Les mecs, ils ont inventé le genre. C'est id Software, quoi ! Doom, Quake, Wolfenstein, c'est eux. John Carmack, l'un des meilleurs codeurs de moteurs 3D du monde, est leur directeur technique et co-fondateur. Alors quand ils lâchent enfin leur nouveau jeu, qui plus est une nouvelle licence, et doté de leur nouveau moteur (l'idTech 5), on bave d'impatience. Est-ce que ça valait le coup d'attendre depuis 2004 (Doom 3) ? Plutôt, oui.
N.B. Test réalisé à partir d'une version finale Xbox installée sur le disque dur.
Qu'il est difficile de se réinventer, et de tenir la dragée haute, en tant que pionnier, à la concurrence féroce qui s'est attachée à dépasser, raffiner, améliorer, réviser un genre qu'on a inventé. C'est ce qu'id Software s'est pourtant efforcé de faire avec RAGE, son dernier né, qui représente un risque important pour le développeur à plusieurs niveaux. C'est une nouvelle licence (toujours une difficulté commerciale de plus), dans un genre ultra couru, c'est leur premier développement multi-support et console (les précédents titres avaient été sous-traités), et c'est l'ambassadeur de leur nouveau moteur graphique. C'est aussi du post-apocalyptique, une mode un peu passée, et la première introduction de gameplays tout nouveaux pour le studio... Trop d'un coup ?
On y va, les gars
Si on excepte la fin de la campagne solo, incongrue tant elle arrive d'un coup et s'avère très clairement baclée, sans génie, sans boss, sans climax, id Software est bien parvenu à soigner son jeu dans ses moindres aspects, même ceux qui n'étaient pas dans leur zone de confort habituelle. Ils ont pris le temps pour le faire, c'est certain, mais le résultat est là : qu'on soit en véhicule à parcourir le Wasteland en atomisant au passage les bolides agressifs des bandits locaux, à pieds à explorer les deux plus grosses villes qui servent de "hub" aux missions, savourant leur architecture unique, leur ambiance, leurs habitants et leurs activités, ou dans les "donjons", à massacrer du bandit, du mutant ou les soldats de l'Autorité, presque rien ne sonne faux. On prend du plaisir à chaque moment, parfois au pic d'une furie destructrice vibrante au volant, parfois à haleter, craintif, dans de sombres couloirs qu'on s'attend à voir envahis par des mutants féroces et rapides, ou à découvrir quelque vanne subtile dans une conversation avec un personnage vaquant à ses occupations. L'impression d'entrer dans un monde cohérent se loge ainsi dès le départ dans l'inconscient du joueur, et c'est, en grande partie, grâce à une direction artistique sans faille, portée par un visuel de toute beauté... même s'il n'est pas sans défauts.
id "Take 5"
Impossible de ne pas prendre de temps à autres 5 minutes pour s'extasier devant les décors de RAGE. C'est tout bonnement sublime, et même si sur console on sera régulièrement agacé par un affinage des textures très apparent dès qu'on bouge la caméra vite, la modélisation des personnages, des décors, l'architecture post-apocalyptique raffinée des zones sauvages comme des installations humaines (qu'elles soient technologiques comme celles de l'Autorité, ou de fortune comme celles des survivants) a tout ce qu'il faut pour forcer le respect. C'est authentiquement beau, et au travers de la spécificité du moteur utilisé et de ses fameuses Gigatextures, c'est surtout grâce à la finition "à la main" ; c'est comme s'il n'y avait pas deux cailloux pareils. Car finalement pour le reste, c'est comme les autres ténors du genre : pas plus de polygones, pas plus de shaders ou d'effets spéciaux, juste une densité du détail et un travail de raffinement uniques. Du coup, le convenu du post-apocalyptique tellement décliné auparavant s'évapore à la première vision du Wasteland. Pour faire simple, RAGE offre à mon sens le meilleur traitement visuel qui soit du post-apocalyptique classique à la Mad Max... A l'exception notable de certains recoins (comme la ville-fantôme) dans lesquels on a la sensation qu'ils ont oublié les textures par endroits.
On ne s'ennuie pas dans le Wasteland
Et ça tombe bien, car en explorant ce monde sublime, on trouvera un bon paquet de petites choses à faire, en plus de l'histoire principale. Il y a des jobs et quêtes secondaires, qui permettent de revisiter certains donjons dans d'autres conditions (avec d'autres types d'adversaires) et surtout d'obtenir des formules et autres goodies qu'on ne pourrait pas avoir autrement. Il y a les courses féroces, par ligues, de plus en plus difficiles, et qui alternent courses contre-la-montre, contre concurrents, armés ou non, etc. La simple exploration pour trouver ces fleurs rares qui permettent de faire des munitions spéciales, par exemple. Les mini-missions des égouts ; commencer par trouver les entrées, puis nettoyer tout ça. Tenter des sauts de l'espace pour heurter avec sa voiture les drones de l'Autorité qui se cachent au quatre coins du Wasteland. Jouer aux cartes avec un petit jeu de collection, sorte de Magic ultra simplifié mais plutôt prenant, dont les meilleures cartes sont évidemment cachées au coeur des différents "donjons". Il y a aussi les paris tous simples sur l'échiquier des mutants, ou encore la participation au parcours mortel de Mutant Bash TV pour le pognon, la gloire, ou le frisson. Bref, on ne s'ennuie pas dans le Wasteland, et je ne saurais trop vous conseiller de bien en profiter, avant d'arriver à la fin. De prendre votre temps, car une fois qu'elle sera passée, il ne vous restera plus que le multijoueurs.
4 roues, 4 joueurs, 2 jambes, 2 joueurs
Côté multi, id Software a de nouveau opté pour une offre bicéphale. D'un côté, les courses à 4 en réseau à bord des véhicules, pour le compétitif, et de l'autre, des "légendes du wasteland", mini-scénarios coopératifs à jouer à deux, armes au poing. Pour les premières, il faudra composer avec 6 circuits déclinables en 4 modes : Rallye météore (récupérer des météores et les ramener en zone de capture pour marquer), Rallye en chaîne (capture de points de passage apparaissant plus ou moins aléatoirement sur un circuit pour marquer), Rallye triade (capturer trois points de passage consécutifs pour marquer), et Carnage (un bon combat chacun pour soi des familles dans lequel on marque en tuant les autres joueurs). Pour les secondes, 9 mini-scénarios sont disponibles, jouables en local (écran splitté) ou en ligne, et qu'il faudra débloquer les uns après les autres, chacun offrant entre 20 et 40 minutes de jeu. L'ensemble du multijoueur offre des médailles à déverrouiller au travers de ses prouesses, et côté rallyes, un système de progression par niveaux suit mode, pour débloquer nouveaux bolides et options d'équipement, tandis qu'on se contentera de scores (avec divers bonus pour les tirs à la tête, les massacres, etc.) pour le coop. On peut aussi faire les légendes du Wasteland en solo, mais succès et scores ne seront alors pas enregistrés ; en revanche, cela offre un challenge nettement plus important à surmonter (surtout en cauchemar). Globalement, si les légendes du Wasteland ne sont pas extraordinairement intéressantes, les courses sont une bonne dose de fun vu le joyeux foutoir que c'est et la progression disponible, mais quoiqu'il arrive, le multi de RAGE n'est certainement pas sa plus grande force, même s'il exploite bien des mécaniques de jeu qui sont, elles, particulièrement soignées.
Une histoire de matos
Car pour revenir au coeur du sujet, une autre grande force de RAGE, c'est basiquement toutes les mécaniques de gameplay, qui composent harmonieusement une formule efficace. Outre le level design qui offre un grande variété visuelle mais tourne un peu en rond structurellement même si c'est pour la bonne cause (permettre de sortir rapidement du donj' une fois l'objectif atteint), tout concourt à rendre l'expérience coulée, fluide et plaisante, avec une progression maîtrisée jusqu'au début de la dernière ligne droite. Les armes sont variées, pas trop nombreuses, soignées et progressent en fonctionnalité comme en efficacité au moyen des diverses munitions qu'on peut découvrir. De la balle blindée pour cibles armurées, aux carreaux d'arbalète psychiques qui permettent de prendre possession des ennemis pour les faire exploser à proximité de leurs potes, en passant par les cartouches explosives ou électromagnétiques du fusil à pompes, l'arsenal semble parfait. A ses côtés, l'artisanat fait tout ce qu'il faut pour épauler le joueur tout en offrant des solutions de soutien variées : robots-araignées en accompagnatrices fatales, tourelles automatiques, wingsticks vorpales, grenades et autres bonus aux dégâts ou à la régénération de santé doivent être découverts puis fabriqués (à tout moment) au moyen de ressources glanées un peu partout ou achetées aux marchands. Les véhicules eux-mêmes peuvent être améliorés avec des certificats de course à récupérer grâce à des quêtes continues (nettoyer le Wasteland de bandits véhiculés), ou en remportant des courses. D'autres bonnes idées parachèvent l'ensemble, comme le défibrillateur qui permet de se relever d'un mauvais pas au moyen d'un mini-jeu d'adresse en temps limité, pour obtenir une seconde chance. Globalement, le jeu reste plutôt facile pour les habitués, et requiert une bonne douzaine d'heures pour être complété, éléments facultatifs compris (mais pensez à sauver souvent, il n'y a pour seuls checkpoints automatiques que les entrées et sorties de zones).
J'ai donc pris beaucoup de plaisir à goûter à un FPS un peu en marge des productions actuelles du genre, qui offre plus que de la fusillade en couloirs ou en arène tout en restant défoulant, dans un univers réussi et ambitieux visuellement. Dommage pourtant qu'il se finisse en eau de boudin car la qualité globale de l'exécution, et les débuts de l'intrigue laissaient présager du meilleur, de bout en bout, mais id devra se contenter cette fois d'avoir livré un excellent titre et non un chef d'oeuvre.