effet si en début de partie, les joutes ont tendance à se limiter à des techniques répétitives, de nouvelles capacités, et de nouvelles jauges de furie, apparaîtront au fur et à mesure pour rendre le tout plus dense et tactique.
Envie d'ailleurs
Mais un RPG est avant tout un voyage. Une épopée fantasmagorique. À ce titre, bienvenue dans un véritable anime interactive. Un Cel Shading brillant par son intégration et ses délicates couleurs pastels, malgré des textures parfois un rien trop lisses. L'identité visuelle reste cependant aussi évidente qu'envoûtante. Dommage cependant que la mise en scène ne se montre pas plus nerveuse. Les réalisateurs japonais préférant définitivement les longs travellings, à une science du cadrage plus nerveuse. Le style pousse finalement à la contemplation et permet de faire travailler son imagination un peu plus que dans d'autres productions très (trop ?) calibrées. Les créateurs auront aussi préféré rythmer plus les événements que leur présentation, un choix finalement des plus respectables. En effet, son énergie, Tales of Vesperia la puise sans conteste dans sa folle fuite en avant. Toujours un nouveau lieu à visiter, un nouveau périple à entreprendre, un personnage à découvrir... Les allers-retours se révèlent ainsi assez rares et les explorations souvent éclairs. L'ajout d'une carte 3D apporte aussi une vraie respiration. Partir à la conquête de cet univers où jour et nuit alternent, longer les bords de mer, s'approcher de grandes forêts... un vrai plaisir trop rare ces derniers temps. Mais bien que généreux dans son contenu, avouons que Tales of Vesperia se montre aussi relativement paresseux lorsqu'il s'agit de dépoussiérer réellement le genre. C'est un fait. Mais ne boudons pas notre plaisir. Celui de retrouver une aventure longue, et par moment diablement haletante, un système de combat nerveux à souhait et une réalisation qui donne vie à un véritable dessin animé interactif.
La platitude des voix anglaises (et l'absence des voix originales japonaises), des compositions parfois un peu trop redondantes (Sakuraba ad nauseam), un démarrage un peu longuet avant la réunion des protagonistes principaux et un classicisme relatif constituent les principaux écueils de cette quête au long cours. Comptez en effet une bonne quarantaine d'heures.
Malgré ses imperfections, Tales of Vesperia dispose de ce supplément d'âme qui ne s'explique pas, donnant cette envie irrépressible de poursuivre son exploration. Un titre qui prend le temps de jouer sur la contemplation, sur les émotions, sans oublier de faire tinter l'acier. Férocement d'ailleurs. Chevaucher des dragons, voguer à travers les mers, repousser les assauts de hordes sauvages, sillonner des contrées inexplorées... le tout assorti d'un zeste d'insouciance et de magie... Oui, c'est dans ces moments là que le RPG japonais parvient à nous propulser loin, vers des contrées habitées par l'imaginaire. Un mythe ne vient pas de naître, mais le voyage est beau. Pour être franc, cela faisait longtemps que je n'avais pas vu le temps suspendre son vol. Le temps, par exemple, de voir un arbre revivre, ses pétales s'épanouir, et le vent souffler dans un monde subtilement mystérieux.
Ailleurs... aujourd'hui sur Xbox 360 et demain sur PS3 (en septembre prochain au Japon).