Alors que je chéris encore les disques PS2 d'ICO et Shadow of the Colossus, avec leurs boîtiers cartonnés originaux, maintes fois joués avec ravissement sur ma PS3 rétrocompatible, goûter à cette collection remasterisée en HD reste un événement que j'attendais avec impatience. Car on le sait : les deux premiers titres de Fumito Ueda sont, à bien des égards, des chefs-d'oeuvre incontournables. Ont-ils été respectés ? Améliorés ? Bien des années après, sont-ils encore aussi puissants ?
Ceci est une republication du test originellement paru le 9 septembre 2011, à l'occasion de la sortie de la compilation.
Curieusement, parmi tous les titres qui ressortent aujourd'hui en collections et remakes HD, j'avais tendance à penser que ces deux-là étaient peut-être les moins justifiés. Leur parti-pris visuel d'origine et la maestria de leur exécution technique en faisaient des jeux qui semblaient ne pas pouvoir vieillir. Naturellement, en mettant de côté l'empreinte indélébile qu'ils ont laissée à la plupart des joueurs qui les ont fait à leur sortie il y a respectivement 9 et 5 ans, la réalité les rattrape, eux-aussi. Mais même si vous n'avez pas le souvenir tendre pour les embellir et que vous êtes vierges de leur emprunte d'époque, ils restent résolument incontournables. C'est même une raison supplémentaire de s'en porter acquéreur...
Deux voyages qui vous changent un joueur
Pour les rares qui n'en auraient jamais entendu parler, pitchons simplement ces deux histoires. Dans ICO, le joueur incarne un enfant né avec des cornes, enfermé pour cela dans un mystérieux temple. Il y découvrira Yorda, une jeune fille diaphane qu'il devra guider et défendre dans ce donjon uniquement peuplé de mystérieuses créatures d'ombre. Dans Shadow of the Colossus, c'est dans la peau de Wanda, un jeune homme tentant de ramener à la vie sa promise, que le joueur devra trouver et tuer 16 colosses pour parvenir à ses fins. L'un comme l'autre sont emprunts d'une telle poésie, et d'un tel génie narratif, qu'on pourrait aisément les considérer comme les oeuvres les plus abouties du jeu vidéo en la matière. Doublés d'un gameplay à la fois original et captivant mêlant plate-forme, action, et puzzle, ils sont avant tout un voyage au coeur de l'univers d'un créateur incontournable qui a su comme bien peu d'autres suggérer des émotions prégnantes sans presque recourir aux dialogues, aux cinématiques, ou aux autres ficelles narratives habituelles réchappées du cinéma. L'action, la musique, le visuel, et surtout l'impression de vie que dégagent les personnages (qu'il s'agisse de Yorda ou des colosses) concourent à un émerveillement à la fois enfantin et mature, en une alchimie improbable et pourtant puissamment fonctionnelle. En un mot comme en cent, ce sont là deux chefs-d'oeuvre indiscutables, qu'il faut avoir joué pour mesurer à quel point la force d'évocation d'un jeu peut marquer tout autant que les plus grands films ou les meilleurs livres.
Hors du temps ?
A l'époque, Shadow of the Colossus mettait littéralement la PS2 à genoux. Son animation souvent victime de ralentissements restait le signe le plus évident d'une ambition trop importante pour ce hardware en fin de vie, et se relancer aujourd'hui dans des chevauchées désormais fluides permet, enfin, d'en profiter tel qu'il devait sûrement avoir été imaginé par les développeurs. Malheureusement, les optimisations à la serpe de certains éléments du décor, ou le popping d'éléments, restent encore présents dans cette réactualisation, et choquent d'autant plus aujourd'hui qu'à l'époque, le frame-rate cahotant éclipsait ces autres petits défauts techniques tant il était parfois présent. De même, les textures montrent d'autant plus leurs limitations aujourd'hui qu'elles sont plus lisibles et plus claires, sans pour autant perdre de la cohérence si particulière de leurs tons surexposés, de leur palette de couleurs à la fois lumineuses et surannées. On s'interrogera aussi sur le choix de sous-titres dès la première partie les échanges entre Yorda et Ico, à l'époque aussi obscurs que l'étaient les langages de chaque personnage l'un pour l'autre. Enfin, ce qui ne gênait pas hier peut aujourd'hui agacer, comme des caméras pas toujours maîtrisées, des jauges à l'écran dont le graphisme a pris un bon coup de vieux (une petite option pour les escamoter n'aurait pas été de trop), ou une gradation grossière des musiques de Shadow en fonction de l'action. Mais tout ceci relève du détail quand le plus important se retrouve magnifié par ce dépoussiérage : les visages évocateurs, aux expressions subtiles et d'autant plus lisibles en haute résolution, les univers hypnotisants de ces deux titres, et le bonheur complexe, fait d'émotions tantôt ardentes, tantôt plus fines, que suscitent ces deux voyages opposés et pourtant si proches. Enfermé dans ICO, libre dans Shadow, le joueur d'aujourd'hui comme celui d'hier y découvrira avec le confort d'une réunion pertinente sur un seul disque deux jeux d'une envergure rare, deux témoignages criants de la valeur singulière d'une narration interactive propre au jeu vidéo.
Face à deux oeuvres aussi gigantesques, on se prend toujours à souhaiter plus parfait, mais l'essentiel est là, et à ce prix, qu'on ait les originaux ou qu'on soit passé à côté à l'époque, il serait bien dommage de ne pas se laisser tenter. Cette collection HD et 3D d'ICO et Shadow of the Colossus n'offrira certes que des trophées et bonus vidéo pour toute nouveauté, mais c'est bien parce qu'ils étaient déjà sublimes qu'il n'y avait sans doute pas besoin de beaucoup plus pour craquer à nouveau. Un rappel magnifique de l'attente insoutenable du prochain, The Last Guardian, qu'on espère tous être à la hauteur de ces deux premiers chefs-d'oeuvre.