J’ai tenté plusieurs approches pour essayer d’amorcer cette introduction de test. Habituellement, pour les jeux de la trempe de Tales of Kenzera ZAU, il suffirait de dire que l'industrie part en sucette et abuse de la première lettre de l’alphabet pour vendre ses blockbusters, tandis que la scène indépendante brille bien plus fort avec bien moins de budget. J’aurais pu vous survendre la poésie qui émane de chaque plan, les thématiques poignantes traitées intelligemment ou encore l’univers et son OST, tout bonnement extraordinaires. Mais Tales of Kenzera est un jeu que l’on prend plaisir à aborder avec douceur et même une certaine tendresse.
Avant d’avoir la possibilité de le prendre en main, le jeune Surgent Studio nous expliquait que Tales of Kenzera était un titre un peu spécial. Très en réalité. Après avoir prêté sa voix à Bayek dans Assassin’s Creed Origins ou encore ses traits dans plusieurs œuvres, l’acteur, et désormais chef de projet, Abubakar Salim a décidé de passer à l’étape suivante :celle de la création de son propre jeu vidéo. Un titre qu’il nous confiera être très personnel puisque inspiré de son propre vécu. Un jeu de plateforme “afrofuturiste” qui épouse avec légèreté la recette éculée du metroidvania. Et c’est à l’abri, sous l’aile chaleureuse du label EA Originals que Tales of Kenzera ZAU est né, dans l’ombre de ceux qui l’ont précédé, comme le génialissime It Takes Two.
Touchant, personnel, intime... le jeu surprend avec sa narration
Tales of Kenzera ZAU partage d’ailleurs une chose avec le titre de Josef Farès, ce sont tous les deux des jeux faits avec les tripes, ça se voit, ça se sent. Résultat, c’est qu’en tant que joueur, c’est extrêmement plaisant à ressentir également et ça fait un bien fou par les temps qui courent. Des jeux qui se foutent royalement de ce que l’on peut bien penser d’eux, qui ont une vision, qui nous l’exposent avec sincérité. It Takes Two voulait être une expérience à 100% coopérative et il l’est, ça lui a plutôt bien réussi d’ailleurs. Tales of Kenzera ZAU lui, a un tout autre objectif, celui de partager un message d’amour et d’espoir. Le jeu est même à coup sûr un exutoire pour son créateur.
Il s’ouvre en Afrique, dans le futur, aux abords d’une ville hyper développée. L’architecture africaine et les nouvelles technologies se marient entre elles pour donner naissance à Kenzera, la Wakanda de cet univers. On y incarne Zuberi, un jeune homme qui apparaît sur un balcon, les yeux perdus dans le ciel, la gorge nouée.
Alors que l’on se déplace instinctivement dans la seule direction possible, notre adulte en devenir passe devant une porte, le bureau de son baba, son père, décédé il y a peu. La douleur est vive, la confrontation avec la réalité n’est pas encore possible. Sa mère lui tend alors un conte, écrit par son paternel. Un ultime présent légué à son fils et c’est là que notre voyage commence. Par le prisme de Zuberi, nous incarnons Zau, le héros du conte.
Un jeune chaman qui se lance dans une quête folle, celle de libérer plusieurs grands esprits pour les offrir au Dieu de la Mort et ainsi sauver son baba d’un éternel repos. La métaphore n’est pas très subtile et elle ne cherche pas vraiment à l’être, ce n’est pas vraiment son objectif. L’idée ici n’est pas de faire miroiter la fin que l’on voit venir à des kilomètres, mais plutôt de nous montrer le voyage, l’évolution du jeune héros qui essaie de surmonter l’insurmontable. On aurait pu ne pas rechigner sur un traitement un peu plus dilué, que le jeu prenne un peu plus son temps pour poser ses personnages et toutes ces émotions. Mais c’est ici un choix assumé des développeurs, pas une erreur. La narration est donc maîtrisée de bout en bout. Tales of Kenzera est extrêmement touchant, c’est bien écrit et très prenant. Je ne l'aurais pas cru venant d’un metroidvania, je ne m’y attendais pas, c’est dit.
Entre classique et dépaysement
Nous vivons un conte, ou une bande dessinée comme aime le dire le directeur du jeu, Abubakar Salim, et Tales of Kenzera est donc écrit comme tel. On plonge en plein dans la culture africaine, ses croyances, ses coutumes… le dépaysement est instantané. Et pour renforcer davantage l’immersion, il est possible de passer le jeu en Kiswahili, la langue locale. Par ailleurs, le doublage, peu importe la langue choisie, fait largement le travail.
Tales of Kenzera Zau a beau être un metroidvania, il est aussi très bavard. Il ne sera pas rare d’être arrêté dans son élan pour qu’une petite séquence cinématique prenne le relais quelques secondes voire même quelques minutes. Certains trouveront que le rythme en prend un coup, ça peut être le cas si l’on reste hermétique à ce qu’il se dit, mais dans ce cas, c’est le jeu complet qui ne devrait pas vous plaire.
Il a beau reprendre une recette que l’on connaît désormais très bien, Tales of Kenzera Zau n’est pas qu’un bête metroidvania. Alors oui, sa structure pourrait prétendre le contraire puisque si on le prend à froid, le jeu n’a rien de très original. Le level design est relativement sage, même pour du metroidvania qui se veut labyrinthique et ouvert, ici on se sent presque guidé constamment et poussé en avant. Pourtant, la carte est vaste. Les environnements sont drastiquement différents les uns des autres et pourtant bien interconnectés et l’on devra même faire quelques allers-retours entre les régions une fois certaines capacités débloquées. Mais le jeu se fait très vite, un peu moins d’une dizaine d’heures dans mon cas, trop vite peut-être.
On est rarement bloqué par un puzzle ou une phase de plateforme et il est impossible de se perdre. Tales of Kenzera se fait littéralement d’un trait. Alors, jeu trop court ou au contraire, si bien fait que l’on ne perd pas de temps ? La question se pose. En tout cas, on aurait aimé un peu plus de consistance, d’autant que l’exploration n’est pas vraiment incroyable. Hormis quelques messages audio, et des bonus tout à fait dispensables, on n’a pas grand-chose à trouver en sortant des sentiers battus. Pourtant, le jeu n’est pas non plus extrêmement facile, au contraire, certains passages demanderont quelques essais avant d’être réussis, mais malheureusement ce n’est pas pour de bonnes raisons.
Des imprécisions crispantes
La principale difficulté de Tales of Kenzera réside dans ses imprécisions et ça, autant on peut aimer tout le reste, ce n’est pas possible. Les phases de plateforme souffrent par exemple parfois de la lisibilité quelque peu compliquée des décors. Trop de détails, beaucoup de couleurs… pour peu que l’on soit en plus poussé à courir lors d’une course-poursuite par exemple, les morts accidentelles deviennent monnaie courante. On rate un saut, on mange des pieux que l’on ne voyait pas… Il y a aussi ces maudits scripts impossibles à prévoir qui transforment certaines séquences en die & retry franchement désagréables, d’autant que la gestion des checkpoints est assez chaotique. On pense notamment à un certain boss qui nous pourchasse durant de longues minutes.
Une séquence haletante, mais aussi très énervante puisque le moindre faux pas est puni d’une mort immédiate et d’un retour à la case départ. Insupportable et clairement pas nécessaire. Il en sera de même pour les combats en arène. On sera souvent poussé à combattre à huis clos plusieurs vagues d’ennemis, trop de vagues. C’est assez rébarbatif et une fois encore, un trépas vous fait recommencer l’intégralité de la séquence. Si le bestiaire n’est clairement pas des plus variés (une dizaine d’ennemis tout au plus), il est tout de même redoutable.
On doit faire avec des créatures qui volent, qui nous foncent dessus ou nous tirent des projectiles au visage sans compter les explosions ou les affections comme le feu ou le poison. Certains ennemis ont même parfois des boucliers d’énergie qu’il faudra faire exploser avant de pouvoir infliger des dégâts réels, le tout en changeant constamment de pouvoir. C’est un peu le bazar, même si c’est grisant, mais ça demande surtout pas mal de ressources et lorsqu’on affronte 3 ou 4 vagues successives dans une toute petite arène et ce, plusieurs fois dans tout le jeu… c’est usant.
Un gameplay grisant, mais qui n'expose pas tout son potentiel
Pourtant, le système de combat est réussi. Très classique encore une fois, mais il fait mouche. Notre chaman dispose de deux pouvoirs, deux masques qui lui permettent de changer son alignement : la lune ou le soleil. Vulgairement, on a d’un côté le pouvoir de la glace, axé sur le combat à distance et le contrôle de foule, et du feu, plutôt orienté vers les dégâts massifs et le combat au corps-à-corps. Les deux alignements sont sans cesse sollicités, parfois au sein d’un même combat.
Attaques légères et lourdes sont accompagnées de quelques compétences offensives à débloquer en cours de route. J’en tairai volontairement les effets histoire de vous garder la surprise. Sachez simplement que les compétences sont relativement nombreuses et qu'elles vous seront également utiles en exploration. Vous pourrez enfin améliorer la puissance de tout cela en distribuant des points de compétences dans un arbre dédié que vous glanerez naturellement en avançant. Comme Tales of Kenzera est relativement court, vous ne serez assurément pas mis en difficulté là non plus.
Le gameplay est donc fourni et réussi, mais très classique. Pas de pouvoirs extravagants ni de choses que l’on n'a pas vues ailleurs, on a même déjà vu bien mieux et bien plus inspiré. On a une palette de mouvements plutôt honnête que ce soit pour se battre ou explorer le monde qui nous entoure, mais on sent que le plein potentiel de nos capacités n’est jamais exploité. On a bien des combats ardus et des phases de plateformes qui nous demanderont de jongler entre plusieurs pouvoirs rapidement, mais on a malheureusement vite fait le tour et ça se répète souvent. On a presque l’impression que cet aspect était quelque peu secondaire.
Tales of Kenzera mise vraiment sur son voyage et son message plus que sur le développement de son gameplay qui, lui, fait le nécessaire pour nous tenir éveillés, mais ne va jamais au bout de son potentiel. D’un autre côté, ça nous permet aussi de profiter de tout le reste. Si le level design n’est pas le coup de couteau qu’on attend en général dans ce genre de production, il offre en revanche un dépaysement à tous les instants. Le deuil et toutes ses phases sont aussi représentés dans les environnements. Les couleurs, les subtilités de la direction artistique, les plans… Visuellement, c’est sublime.
Le jeu ne cherche pas à en faire des caisses techniquement, et mise plutôt sur ses rondeurs et sa palette de couleurs qui semble tout simplement infinie. C’est très inspiré, souvent contemplatif, un régal pour les yeux, mais pas que. La bande-son est elle aussi assez incroyable. Les sonorités africaines, semblant venir d’un autre âge, rencontrent des instruments plus modernes. L’OST épouse parfaitement la narration, renforce certaines séquences poignantes, ou rend des combats absolument épiques, notamment les boss qui en prime profitent d’une mise en scène qui détonne.
Le résultat est sans appel, on se régal. Cerise sur le gateau, Tales of Kenzera est une pépite à découvrir dès sa sortie sur PS5 dans le PS Plus Extra et Premium.