L’empreinte laissée par Akira Toriyama, le fabuleux créateur de Dragon Ball, a largement dépassé les frontières du manga papier. L'œuvre de sa vie, démarrée en 1984, a très vite été adaptée en anime avec le succès qu’on lui connaît. Mais ce qu’on oublie souvent, c’est que le mangaka a aussi grandement inspiré le monde du jeu vidéo. Le character design de Blue Dragon, Chrono Trigger ou Dragon Quest, c’est lui (en partie). Il était donc évident, qu’un jour ou l’autre, un autre de ses ouvrages ferait l’objet d’une nouvelle production vidéoludique. Et c’est le livre Sand Land qui a été choisi par Bandai Namco et ILCA Inc pour une adaptation. Voici notre avis complet avant la sortie le 26 avril 2024 sur PS5, PS4, Xbox Series X|S et PC.
Akira Toriyama a passé la plus grande partie de sa vie aux côtés de Goku, Gohan, Vegeta, Piccolo et toute la galerie mémorable des personnages de Dragon Ball. Même s’il a été découvert avec Dr Slump en 1980, c’est bien grâce à sa saga culte qu’il a su créer et cultiver son mythe. 20 ans plus tard, en 2000 donc, Toriyama-san embraye sur une licence complètement originale : Sand Land. Une très courte histoire pour laquelle l’auteur a pu exprimer son intérêt pour le côté militaire, notamment les tanks, et qui a aujourd’hui pleinement embrassé le concept de transmédia.
Après le manga, la série Disney+, le jeu vidéo Sand Land
Après Pokémon Diamant Étincelant et Perle Scintillante, ou encore One Piece Odyssey, ILCA Inc adapte le manga Sand Land d’Akira Toriyama en jeu vidéo. Une grande première pour ce récit qui n’était pas spécialement destiné à exister au-delà de son unique tome papier. Mais nous voilà plus de vingt ans plus tard avec une série animée Disney+, un film d’animation et une production vidéoludique qui reprend les scénarios de ces deux projets - et même une nouvelle édition du bouquin en 2024.
On fait ainsi la rencontre de Beelzebub, le Prince des Démons, un fan de jeux vidéo qui est interrompu pendant une session par un humain, le shérif Rao. Que peut-il bien vouloir d’important pour s’adresser à une espèce qui n’est vraiment pas la bienvenue dans cet univers, et qui est crainte par les humains ? Le marshall a besoin d’alliés redoutables pour atteindre une mystérieuse source d’eau située au sud du territoire. Une ressource vitale pour sauver Sand Land, ses habitants et effacer les mauvais souvenirs d’une guerre meurtrière menée par des personnes déterminées à contrôler ce monde.
Voilà pour les grandes lignes que vous connaissez peut-être déjà si vous avez eu l’opportunité de lire le manga ou de visionner la série Disney+. Un scénario simple, mais agréable, qui traite notamment de l’homme et de sa quête de pouvoir, de la place de l’eau dans l’écosystème et dans la vie des êtres vivants etc. Mais tout cela est évidemment abordé avec une dimension humoristique, que ce soit dans le film sorti au Japon, le show télévisé ou en l'occurrence le jeu vidéo Sand Land. Globalement, ILCA Inc a bien fait ses devoirs et propose une adaptation à l’échelle 1:1 dans les grandes lignes. C’est donc extrêmement fidèle et le charme originel est intact. Un premier bon point, mais qui s’embourbe malheureusement dans une narration maladroite, et une mise en scène trop souvent terne. Si vous avez lu le manga, vu l’anime - indisponible en France - ou la série, alors vous ne serez pas perdus. D’autant que, comme on l’a dit, le récit n’a rien de complexe.
Mais étrangement, alors qu’on a un support où les développeurs peuvent pourtant s’offrir un temps d’exposition généreux, certains dialogues manquent et brouillent légèrement la compréhension des événements. Ce n’est pas d’une grande gravité - on est (très) très loin des raccourcis honteux d’un Dragon Ball Z Kakarot -, mais on a tiqué sur cela à plusieurs reprises. En revanche, c’est plus problématique lorsque des événements ou personnages complètement inconnus sont présentés de façon abrupte et express. Car oui, le jeu vidéo Sand Land ne se borne pas à n’être qu’une adaptation du manga d’Akira Toriyama. Il y a tout un pan entièrement nouveau qui reprend là où s’arrête l'œuvre originale, et qui vise à étendre l’un des éléments scénaristiques abordés dans cette dernière.
Un peu de Dragon Ball, Dragon Quest, beaucoup de Toriyama
En plus de Sand Land, le joueur est invité à découvrir Forest Land. Une zone plus petite, mais plus vivante, où la nature a gardé ses droits et est luxuriante. Et ce n’est pas un simple lieu prétexte à introduire des missions secondaires ou des activités, mais bien un territoire sous contrôle de nouveaux protagonistes mal intentionnés. Un personnage inédit, Ann, rejoint même le Prince des Démons dans son aventure pour rétablir la paix. Pour le coup, c’est un très bel ajout qui montre cette volonté de poursuivre l’héritage d’Akira Toriyama. Une addition qu’on retrouve exclusivement dans cette adaptation, et dans la série d’animation Disney+.
C’est donc super ? Oui et non. De toute évidence, vu la structure du jeu, les développeurs devaient étoffer l’histoire pour éviter un jeu trop « court » - qui aurait été d’environ 10 heures - avec des enjeux jugés peut-être trop limités. Et au moins, ils le font avec un contenu qui se défend. Mais on a toujours ce souci de non-dit ou de phrases lâchées en plein milieu d’une conversation bateau avec une musique d’ascenseur en fond. C’est dans ces moments-là que les faiblesses de mise en scène sautent le plus aux yeux.
On pourrait davantage pardonner si Sand Land était capable de nous en mettre plein la vue avec des scènes épiques. La vérité, c’est qu’avec le potentiel, c’est décevant. Le Prince des Démons, Beelzebub, qui est l’être le plus puissant après son père Lucifer, n’a pas l’occasion de laisser s’exprimer toute sa puissance. Quitte à prendre des libertés, on aurait aimé que des séquences appuient bien plus le côté shonen. D’autant que les équipes sont capables de produire de belles choses, y compris au niveau de la mise en scène. Certains passages très cools visuellement se finissent trop rapidement, comme dans l’anime cela dit, alors qu’on n’attend qu’une « surenchère » pour nous réveiller et équilibrer le rythme en dents de scie où, en dehors de l’histoire principale, il ne se passe pas grand-chose si ce n’est rien d’intéressant. Des réactions, comme l’échec d’un boss durant un affrontement, sonnent également faux fréquemment.
Les développeurs restent timides et ne capitalisent pas assez sur leur rendu graphique dément pour offrir des cinématiques à la hauteur du potentiel de Sand Land. C’est presque un gâchis d’ailleurs tant le jeu est magnifique. Alors oui, les plus taquins diront que le cel shading fait le plus gros du boulot, et c’est vrai, mais on s’en fiche. On perçoit quelques limites, comme le clipping à l’entrée de Forest Land par exemple, mais c’est peu par rapport aux graphismes dans leur ensemble. C’est l’un des plus beaux titres dans le domaine aussi bien au niveau des personnages que des environnements. L’effet du mirage dans ce gigantesque décor désertique ou encore le soleil permettent de briller les paysages. Alors oui, il y a forcément une répétition des panoramas dans la première partie, mais c’est logique puisqu’ils subissent la sécheresse due à la guerre qui s’est produit il y a des dizaines d’années.
Mais on a cependant des touches ici et là pour apporter de la variété, avec des compositions qui reflètent une vie passée et les conséquences de l’offensive qui a lieu. Et puis en dehors de ces petites touches, il y a suffisamment d’éléments comme des cascades, de la verdure et d’autres environnements pour ne pas se lasser. En cela, le segment de Forest Land offre une bouffée d’air frais par-dessus tout. Un vrai spectacle qui sait masquer les limitations, et montrer une fois de plus la maîtrise des productions Bandai Namco qui ont recours au même style artistique. Bon, par contre, évitez de regarder au loin arrivé à Forest Land sous peine de saigner des yeux avec l’horizon maritime en JPEG. Mais le coup de cœur est également ailleurs.
Même si le jeu est pétri de défauts de mise en scène et de narration, il dispose d’un réel capital sympathie. On a pris du plaisir à revoir Beelzebub et ses camarades, et à vivre quasiment une aventure Dragon Ball inédite. Parce que oui, si le manga a eu du succès, c’est en partie dû au fait que la patte de Toriyama est visible à des kilomètres, et que les clins d'œil à l'œuvre de sa vie sont légion. Prenons Beelzebub par exemple. Sous ses airs de méchant se cache un démon tendre, mais arrogant, qui rappelle très clairement la personnalité affirmée d’un Vegeta. Ses couleurs rose, bleu, jaune, violet évoquent Majin Boo. Le petit vieux Thief est un peu le cousin éloigné de Tortue Géniale, certains ennemis se rapprochent énormément de Cell (dans sa première forme) ou de Freezer (dans sa variante mecha), et que dire de Lucifer ? C’est juste le jumeau de Dabra en fait. Ni plus ni moins. Les habitations d’une certaine race ou même certaines éléments du paysages comme les roches renvoient elles aussi à Dragon Ball encore et toujours.
Mais il y a également beaucoup de Dragon Quest chez les PNJ, dans le look de la nouvelle héroïne Ann ou avec le slime qui vit avec Beelzebub et les autres démons. Le character design, le rendu graphique ou ne sont pas les seules qualités. On l’a dit, la fidélité est l’un des gros points positifs et ça passe par le rappel du casting vocal du film ainsi que de la série. Ainsi, vous continuerez d’entendre Mutsumi Tamura pour la voix de Beelzebub ou encore celle du légendaire seiyu Akio Otsuka pour le père du démon, Lucifer. Il s’agit du comédien derrière les différents Snake dans la saga culte Metal Gear Solid. Les doublages sont donc irréprochables, contrairement à l’OST. La bande originale est malheureusement totalement oubliable, sans thème marquant, et qui recycle des partitions très classiques. Mais si vous n’êtes pas familiers avec cette création ou les travaux d’Akira Toriyama, est-ce que Sand Land vaut la peine d’être joué malgré les errances commises ?
La force militaire ou des ténèbres ? Les deux !
En voilà une question délicate ! Au risque de spoiler un peu hâtivement notre conclusion, on peut désormais confirmer que Sand Land entre bel et bien dans la case des jeux « satisfaisants » , voire « bon sans plus » suivant vos goûts et vos attentes, mais c’est tout. La faute à une formule trop classique qui souffre des problèmes mentionnés. On a par conséquent un action-RPG assez conventionnel pour Bandai Namco, avec un game design déjà vu, qui prend place sur deux cartes ouvertes. Ce n’est pas un monde ouvert à proprement parler - et ce n’est pas plus mal -, même si les zones sont parsemées des choses que l’on pourrait trouver dans des open worlds standards.
Et si l’on apprécie grandement l’univers et déambuler dans les décors à la Mad Max - pour la partie Sand Land -, difficile de s’investir dans les missions annexes proposées. On se retrouve à explorer des ruines finalement assez peu développées, à se farcir divers monstres (raptors, crocodiles…) pour décrocher une prime (argent et/ou ressources), sauver des habitants en danger sur le pouce, ou encore à participer à des courses avec les véhicules pilotables du titre. Les quêtes secondaires, qui permettent vite d’enrichir le lore, manquent totalement d’entrain. Très souvent, ça se résume à délivrer des matériaux, mais surtout aller rendre visite à des PNJ pour les convaincre de déménager jusqu'à la ville en reconstruction. N’attendez pas de petits récits avec des missions à tiroirs - à plusieurs couches -, c’est vite expédié et ce n’est pas plus mal l’un dans l’autre. Cela évite d’étirer le voyage encore plus de manière artificielle.
Une fois recrutés, ces PNJ vont en effet aider à reconstruire le monde avec une zone sécurisée remplie de boutiques qui sont principalement utiles pour le combat armé. Il y a bien une échoppe pour aménager un coin douillet, avec des meubles, pour se sentir comme chez soi, mais le gros des magasins est pensé pour améliorer les véhicules de Beelzebub. Et servir un peu plus la narration par la même occasion. Si vous espérez donc avoir un aspect gestion d’une communauté et de votre habitat, oubliez tout de suite, ce n’est pas l’objectif. En plus des affrontements à pied sur lesquels nous allons revenir, Sand Land accorde effectivement une attention toute particulière aux véhicules. C’était déjà le cas dans le manga et ça prend une dimension encore plus importante dans le jeu. Si l’on doit les catégoriser, il en existe deux types : les bolides pour se déplacer et ceux pour se battre. Même si, en vérité, tous sont équipés de pétoires pour se défendre.
La moto et la jeep sont ainsi à prioriser pour bouger rapidement sur les maps. Le tank et l’armure de combat sont plus à l’aise pour des batailles à courte ou moyenne portée avec leur puissance de frappe sans commune mesure. Le robot-sauteur permet d’accéder sans mal à des points beaucoup trop hauts pour le prince des ténèbres, tandis que l’hovercar favorise les déplacements sur des secteurs inondés. Chacun de ces véhicules, et d’autres que vous serez amenés à débloquer, a donc ses propriétés et peut être invoqué à tout moment en lançant une capsule - coucou Bulma. Il faudra de ce fait jongler entre tous ces engins en fonction de la situation.
Le feeling est très arcade, mais le curseur aurait pu être poussé encore plus loin, surtout avec le tank. C’est un blindé, donc il est normal que la conduite ne soit pas complètement souple, mais la maniabilité peut s’avérer trop hasardeuse lors de combats de boss par exemple. Les systèmes de visée de la moto ou de la voiture sont une plaie totale et ne donnent pas envie de tenter d’éliminer des adversaires « coriaces » avec. En revanche, le point positif, c’est que l’on ressent la montée en puissance comme pour le personnage principal. Et pour cause, la personnalisation des véhicules est très importante, même si elle tarde à vraiment décoller et à prendre réellement sa place. Il faudra attendre plus de 20 heures de jeu pour pouvoir looter à foison des pièces « Épique », « Légendaire » ou « Mythique » qui agiront sur la conduite ou la puissance de feu avec tout un système de statistiques modifiables par le joueur. À tout moment avec une rétroactivité. Si vous pensez avoir mal gérer votre customisation, vous aurez une chance de vous rattraper pour améliorer des points plus importants.
En dehors des combats motorisés, Sand Land verse dans la castagne pure et dure. Beelzebub possède une attaque moyenne, une lourde (chargée ou non) et d’un « truc épique » pour saisir l’adversaire, le faire tourner et l’envoyer valdinguer plus loin lorsque celui-ci est sonné après un enchaînement de coups. C’est vraiment d’une accessibilité déconcertante et c’est un des défauts de ce gameplay à mains nues. Les possibilités de combos sont réduites à leur plus simple appareil, et les pouvoirs assez peu nombreux en définitive. Pourtant ceux qui se battent en duel sont plutôt chouettes et permettent enfin d’apercevoir davantage la force de Beelzebub. Comme lorsqu’il arrache une grosse pierre du sol pour la balancer sur un rival, qu’il se rue sur une proie ou qu’il passe en mode furie - avec l’attaque et la défense qui sont alors fortement augmentés - ou qu’il puise dans l’énergie des ténèbres pour créer une explosion qui envoie valser les ennemis à proximité.
C’est véritablement lorsque l’on déclenche ces capacités qu’on ressent un potentiel sous-exploité. Alors oui, notre prince peut s’améliorer certaines de ses caractéristiques (santé, esquive aérienne…), mais trop insignifiant. Les habiletés des compagnons - Rao, Thief et Ann - peuvent aussi être utiles afin de réaliser plus de dégâts, de réparer son véhicule en combat ou encore d’aspirer les ressources sans descendre de son tacot. Mais vu que les ennemis n’offrent que très peu de résistance, sauf si vous tentez d’aller à certains endroits dans la dernière partie sans être au niveau, ça ne change pas non plus la donne. En soi tout ce gameplay n’est pas mauvais, on dirait un simple copié-collé basique de ce qu’on a pu voir pour d’autres productions du même type. Pour terminer, on confirme aussi notre sentiment sur les phases d’infiltration imposées ou facultatives : ce n’était pas nécessaire. C’est du die & retry, certes accessible, mais sans grand intérêt tant les possibilités sont absentes. On s’y attendait, mais bon, ça fait toujours souffler quand même.