Il y a des studios qui marquent leur temps. Avec un seul jeu, Nomada a déjà laissé son empreinte dans le paysage vidéoludique. En 2018, Gris a semé une graine chez le public et dans le monde du jeu vidéo. Les joueuses et joueurs se le recommandent de bouche à oreille, le monde universitaire en discute à foison et nul doute que de nombreuses équipes de développement y puisent de l’inspiration. Fort de cette effervescence, Devolver Digital, l’éditeur, a laissé le temps au studio espagnol de mûrir son prochain projet : Neva. Il pourrait bien vous bouleverser lui aussi.
Après quasiment une décennie, Nomada Studio est prêt à raconter une aventure inédite,nourrie par la paternité nouvelle du directeur créatif après Gris, ainsi que par les années COVID-19 et les alertes climatiques qui se succèdent de plus en plus. Pour parler de tout ça à la fois, de l’expérience parentale, mais aussi du regard sur l’état du monde actuel, Neva prend la forme d’un conte à la fois onirique et conscient de son époque, porté par une direction artistique qui a déjà conquis le public dans la bande-annonce. Pour autant, la magie opère-t-elle toujours aussi bien ? L’histoire pourrait-elle se répéter ? On vous donne notre avis.
Neva, un conte intemporel
Le commencement de Neva, vous le connaissez. Tout démarre avec cette bande-annonce somptueuse révélée il y un an. Nous découvrions alors Alba, une guerrière à lame affutée, en compagnie de deux loups blancs : l’un gigantesque à la tête ornée de bois ; l’autre qu’on devine être son petit, plus curieux et moins méfiant. C’est un portrait plein de douceur qui s’apprête à être brisé sous nos yeux quand un épais brouillard noir se dresse et s’empare de notre trio. Habité de créatures humanoïdes n’ayant pour visage qu’une sorte de masque blanc inexpressif, ils ont raison de la grande louve. Une fois la menace évanouie, Alba se retrouve donc seule avec le louveteau, Neva. À deux, elles entament un voyage rythmé par la succession des saisons. Elles quittent alors leurs prairies verdoyantes pour entamer l’ascension de monts bientôt enneigés. À leurs côtés, on traverse des décors somptueux. On se délecte de l'’atmosphère qui change du tout au tout, passant de la vitalité pleine de couleurs de l’été et du printemps aux territoires désolés, et même anxiogènes, de l’automne et de l’hiver.
Dans ce périple, notre duo devient de plus en plus aguerri. Les combats à mener face à ces êtres obscurs renforcent le lien entre nos deux amies. Et si nous contrôlons Alba, la force de Neva est tout aussi utile. Plus elle grandit, plus la louve se montre courageuse et capable de nouvelles choses. On devient les témoins de cette synergie grandissante qui permet à nos héroïnes de braver tous les dangers. En effet, en combinant leurs capacités, elles parviennent à ‘purifier’ les créatures atteintes par cette sorte de corruption, faisant bourgeonner des fleurs de leur corps sans vie désormais. Avec Neva, c’est donc une nouvelle expérience poétique et métaphorique que nous propose Nomada.
Nomada nous invite à la réflexion
Le but-même de ce voyage nous est inconnu. Comme pour Gris, le sens est à trouver dans le déroulé du périple et les événements vécus. Tandis que nous contrôlons Alba, nous voyons Neva grandir à nos côtés et gagner en indépendance. Le jeu raconte cette histoire du lien entre un parent et son enfant ; alors que celui-ci se construit, le premier l’accompagne pour l’aider à prendre confiance en lui.
En parallèle, le cadre essentiellement naturel du jeu est l’occasion de porter une réflexion plus écologique. Avec cette nature corrompue par la matière noire, le jeu rappellera Kena Bridge of Spirits ou encore Horizon Forbidden West. Comme Nomada l’explique, nous sommes face à « un monde qui se meurt rapidement »… Cependant, en dépit des sombres heures que les êtres et le monde traversent, il persiste une part de magie dans le l’univers de Neva qui maintient une forme d’espoir. En faisant germer la vie sur leur passage, Alba et Neva raniment les espaces ternis. C’est une affaire de cycle éternel que nous dépeint le jeu. Il montre qu’après la désolation et la perte, une lumière renaît toujours.
Pour cette nouvelle expédition, Nomada conserve le même calibre qu’en 2018 avec une durée de 4 à 5 heures. Quelques collectibles peuvent être trouvés en chemin, prolongeant d’une heure ou deux tout au plus l’expérience. Au terme de l’aventure, on aurait souhaité que le plaisir continue encore un peu. Cela aurait ainsi permis de mieux développer la fin, quelque peu expédiée alors qu’une nouvelle dynamique parentale se mettait tout juste en place. Mais, après tout, on pourra toujours relancer le jeu à l’envie, comme une histoire qu’on aime raconter encore.
Neva fera appel à votre logique
Tout comme Gris, Neva est un jeu de plateforme qui requiert ingéniosité et réflexes. Avec des mécaniques on ne peut plus basiques (saut, double saut, dash, coup d’épée et coup à distance), Nomada parvient à produire un gameplay efficace. À part de rares passages qui demanderont un temps de réflexion ou de s’y essayer à plusieurs fois pour poursuivre la progression, l’ensemble s’enchaîne avec fluidité sans nous frustrer dans des situations qui sembleraient inextricables.
Qui plus est, les mécaniques s’ajoutent les unes aux autres au fur et à mesure. En cohérence avec l’idée du temps qui passe et de la croissance que cela implique pour tout un chacun, Alba gagne en agilité, acquérant par exemple le double saut, tandis que Neva, elle, développe ses pouvoirs et devient plus puissante. Les combats prennent ainsi de l’ampleur au fil de l’aventure. Ils deviennent un peu plus aériens et le recours à la louve se montre crucial face à des adversaires plus nombreux ou bien plus grands. Cependant, si ces moments tendent à proposer un ensemble moins contemplatif que dans Gris, légèrement plus de nervosité à l’épée n’aurait pas été de refus. L’héroïne enchaîne trois coups avant une légère pause pour relancer son combo. De manière globale, l’ensemble est fluide. Toutefois, il manque d’une pointe de répondant pour des sensations plus prononcées de notre côté de la manette.
L’évolution des capacités et du challenge se fait également en corrélation avec la progression dans l’environnement. Ainsi, le level design va en se complexifiant suivant les nouvelles possibilités que nous offrent les aptitudes acquises en chemin. Il faudra donc faire d’autant plus preuve de logique, même de réflexes, pour traverser les tableaux. Toutefois, tant que vous gardez en tête ce qu’Alba et Neva sont capables de faire, vous devriez vous sortir des passages un peu plus ardus en prenant simplement le temps de vous y reprendre à plusieurs fois.
Qui plus est, le jeu regorge de bonnes idées de level design, dans la continuité de ce que propose Gris. Le saut est le principal outil ici pour passer les obstacles. Mais plutôt qu’une progression uniquement vers le haut, le jeu casse ponctuellement la dynamique en demandant à savoir tomber et rebondir en adoptant le timing qu’il faut pour arriver où il faut. C’est d’autant plus primordial si vous êtes du genre complétionniste. De fait, si vous souhaitez récupérer les collectibles cachés, il faudra faire preuve d’un peu plus d’astuce pour les atteindre. Dans l’ensemble, toutes ces ingéniosités sont héritées du premier jeu de Nomada, mais poussées plus loin en matière de gameplay.
Cela dit, comme c’était le cas pour Gris, on relèvera quelques soucis de lisibilité dans les environnements. Avec des décors qui ont une portée artistique plus poussée que dans la plupart des jeux, notamment avec des tableaux parfois très ornementés ou qui sont excessivement lumineux, on ne distingue pas toujours parfaitement les plateformes praticables ou les surfaces auxquelles s’accrocher pour l’escalade. Ça peut surtout être problématique si cela vous bloque pour continuer l’aventure. Alors, parfois, n’hésitez pas à essayer de sauter à certains endroits, même si vous pensez qu’il n’y a rien où retomber.
Enfin, on peut noter que Neva propose aussi un mode de jeu plus accessible qui abaisse le niveau d’exigence en matière de réflexe entre autres. Ainsi, bien que la mort ne soit pas vraiment un frein dans l’aventure, vous ne pouvez pas mourir en optant pour cette option, à l’exception de quelques séquences précises. De même, Alba assène plus de dommages aux ennemis. Elle bénéficie en outre d’une assistance pour les sauts dans les moments les plus complexes. Le jeu ne regorge pas de fonctionnalités adaptatives, mais l’intention est déjà là, avec les moyens du bord. En somme, en plus d’être une aventure qui parlera à tous en termes de signification, Neva est aussi un jeu qui veut s’offrir au plus grand nombre.
Une peinture vivante, entre onirisme et cauchemar
Gris avait subjugué le public avec sa direction artistique aux airs d’aquarelle. Depuis, Nomada n’a clairement pas perdu la main. Dans un autre style pictural, Neva est une peinture sublime qui prend vie devant nos yeux. Usant des aplats de couleurs et d’une touche de pointillisme, le jeu nous en met plein les yeux. Aussi, on ressent à nouveau l'obsession des grandes lignes et des tracés anguleux du précédent titre, bien qu’il soit plus en retrait qu’en 2018. On le retrouve bien sûr dans constructions architecturales, toujours présentes selon les environnements, ainsi que dans les horizons à traverser. Dans l’ensemble, il laisse place aux formes plus ondulées et aléatoires des espaces naturels.
Aussi, il est évident que Neva saura séduire les aficionados des films d’animation Ghibli. D’une part, la louve aurait parfaitement sa place dans le catalogue du studio japonais. Mais, plus encore, les ennemis font écho au bestiaire qu’il déploie dans ses réalisations. L’exemple le plus parlant serait le monstre standard. De fait, celui qu’on croise un peu partout durant l’aventure rappelle tout de suite le yokai Sans-Visage du Voyage de Chihiro (et il se montre tout aussi vorace que lui).
Tout cela prend ainsi place dans une succession de tableaux qu’on voudrait accrocher chez soi. Difficile de se retenir de faire des captures d’écran de chaque plan du jeu. D’autant plus que Nomada use à nouveau des zooms et dézooms au fil de l’avancée. Ce procédé rend les séquences tout bonnement captivantes à observer. En outre, chaque saison s’anime à sa façon, avec des éléments de décor qui s’éveillent sur notre passage pour une immersion encore plus prononcée.
Là où le studio se dépasse, c’est dans sa capacité à créer des images fortes. Il nous l’avait déjà prouvé avec Gris et il performe à nouveau ici. Nous faisant passer de scènes de ravissement à des plans plus oniriques, il parvient aussi à nous plonger dans de véritables cauchemars. On prend alors plaisir à se balader dans les plaines, puis tout autant à se laisser dégringoler dans une sorte de Purgatoire aux airs de Monde à l’envers façon Stranger Things. Le contraste brutal surprend tandis qu’on s’enfonce dans des espaces resserrés, où l’ennemi se fait plus oppressant. Puis, nous revoilà à naviguer dans des paysages de rêverie. Sans aucun doute, au moins un tableau de Neva marquera profondément votre esprit.
Un conte parfaitement orchestré
Si les images ne suffisaient pas, Nomada a une nouvelle fois concocté une bande originale splendide pour accompagner le voyage d’Alba et Neva. Des thèmes atmosphériques nous accompagnent tout au long du chemin. Eux aussi suivent les saisons, s’accordant joliment avec les décors fleuris, les paysages rougeoyants de l’automne ou les étendues immaculées de l’hiver. Soudain, la musique enfle et prend des élans épiques. L’action s’enflamme alors pour des combats ou des courses poursuites qui n’auraient pas la même prestance sans cette OST. Le studio a compris comment adapter ses morceaux aux décors, mais aussi aux situations pour des séquences d’autant plus intenses à vivre.
Ajoutons que le sound design donne lui aussi caractère au titre. D’abord, les sons de la nature sont vraiment bienvenus pour accompagner çà et là la musique. Par exemple, entendre les oiseaux au printemps renforce la sensation de vigueur retrouvée après le calme hivernal. On a également plaisir à entendre Neva aboyer face à quelque chose qui l’intrigue ou pousser un hurlement dans des moments-clés. Qui plus est, le jeu a recours à l’audio 3D, si bien que si la louve échappe à notre regard, tendre l’oreille nous permettra de savoir de quel côté elle est partie. Pour cela, il suffit de l’appeler. D’une pression de la touche triangle (sur PS5), la voix d’Alba résonne à travers le haut-parleur de la DualSense. Ça peut toujours surprendre au début, mais ça a son charme. D’autant plus qu’entendre Neva répondre à quelque chose de satisfaisant. Alors, même si c’est une mécanique accessoire, elle contribue à rendre le lien palpable entre les deux êtres et à apporter un petit plus au gameplay.