Le commandant Picard n'a qu'un seul vaisseau quand je suis déjà à la tête de trois destroyers. Pourtant, soyons lucides. L'Histoire de la nerditude ne retiendra que le chauve en pyjama qui irradie de charisme en maître incontesté de l'Enterprise-D ; pas les extrémistes du pixel qui auront sacrifié des heures à leur flotte spatiale dans Infinite Space. Alors que le genre du space opera n'a jamais été aussi populaire des deux côtés de la culture geek (un film Star Trek par J.J. Abrams pour les faux, l'intégrale de Battlestar Galactica pour les vrais), Platinum Games et Nude Maker, deux studios japonais fournisseurs de trips pour amateurs éclairés, passent en vitesse distorsion et compactent l'Espace-frontière-de-l'infini dans une cartouche de jeu pour Nintendo DS. Attention toutefois, ce jeu n'est disponible qu'en anglais.
Je ne m'étais plus autant émerveillée devant des plans de coupe de vaisseaux spatiaux schématisés depuis le dossier en deux parties sur la technologie fictive de Gunbuster paru dans Animeland. A l'époque, je portais encore un appareil dentaire. Mais en jouant avec les modules d'amélioration de mon premier destroyer, je ressens quelque chose comme mes premiers émois stellaires. Ces formes géométriques composées de carrés de couleurs, cruellement trop nombreuses pour rentrer toutes dans mon premier bâtiment de guerre limité en slots, m'acculent au choix. Je finalise mes personnalisations, abandonne une salle des radars au profit d'un pont secondaire ; tant pis, il faudra rogner sur la portée de mes canons au risque de subir des dégâts, afin d'accélérer l'augmentation de ma jauge de commandement indispensable pour lancer des ordres sur le champs de bataille. De ces modifications apportées à mon vaisseau peut dépendre l'issue de mes prochains affrontements.
L'Atlantis de ma Jeunesse
Si vous n'avez pas la plus petite idée de ce dont je pourrais être en train de vous parler, si vous n'êtes pas même excités à l'idée d'optimiser chacun de vos vaisseaux pour vous constituer une flotte aux petits oignons, il vaudrait mieux changer de galaxie. Voire de retourner dans notre bon vieux système solaire. Parce que la stratégie et son cortège de données techniques sont le maître-mot de cet Infinite Space, digne héritier des séries d'animation japonaises de science fiction des années 80 (et même avant). Un jeune homme fougueux, un artefact mystérieux et une présence extra-terrestre déjà devinée, voilà pour le scénario assez convenu d'Infinite Space. S'appuyant sur une trame très librement inspirée (de l'aveu de ses créateurs) d'un classique de la science fiction (Les Enfants d'Icare, d'Arthur C. Clarke), le jeu s'enfonce dans les abysses d'un espace miniaturisé. Des passerelles des étoiles (Starlane) relient les planètes et les secteurs déserts entre eux dans une illusion de profondeur lumineuse. A la vue de cet espace recréé sur l'écran de contrôle de la DS, j'hésite entre l'imagerie kitsch des premiers Star Wars et la fougue décomplexée des Macross, combinaisons moulantes et character design chatoyants. A croire que dans l'espace, le kit de coloration est en option avec le pistolet laser. Qu'à cela ne tienne, il faudra faire fi de ces directions artistiques pour ne pas perdre une miette des affrontements éclairs entre vaisseaux spatiaux.
Premier Contact
Une interface de combat simplissime m'oblige pourtant à la plus grande attention. Avancer ou reculer, lancer une manœuvre d'évasion, activer les canons ou amorcer un tir de barrage sont vos seules options en tant que commandant de la flotte. A moi de conserver mon sang froid, alors que la jauge de commandement qui permet de lancer les ordres en échange de segments remonte lentement, et que mon écran de contrôle indique en temps réel la progression (en 2D) de l'ennemi sur la grille de combat. Intuition, maîtrise de soi, quelques échanges de canons lasers et un battement de cœur suffisent à décider de l'issue du combat. Le capitaine Albator n'aurait pas renié cette relecture 2010 de la piraterie spatiale, d'autant plus qu'il est aussi possible de lancer l'abordage. Les équipages plus étoffés peuvent envoyer des combattants s'emparer du navire adverse, et la mêlée prend alors des allures de jeu de Pierre/Feuille/Ciseaux, où les traditionnels objets sont remplacés par trois types d'attaques. Autant d'excitation, de la fébrilité, même sur DS ? Oui, et même pas mal de frustration, car une erreur de jugement ou un vaisseau mal préparé conduisent directement au Game Over. Infinite Space est dur, très dur, pas uniquement dans ses combats d'ailleurs. Car son univers se révèle sans pitié pour les explorateurs débutants, ceux qui rêvent de devenir des Zero-G Dogs.
La Galaxie m'appelle !
Nombreuses planètes aux noms exotiques, menus épurés, données techniques à foison, abrégées et en anglais... Pour naviguer dans le monde d'Infinite Space il faut savoir se montrer patient, curieux et appliqué. La progression dans le jeu implique de parler plusieurs fois aux mêmes personnages et de déduire tout seul où aller et à qui s'adresser. Pour ajouter encore au sentiment de s'être perdu dans une galaxie "far far away", la découverte très tôt dans l'aventure du nombre astronomique de membres d'équipage à recruter m'a immédiatement fait penser à un bon vieux Suikoden des familles (cette série de RPG dans laquelle il faut réunir 108 étoiles, ou guerriers). Entre les personnages centraux et les figurants qui viennent gonfler les rangs de ma flotte, c'est autant de nouvelles données à gérer qui vont influer sur les statistiques des navires. Car chacun doit jouer un rôle sur le Kraken, du chef de la sécurité à l'opérateur radar, et apporter des points de bonus aux différentes caractéristiques.
Paramétrer sa flotte, son équipage, et chacun de ses vaisseaux un à un, c'est un vrai job que celui de commandant de l'espace. Les candidats au poste devront faire preuve de rigueur et surtout de combativité pour ne pas se retrouver totalement découragés devant des écrans de contrôles aux messages obscurs. Malheureusement, clairement réservé aux anglophones et aux adeptes du genre, Infinite Space est un véritable petit bijou du hardcore gaming. Un titre exigeant qui vous prend douloureusement aux tripes comme un Goa'uld et son hôte. A vous de voir si vous préférez retrouver votre liberté, ou dompter la bête pour détenir toute sa puissance...