Après un dernier volet, Agents of Mayhem, vivement critiqué, la saga Saints Row s’est accordée un long repos de cinq ans. Une mise au vert pour faire table rase du passé et repartir sur de nouvelles bases plus saines avec un reboot (il paraît que c’est à la mode). Un retour censé être plus sage et surtout redonner ses lettres de noblesse à la licence.
Ce GTA-like qui se prend bien moins au sérieux que le mastodonte de Rockstar a-t-il rempli sa mission ? Est-ce la bouffée d’air frais que l’on pouvait attendre de cet été caniculaire ? Malheureusement, ce Saints Row 2022 d’apparence vraiment fun est gâché par une multitude de défauts dont une finition qui entache le plaisir de jeu.
Start-up nation
Nos premiers pas dans Saints Row se font en tant que jeune recrue de Marshall Defence Industries, l’un des trois gangs criminels du jeu avec les Idols et Los Panteros. Mais malgré notre statut de bleusaille, on nous donne de quoi décimer des dizaines et des dizaines d’ennemis dès le départ. Après des débuts pourtant prometteurs aux côtés de cette structure, c’est la chute. Un job qui tourne au fiasco conduit le patron de Marshall Defence Industries à nous virer sur le champ sans même un seul dollar d’indemnité. Un gros coup dur pour notre personnage qui se retrouve sans argent du jour au lendemain et se met à déprimer seul(e) dans son lit. Le pire est cependant à venir à son réveil : le toaster qui permet de faire chauffer l’unique gaufre du congélateur tombe en panne. Une chose en amenant une autre, notre personnage suggère une idée de génie à ses colocataires : fonder son propre gang et en devenir le Boss. C’est avec ce postulat qu’il faudra gravir les échelons et se faire une place dans le monde de Santa Ileso, une ville fictive inspirée de Las Vegas avec son centre qui brille de mille feux et ses environs désertiques.
Dans l’ensemble, la série continue de ne pas se prendre au sérieux et tant mieux puisque c’est ce qui lui a permis d’avoir son identité et de ne pas être que le cousin un peu débile de GTA. Que ce soit à travers les dialogues, les personnages rencontrés, les situations ou les actions possibles, on s’est marrés plus d’une fois. D’autant que ça ne verse plus dans le très grand n’importe quoi jusqu’à l'écoeurement. Le tout est donc plus digeste et agréable sur la durée… même si on regrette parfois cette retenue. Mais il y a deux énormes problèmes : beaucoup de choses inutiles au début du jeu ruinent complètement le rythme, tandis que le reste de l’aventure va trop vite. En se concentrant sur les missions principales avec des à-côtés obligatoires et optionnels, ça ne prend qu’une dizaine d’heures pour en voir le bout. À tel point qu’on a été « choqué » d’être averti du déclenchement de la dernière mission aussi rapidement. Une sensation d’un prologue qui s’étire en longueur. De même, on passe d’un QG vétuste, une église en ruine, à une demeure clinquante en un rien de temps. Aucune évolution croissante. Et toute l’activité de construction d’entreprises n’y change rien…
Bâtir son empire dans Saints Row
Pour espérer faire le plein de gaufres dans le congélo et se procurer un toaster flambant neuf pour les cuire, il va falloir gagner de l’argent et acquérir de l’expérience à la dure. Ça passera par les traditionnelles missions principales et secondaires, mais surtout par l’achat de terrains vagues pour y construire des entreprises toujours illégales dans le fond. C’est en effet le seul moyen d’obtenir un salaire quotidien récurrent pour bâtir sa fortune et son empire. On a par exemple la société où l’on doit transporter des déchets toxiques à travers la ville sans heurter quoi que ce soit (peu passionnant), le garage pour qui il faut voler un nombre de voitures défini tel Memphis dans 60 Secondes Chrono, un commerce de « nettoyage » ou encore un jeu de rôle grandeur nature insensé où le héros/l’héroine sort ses meilleurs « pew pew » en tirant avec une arme factice et en étant habillé avec des armures en carton (barres de rire garanties en particulier avec un personnage féminin). Et puis il y a notre établissement favori de très loin : la Fraude à l’assurance avec son principe délirant, très bête mais tellement marrant. Un classique de Saints Row. Le concept ? Se jeter sous les roues de tous les véhicules possibles pour qu’ils nous écrasent et ainsi percevoir les dommages-intérêts liés à nos blessures. Mais c’est même un brin tactique puisqu’à chaque fois qu’on est envoyé dans les airs, il faut tenter de rebondir sur les voitures pour les exploser dans le but ultime de faire s’envoler le multiplicateur de score. Le parfait exécutoire !
La dimension d’acquisition de propriétés est intéressante sur le papier… mais pas son application en jeu. Hormis à deux-trois reprises où l’on nous force à en acheter pour faire avancer le scénario, le tout paraît constamment superflu. Jamais personne ne viendra remettre en cause notre expansion et conquête de Santo Ileso, alors que cela aurait pu être une excellente opportunité d’organiser une vraie guerre de gangs et de territoires. En conséquence, on se dit que Saints Row fait moins bien à ce niveau qu’un jeu PS2 sorti en 2002 : GTA Vice City. Il y avait pourtant matière à faire aussi bien si ce n'est mieux. On ne demandait pas à être interrompu toutes les deux missions pour aller défendre une propriété, mais un entre-deux était possible. Au-delà de la construction de business, le titre comporte différentes activités annexes comme les « Menaces » qui peuvent prendre diverses formes. Un camion banalisé de flics à faire sauter, une bande à neutraliser etc. En effectuant ses tâches, le quartier sera libéré et les revenus issus des sociétés augmenteront. On est également amené à transporter des véhicules en hélicoptère, à des courses-poursuites à la Mad Max Fury Road / Uncharted 4 (le budget en moins), à fouiller des poubelles pour du butin, à récupérer et revendre des palettes de drogues, à abattre des criminels recherchés… Pas mal de choses pour une map à taille humaine.
Un côté arcade pour le coup très réussi
Si Saints Row est une déception à ce stade, le côté arcade et la personnalisation viennent contrebalancer cette expérience amère. Même si cet épisode est plus modéré que ses prédécesseurs, il conserve heureusement ce feeling arcade. Les équipes de Volition ne sont à aucun moment en quête de réalisme et ça se voit. Foncer sur une borne d’incendie nous propulse n’importe comment dans les airs, se ruer sur une butte permet d’effectuer un backflip ou frontflip avec tout type de bolides, sauter d’un immeuble en wingsuit pour rebondir sur les passants… Une physique absurde qui participe à l’humour du jeu. Les gunfights comme la conduite sont également résolument arcade et on retrouve ce petit plaisir d’antan davantage comparable aux anciens Grand Theft Auto par exemple. Les développeurs auraient pu toutefois mieux doser le dérapage, bien que ce soit à notre sens un parti-pris. Pas maligne pour un sou, l’IA se contente de faire mal et rien d’autre. L’ampleur stratégique des combats vendue lors des présentations n’aurait pas dû être autant mise en avant. Car à part un ennemi bien pénible où l’on doit attendre qu’il arrête de se protéger et des boucliers à briser plus facilement en visant la tête, on ne voit pas le challenge et encore moins la véritable diversité entre les factions. Tant pis, on se contente de gunfights nerveux et sans prise de tête. Old school !
On dispose d’un panel d’armes classiques et parfois plus inventives comme l’os géant pour frapper les adversaires, la mallette lance-roquettes d’Antonio Banderas dans Desperado ou d’un parapluie façon Harley Quinn. En revanche, adieu la batte-gode de Saints Row the Third. Ses outils de mort s’ajustent au fur et à mesure avec des améliorations accessibles - contre de l’argent - auprès de la chaîne de magasins Friendly Fire, et des capacités dites « signature » (ex : faire de plus dégâts sur les voitures, infliger des dégâts de zone…). Au fil de la progression, on peut également débloquer des Atouts (tir au jugé plus précis, attraction automatique des dollars et des munitions…) et des Aptitudes assignables aux quatre boutons de la manette (Triangle, Rond, Croix, Carré). Au programme : un coup de poing enflammé, un piège à impulsion pour lancer un dispositif anti-gravité qui envoie les ennemis en l’air ou même « l’Ananas Express » où l’on glisse tranquillement une grenade dans le pantalon d’un opposant avant de le balancer sur ses camarades.
Enfin, notre Boss peut asséner des coups fatals lorsque la jauge prévue est remplie. À nous les exécutions façon John Wick, star du catch etc. En termes de personnalisation, si l’éditeur de personnages est assez généreux, avec des profils préexistants, on reste sur notre faim en matière de vêtements. Quant au pimpage des bolides, il y a aussi pas d'éléments pour se faire plaisir et transformer des épaves en bête de course.
Une co-op essentielle pour faire oublier les bugs
Parcourir Saints Row en solo ou en co-op à deux en ligne changera la perception du jeu. Clairement, c’est nettement plus amusant en multijoueur. On peut par exemple taquiner son collègue en lui faisant une farce et le métamorphoser en cabinet de toilettes, en cactus et autres trucs improbables. Comme le montre notre capture maison, cette pénalité reste durant les cinématiques. Être accompagné permet d’oublier le classicisme du titre mais surtout sa finition plus que douteuse. Nous avons bien eu une liste des problèmes repérés par les développeurs mais ceux auxquels nous avons fait face n’étaient pas dedans. Un festival de bugs qui semblait encore plus grave en coopération. Outre le plantage d’application, on a eu le droit à des musiques coupées pendant des missions (sympa pour l’immersion), des dialogues et des freezes obligeant à tout redémarrer et recommencer. Trop banal ? On est d’accord ! Alors il y a eu ce souci où notre confrère nous voyait dans sa voiture… tandis que nous étions de notre côté à l’extérieur du véhicule en train de nous faire écraser par ce dernier. Les deux dernières fois que nous avons rallumé la console, notre personnage était complètement nue. Sans compter le fait qu’en allant dans une boutique, il nous était impossible d’essayer un vêtement à de nombreuses reprises…
Et là, on ne parle que des pépins techniques… mais cet opus peine également à convaincre visuellement. Entre la distance d’affichage hasardeuse, le clipping ou des décors peu détaillés, on est souvent devant un soft de la génération passée voire celle d’avant. On se doute que le budget alloué n’est pas celui d’un AAA ultra célèbre, mais un meilleur contrôle qualité aurait été nécessaire. Les temps de chargement, aussi courts soient-ils, sont trop présents. La mise en scène n’est pas non plus épargnée avec des coupures brutales lors des cinématiques.