Dans New Super Mario Bros. 2, notre plombier laisse tomber le masque pour laisser s'exprimer son envie de caillasse. Mais l'argent pourrit-il vraiment les gens ?
Testé à partir d'une version import aimablement prêtée par Trader.
Je ne voulais pas vous la faire "de mon temps", mais tant pis. De mon temps, la sortie d'un Mario était un moment d'exception et pas seulement parce qu'on ne pouvait l'avoir qu'en cartouche. Une jouabilité minutieuse, le défi total, un rendez-vous d'autant plus doux qu'il était rare dans nos souvenirs. Et puis, quelque part après Sunshine, entre les Galaxy, les New et son 3D Land, quelque chose a changé. Existant aussi bien en dur qu'en dématérialisé, New Super Mario Bros. 2 est désormais promis à du contenu téléchargeable avant même sa sortie, un comble pour une série où tout semblait calculé dans ses moindres pixels. De jeu en jeu à un rythme soutenu, la carrière métronomique de Mario se démultiplie comme un Rocancourt en cavale. A chacun son Mario.
Le Golden Age
Quand j'avais 12 ans, je passais des heures à jouer à "la Nintendo" de mon pote Olivier. Au collège, j'étais plutôt Sega comme garçon, et rares étaient les gus qui possédaient les deux consoles. Mon pote avait alors trois jeux : Top Gun qui était injouable, Slalom qu'on trouvait assez risible et Super Mario Bros. qu'on a, en toute logique, squatté durant nos après-midis jusqu'à l'hématome du pouce. Mais si je me souviens de ces moments sponsorisés par Nesquik, c'est que, sur ce template absolu du jeu de plateformes, nous avions deux styles différents. Je jouais pour finir le niveau, attraper le drapeau et éventuellement sauver la princesse quand elle daignait se trouver dans le bon château. Mon ami, lui, jouait "la pièce". Il était capable de risquer ses vies pour attraper le moindre sou. Deux décennies plus tard, c'est sans doute à lui que s'adresse New Super Mario Bros. 2.
"One million troops. Wow"
Dès le début, le jeu nous prévient : il faudra récolter 1 million de pièces si l'on veut prouver qu'on est un homme. Pourquoi un million ? Pourquoi pas deux ou trois ? Finalement ça n'a plus d'importance, car seule compte la valeur emblématique du jackpot. Combien de joueurs iront réellement au bout de ce défi aussi absurde qu'il peut être éreintant, on ne le saura pas non plus. Les équipes de Nintendo n'ont même plus à se soucier de la technique, c'est la même physique que le "New Wii". Il n'y a donc plus qu'à laisser dérouler le design, cette harmonie dont l'éditeur semble seul détenir le secret, avec de-ci de-là quelques petites trouvailles. Il faut voir comment ils se sont amusés à placer les pièces dans les niveaux, à la limite du casse-tête, jamais décourageant mais laissant toujours planer la possibilité d'une réussite dès le premier coup. Toujours la grande classe.
Tout l'or du monde
Mais comparé à l'arsenal de costumes d'un Galaxy, la panoplie de New Mario 2 ressemble à celle d'un percepteur d'impôts. Tout est prétexte à la multiplication de l'or. La brique dorée que Mario enfile sur sa tête crache des pièces au moindre saut tandis que la fleur dorée transforme les victimes de ses boules de feu en déluge pécuniaire. Mon préféré reste l'anneau d'or qui change non seulement tous les ennemis en or mais aussi leurs projectiles, laissant dans la trainée des carapaces et des obus suffisamment de caillasse pour affronter la récession. Il existe tellement de moyens de s'enrichir rapidement dans New Super Mario Bros. 2 que ça en devient technique. Comme un boursicoteur, il faudra penser avec un temps d'avance pour essayer de gagner encore plus. Les vidéos qui trainent déjà sur internet avec le tact d'un spam ("Get 100,000 in less than an hour !") nous montrent la voie idéale de cette course, obscène mais réjouissante, à l'oseille.
L'argent ne dort pas
New 2 reprend même à son compte le mode coop de New Wii où l'on sera toujours sauvé par son partenaire toujours en vie pendant qu'on flotte dans une bulle. Malheureusement, l'action reste figée sur le joueur qui mène la partie, l'autre étant réduit à un rôle de Tails moustachu. Cette sensation de "deuxième joueur passif", finalement pas si éloigné du Luigi qui attendait son tour pour jouer, n'est rien comparée à l'ivresse du Coin Rush. Cette ruée vers l'or arbitrée par le street-pass, c'est la nouvelle idée de Nintendo aux allures de "Versus Gaming". Le Coin Rush, c'est trois niveaux pris au hasard, et surtout un record que ses rivaux devront essayer de tutoyer. Pour en profiter pleinement, il faudra avoir ratiboisé tous les stages, cachés y compris. C'est entendu, New Super Mario Bros. 2 considère que celui qui l'achète va, quoiqu'il arrive, pousser l'exploration à 100%, "3 étoiles inclues", sans quoi il sera frustré.
"Prends l'oseille et tire-toi"
Avec son orientation quasiment "pro-gamer" et son amour des patterns si emblématiques des shoot them up, New Super Mario Bros. 2 avait tout pour nous faire espérer un défi absolument maboule. Or, le "skill" ne détermine que le temps que l'on mettra à atteindre l'objectif mythique du million. Au pire, il faudra être très patient. Les temps ont changé : depuis les récents Fire Emblem où la mort n'est finalement plus si mortelle, Nintendo a tendance à arrondir les contours pour plaire à tout le monde, à proposer des tas d'entourloupes pour simplifier le jeu. Comme pour rassurer les noobs qui ne supportaient pas de mourir plus de 5 fois d'affilée devant un obstacle, Mario pourra récupérer une queue blanche de tanuki le rendant invulnérable. De fait, Nintendo brouille le message de son Mario "tout pour la thune". Ceux qui étaient déjà échaudés par un 3D Land qui obligeait à faire un deuxième loop pour découvrir "le vrai jeu" en seront pour leurs frais. Pareil pour ceux qui espéraient voir les codes de la mascotte bousculés comme dans le mythique Lost Levels. Pour eux, il y a encore un filet d'espoir grâce au contenu pour l'instant inconnu mais téléchargeable et forcément payant. Mais une certitude, surtout : un joueur qui préfère découvrir et traverser les niveaux comme autant de grands espaces, qui aime la mécanique des puzzles comme dans le génialissime Super Mario 64, sera sans doute déçu par l'exigence monétaire que nécessite New Super Mario Bros 2 pour atteindre le sommet. Ici, c'est la monnaie qui dirige le monde.
Mario est toujours le souverain d'un royaume sans partage. Même avec de plus modestes ambitions, ses prétendants sont quand même battus d'avance. A tel point que même Nintendo ne semble plus se donner autant de mal qu'avant. Démultiplicateurs de pièces, fleurs dorées, la "New" façon de jouer a trouvé refuge dans le scoring. Si les Mario en 3D s'apparentent plus à des puzzles de part leur construction, dans New Super Mario Bros 2, la trajectoire empruntée par notre héros pour rattraper les pièces ressemble plus à un "pattern" de shoot them up. Obsédé par la performance, on ira sur YouTube pour regarder les pros comme lorsqu'on jetait un oeil par dessus l'épaule des dieux des salles d'arcade à la recherche d'une astuce. Le sang-froid, le regard affûté, et les records street-passés sont devenus autant de signes extérieurs de richesse. On dit que c'est par temps de crise que les riches s'enrichissent le plus. Sans scrupule, Mario est devenu super capitaliste.