Tester Resident Evil 6, voilà un exercice bien périlleux. Car on ne touche pas à n'importe quelle saga. Il s'agit d'un monument, d'une institution qui déchaîne les passions depuis 16 ans déjà. Le nom pèse, intrigue, suscite l'attente. Certains pardonnent ses errances, acceptent que l'action ait largement pris le pas sur le frisson, pourvu qu'ils aient leur dose. D'autres, nostalgiques des premières moutures, pleurent le frisson perdu. Capcom a dépensé une énergie folle pour que ce sixième volet soit le plus réjouissant jamais sorti. Une sorte de menu best of censé mettre tout le monde d'accord. Mais l'idée que se fait l'éditeur nippon de sa franchise est-elle en adéquation avec ce que les fans, dont certains ont été profondément déçus par Resident Evil 5, espèrent ? Et surtout, dans l'absolu, sans même avoir ne serait-ce qu'effleurer un des épisodes précédents, se trouve-t-on face à une expérience de qualité? Difficile de répondre catégoriquement...
Si vous êtes un véritable mordu de la mythologie Resident Evil, que vous en connaissez jusqu'au plus insignifiant point de scénario, vous avez toutes les raisons de frétiller. Car, tout de même, Capcom propose pas moins de quatre campagnes jouables. Et aux côtés de personnages historiques ou très intimement liés à la firme Umbrella et à ses tentatives de flinguer le monde à l'aide d'armes biologiques. Tout d'abord Leon S. Kennedy, agent des services secrets américains qui va, en compagnie de la ravissante Helena Harper, se retrouver dans un remake de l'apocalypse de Raccoon City. Ensuite, Chris Redfield, soldat du B.S.A.A. à la mémoire trouble depuis une triste mission en Europe de l'Est. Tapant un peu trop dans la gourde, il va refaire surface grâce à un subalterne, l'idéaliste Pier Nivans, et tenter d'empêcher une catastrophe dans une mégalopole chinoise. Puis ce n'est pas moins que Jake Muller, fils caché d'Albert Wesker qui, escorté par une Sherry Birkin adulte, devra échapper à un drôle d'assaillant désireux d'étudier son sang, visiblement porteur d'anticorps bien costauds, dans une contrée imaginaire d'Europe de l'est. Que des binômes, donc, sauf dans le cas de la dernière campagne, débloquée une fois les trois premières pliées. Là, vous dirigerez, en solo, la délicieuse et mystérieuse Ada Wong, pas étrangère aux différents évènements traversés par le reste du casting... Quoiqu'il en soit, la trame globale, qui réunira quelques fois les différents acteurs (pour le moins attachants et dont le doublage français se montre convaincant, même si l'on préférera la V.O.), propose plusieurs points de vue intéressants et se révèle assez bien ficelée. Bon, ce n'est pas Magnolia ou Pulp Fiction non plus, hein. Mais attendez-vous à quelques bonnes surprises et révélations.
Sept à la maison des horreurs
Passée l'émotion des retrouvailles, on se rappelle que Capcom nous avait promis différentes approches liées à chacune des campagnes, de façon à satisfaire le plus grand nombre. Jusqu'ici, au travers des différentes démos essayées, les contours étaient largement visibles. Leon pour un retour aux sources et de l'angoisse, avec des munitions en faible nombre ; Chris pour la partie bourrine ; Jake si l'on aime l'idée de fuir un mastodonte invincible ; Ada, en dessert, histoire de retrouver le sentiment de solitude et davantage de puzzles. Après plus de 35 heures de jeu et un retournement en règle de chaque aventure (comprenant chacune cinq chapitres), je crois pouvoir affirmer que les schémas annoncés n'ont rien de définitifs. Leon commence bien avec des zombies à l'ancienne, dans une atmosphère pesante, lugubre, à la recherche de munitions bien rares. Les planchers qui craquent, le tonnerre qui gronde, les bestioles qui surgissent ou se lèvent sans prévenir, oui, il y a. Mais pas tout du long. Une sorte d'inversion des tendances s'opère avec Chris. Le bellâtre à la mèche folle va rapidement se trouver au coeur de situations plus musclées, plus extravagantes. A l'inverse, le militaire va peu à peu se retrouver isolé. Sans pour autant oublier de lui demander de vider ses chargeurs. Même constat pour Wesker Junior, en fuite, certes, mais bien souvent obligé de faire parler la poudre. Quant à Ada, d'accord, elle baigne dans une atmosphère plus intimiste, mais ce n'est pas la poignée d'énigmes ou les rares phases d'infiltration qui éclipsent la réelle volonté des développeurs. De toute façon, il vaut mieux ne pas se focaliser sur une seule expérience. C'est un tout qu'il faut parcourir en long, en large et en travers. Bref, malgré quelques tentatives (trop perceptibles et assez peu convaincantes, avouons-le) de vouloir nous faire sursauter, on retient que les concepteurs ont surtout cherché, et le scénario abracadabrantesque s'y prête très bien, à nous en mettre plein la gueule avec de l'action à outrance.
Flinguerbouger.fr
Puisque la principale activité du jeu demeure de dézinguer de l'infecté ou du zombie, la nécessité de refondre le gameplay et le rythme sclérosés de Resident Evil 5 paraissait évidente. Enfin, même si Revelations avait cela dit déjà montré la voie, un épisode canonique permet de tirer tout en bougeant ! Il est également possible de se mettre à couvert, de piquer des sprints et partir en glissade au sol ou sur des obstacles, esquiver soit sur place, soit par des roulades, et de terminer le travail en position allongée. Enfin, pour changer d'arme, on ne passe plus par un inventaire riquiqui et inapproprié coupant dramatiquement notre élan ! Enfin, des raccourcis pour récupérer un peu d'énergie ou combiner automatiquement les herbes ! Enfin du répondant au corps à corps - limité par une jauge d'endurance - pour économiser ses munitions ! Tant de choses dont la série avait besoin depuis longtemps ! Surtout face à des hordes plus nombreuses, fondant sur le joueur bien plus rapidement que dans les premiers volets, parfois équipées elles aussi d'armes de guerre, et des boss toujours plus imposants et mortels. Manifestement, Resident Evil 6 met de l'huile dans des rouages grippés et permet d'envisager les affrontements avec plus d'assurance, d'options. D'une certaine manière, grâce également à des antagonistes exigeant une bonne dextérité et une recherche permanente des points faibles ou non-couverts, il s'agit des plus dynamiques et plaisants qu'ait connu la saga. Voilà déjà une bonne chose, pour un titre qui ne se cache jamais d'être un TPS explosif et hollywoodien. Mais si l'on regarde un peu autour ce qui se fait dans le genre, on perçoit comme un bouleversement dans la Force.
Les années 2000 ont appelé, elles veulent récupérer leur TPS
En s'engouffrant un peu plus dans le terrain du TPS, Resident Evil 6 aurait du savoir qu'il allait être comparé. La concurrence en la matière est féroce. Ceux disposant de la panoplie complète du jeu de tir à la troisième personne ont clairement un train d'avance. Face à des Max Payne, Uncharted ou Gears of War le jeu de Capcom apparaît bien désuet. Visuellement, attention, malgré quelques textures un peu criardes, l'ensemble tient largement la route. Des décors variés et plutôt soignés, des effets de lumières de bonne facture, des explosions à gogo, des modélisations (notamment les zombies, bien crades) et animations réussies : c'est loin de paraître dégueulasse. En revanche, en termes de technique et de game design, on note une somme très importante d'aberrations. Comment expliquer, en 2012, qu'un héros capable de défoncer une porte blindée à coup de tatanes et de survivre à des chutes de 50 mètres après douze crashs en hélico et une fête de la bière aux côtés d'un mutant équipé d'une tronçonneuse soit obligé de faire le tour d'un bâtiment à cause d'un mur invisible ayant pris la forme d'une pile de cartons à bananes ou d'un simple cordon ? Comment tolérer prendre autant d'explosions dans la tronche dans des environnements certes jolis mais affreusement statiques, sans aucune réaction physique autre que celle commandée par un script grossier ? Que l'on évolue dans un long couloir, et que les puzzles se comptent sur les doigts d'une main, soit. Mais un peu de cohérence dans une progression ultra-balisée n'aurait pas fait de mal. Et un rythme moins haché, aussi. Les chargements sont omniprésents (surtout sur notre version 360, que nous ne pouvions installer sur notre disque dur) et fracassent trop souvent une sensation d'immersion fragile. De même que des cut-scenes absolument inutiles qui nous font lâcher la manette pour... regarder les protagonistes ouvrir une porte sous un autre angle. Pour le coup, en plus de s'inspirer du HUD et du "GPS à objectifs" de Dead Space, Capcom aurait pu aussi piocher l'idée d'économiser une mise en scène bidon et garder la caméra derrière l'épaule dans le cadre d'actions anodines...
Altruiste mais maladroit
En dépit de sa générosité, en termes de variété (QTE convenables et stressants, phases diverses allant de la course-poursuite à la furtivité), de contenu (7 personnages aux parcours différents, du coop en splitté ou en ligne, les modes Mercenaire et Chasse à l'homme, les défis de residentevil.net, les capacités pour progresser plus facilement, etc.) et de situations rocambolesques, Resident Evil 6 souffre de tares qui seraient rédhibitoires pour n'importe quel autre projet. La maniabilité, bien qu'assouplie, demeure assez rigide comparée aux canons du genre. Se mettre à couvert, par exemple, est contraignant, peu intuitif en termes de prise en mains. Achever un ennemi au sol demande un placement trop précis. Et encore, souvent, notre avatar refusera le coup fatal immédiatement. Je ne vous parle pas de certaines phases ratées, impliquant la conduite d'un véhicule ou de la natation... La caméra, un peu trop proche, parfois changeante, occasionne des approximations fort pénibles. N'oublions pas enfin l'Intelligence Artificielle somme toute discutable, tant côté allié qu'ennemi. Entre des compagnons quelques fois à la traine et une opposition apathique qui vous laisse étonnamment peinard lorsque vous vous faites réanimer, il y a de quoi hurler. Et se dire que, même en pardonnant, parce que c'est Resident Evil et qu'on en veut toujours plus, il y avait beaucoup mieux à faire pour un jeu aussi ambitieux et programmé pour plaire à un large public.
Resident Evil 6 a une chance inouïe, celle d'avoir un nom, un historique qui nous amènent à nous attacher à lui. Je ne me leurre pas : si j'ai apprécié, et c'est le cas, sincèrement, cela relève du "fanboyisme". Le plaisir de retrouver Chris, Leon, Ada, d'entendre à nouveau le nom d'Umbrella, de buter des zombies et des streums de toutes sortes, le contenu assez extraordinaire : voilà ce qui m'a permis de parcourir l'ensemble sans décrocher. Reste que, face à d'autres productions du genre, il n'y a pas photo. Ce Resident, bien que meilleur que le cinquième, apparaît daté, décevant à plus d'un titre. Mais peut-être que, comme moi, l'amour vous rendra aveugle. Après tout, on pardonne les pires ignominies à un Deadly Premonition. Peut-être qu'au contraire, le nom Resident Evil ne vous suffira pas et que ses défauts vous repousseront. Une chose est sûre : cet épisode va aussi diviser. Personnellement, je préférais quand la série faisait l'unanimité...