Les JRPG si simples, si purs, sont devenus tellement rares qu'il serait dommage de passer à côté de Tales of Graces, déjà le douzième (!) jeu de la série.
Je vais vous confesser une activité ludique avec mes amis joueurs de JRPG qui essayons de suivre de près cette industrie : tout faire pour se souvenir des noms des héros des "Tales of". Le nom complet, sinon ça ne serait pas drôle. Lloyd Irving, Reid Hershel, Cress Alban ou encore Luke fon Fabre. Essayez, c'est vraiment plus compliqué qu'il n'y parait. Qui se souvient encore de "Yuri Lowell" du pourtant très apprécié Tales of Vesperia qui a beaucoup profité qu'il était le seul gros RPG japonais HD au même moment. Le truc, ce n'est pas que les blases des héros "Nomuresques" de Final Fantasy soient plus mémorables, c'est juste qu'il y en a moins. Le douzième jeu de la série. Avant d'écrire cette article, j'avais déjà oublié le sympathique "Jude Mathis", médecin qui se bat à mains nues dans Tales of Xillia, le treizième, pourtant sorti il y a moins d'un an au Japon. Et Grand Dieu, il fallait être limite maniaque pour se souvenir d'Asbel Lhant, orthographe correcte incluse. Sauveur du jour de Tales of Graces, il a gardé pourtant une place particulière dans ma mémoire. Parce que celui-là, c'est un bon.
Generations of Doom
Il y a une technique qu'utilisent souvent les grands RPG pour donner une dimension épique à leur histoire, c'est le "time jump". Le changement d'époque, c'est une manière radicale de donner de l'épaisseur à un monde et à des personnages. Déjà du temps de la Megadrive, c'est Phantasy Star III qui m'avait fait le coup la première fois, en permettant d'incarner plusieurs générations d'une même famille. Dragon Quest V, mon préféré, décrit la lutte d'une famille à travers les âges contre le Mal, rien que ça. Même Mother 3, peut-être le meilleur RPG de la décennie passée, proposait de sauter quelques années, histoire de mettre son monde étrange en perspective, une société où le temps de cerveau disponible a été aliéné. Dans Tales of Graces, après quelques bêtises de gosse, un échec personnel et quelques heures de jeu, Asbel Lhant va décevoir sa famille. Il ne va pas reprendre le flambeau de son père, un châtelain local droit dans ses bottes, et choisira de s'engager dans un ordre de chevalerie. De ces petites gamineries à la fin de sa formation, il s'écoulera quelques années qui vont tout changer.
La Grande Famille
Un frère qui lui fait la gueule pour son absence, un royaume en guerre et surtout une fille ingénue aux pouvoirs mystérieux, tout les éléments sont réunis pour un Tales aux contours modestes. Comme si feu-Tales Studio disposait d'un set de persos dont on s'amuserait de faire et défaire les clichés, comme pour cette Sophie, une fille aux cheveux violets qui trainent à hauteur de semelles et qui découvre la vie comme si son esprit venait de rebooter. Modeste aussi dans son ampleur, l'aventure compte peu d'environnements et on sera obligé de les revisiter assez souvent. Mais en ne forçant pas trop la dimension épique, en évitant les métaphores pas toujours heureuses sur le racisme comme dans les Tales précédents, "Graces" resserre habilement son intrigue sur le drama.
Drama King
Tales of Graces aura bientôt deux ans. Il faisait partie de cette catégorie un peu triste qu'on appelait "beau pour de la Wii", comme toute une génération de softs cultes qui sont passés à côté du succès parce qu'ils n'était pas aussi HD qu'on l'aurait voulu. Pas de problème, la version PS3 dite "F", la seule à sortir en occident aujourd'hui, est donc la version complète, scénario supplémentaire inclus. Il ne faudra pas s'étonner de l'aridité visuelle, à peu près du même calibre que Vesperia. C'est le choix de la série : au lieu de perdre du temps à faire des cheveux comme ceux de Lightning, si beaux qu'on a envie de les bouffer, les "Tales of" vont vers l'abstraction "japanime". Les comédiens de doublage font ensuite la différence dans cette commedia dell'arte nippone, dont seuls les japonais connaissent le secret.
Le JRPG néo-classique
Pour ceux qui s'inquiéteraient encore alors que tout, TOUT, est fait pour les rassurer dans Graces, précisons quelques choses. Supprimant les "points de magie", les combats sont suffisamment simples pour ne pas se prendre la tête sur les combos, et l'IA de nos autres personnages n'en est que plus fiable. On peut aussi se la jouer technique, avec des tonnes d'Accel Mode, de Chain Capacity, mais il est vraiment plus intéressant de noter que la grille d'évolution des personnages est très proche des mythiques Materia de FFVII. Un modèle de technique que Namco Bandai prend tellement au sérieux qu'ils donnent à chaque fois un nom ubuesque à leur système. Ici, c'est SS-LMBS, pour Style Shift Linear Motion Battle System, assez capillotracté pour mériter d'être retenu. Le combat, viscéral comme un Dragon Quest qui aurait pris du crack, marque vraiment l'identité de la série. Quelle ironie, quand je repense à certains joueurs déjà trop old-school qui les trouvaient déjà trop orienté action, il y a 15 ans, quand la série commençait à peine. De la Wii à la PS3, en 2012, ils l'auraient bien dans l'os, de découvrir que les Tales of sont devenus une espèce de label de qualité à l'ancienne.
Au Japon, le JRPG se partage en trois royaumes : Dragon Quest qui fait dans l'expérience participative (DQX, 3 jours de jeu au moment où j'écris ces lignes), les Final Fantasy qui essayent de jouer dans la cour du spectaculaire 5.1 et puis, plus modestes, les Tales of, devenus la vigie des RPG japonais à l'ancienne. Ils peuvent être bardés de clichés tout ce qu'ils veulent, ils sont la version modernisée et confortable de ces aventures 16-bits qu'on aimait avant que les gens se mettent à cyniquement se moquer de ses poncifs. Ils sont devenus un genre à part, quelque part entre le Western et le conte initiatique, mais avec des aventuriers aux grands yeux et des filles kawaii. Et en se recentrant sur des drames familiaux, Graces est sans doute le Tales of le plus simple mais aussi le plus attachant qui soit sorti depuis des lustres.