La plupart des joueuses et joueurs l’ont sûrement oublié, mais la Xbox Series X a été révélée en 2019 avec un trailer in-engine d’Hellblade 2. Une vidéo saisissante tant par les visuels que par ce qu’elle dégageait avec l’apparition d’une Senua - l’héroïne du précédent volet - complètement possédée, en mode guerrière picte et en train de scander une sorte d’incantation sur fond de tambours viking. La décision d’aller au-delà d’un épisode si singulier était-elle la bonne ? Presque 7 ans après le voyage profondément marquant, mais loin d'être sans défaut, d’Hellblade Senua's Sacrifice, on a enfin la réponse.
Malgré la fin ouverte d’Hellblade Senua’s Sacrifice, on n’imaginait pas que Ninja Theory allait réellement prendre le risque d’offrir une suite à ce véritable ovni de la scène AA. Un jeu qui avait su s’accaparer un sujet très sensible, peu traité et / ou pas avec une telle justesse. D’une part, ce n’est pas dans l’habitude du studio qui n’a fait qu’enchaîner les licences originales, si l’on met de côté les deux Disney Infinity et le très bon DmC Devil May Cry. D’autre part, parce que remettre en jeu le caractère si spécial, prenant et dérangeant du précédent opus, sans échouer, était un défi presque inconscient. Hellblade 2 est différent de son modèle et c’est ce qui constitue l’une de ses faiblesses.
NDLR : Le premier paragraphe comporte de légers spoilers sur Hellblade Senua’s Sacrifice, néanmoins nécessaires pour étayer notre propos et celui de ce nouveau jeu, bien qu’on ne rentre volontairement pas dans les détails pour vous laisser le loisir de la découverte.
Un voyage différent pour Hellblade 2
Si vous n’avez jamais fait Hellblade Senua’s Sacrifice, on vous invite tout de suite à le faire pour plusieurs raisons. En dépit de ses défauts très marqués, cela reste une expérience rare dans le jeu vidéo. Mais c’est surtout fondamental pour bien appréhender tout ce qu’Hellblade 2 a à dire ou à montrer - le résumé en début d’aventure étant trop superficiel. Senua, l'héroïne de la licence, est une guerrière picte atteinte de psychose depuis son enfance, mais qui va sombrer davantage dans sa folie, au point de perdre complètement pied et toute notion de la réalité après avoir subi plusieurs traumatismes. Le massacre des siens lors d’un raid de vikings, ou encore le décès de son premier amour, n’ont fait qu’accentuer sa condition mentale. Mais ce sont aussi ces épreuves qui vont lui permettre d’avancer, de faire le deuil de son amant - lui qui avait toujours accepté de la voir comme une personne normale et de la soutenir dans sa volonté d’aller combattre seule ses « démons » -, de peut-être guérir ou au moins de vivre avec cette maladie en laissant entrer une lumière dans ses ténèbres. Une lumière déjà entraperçue lorsqu’elle a croisé pour la première fois le chemin de son cher et tendre.
Si Ninja Theory use de la mythologie nordique - qui est développée à travers de courtes histoires via des piliers sur lesquels sont inscrites des runes - en tant que métaphore pour faire passer son message, c’est bien la santé mentale qui est le sujet principal de la licence. « Il n’y a pas de guérison miracle » peut-on entendre dans une vidéo pré-lancement. Senua entend encore des voix, a toujours des visions dans Hellblade 2, mais désormais, elle sait qu’elle peut cohabiter avec cela et ne pas se laisser dévorer par son état et ses pensées macabres. Elle est maintenant plus dans le contrôle, veut résister et être pourquoi pas à son tour, comme a pu l’être son amour passé, être un exemple pour améliorer son monde et celui des personnages qu’elle croisera en route. Le message d’Hellblade 2 se veut plus positif dans le fond, malgré une noirceur toujours présente, et montre une Senua combattive et profondément changée par sa précédente aventure. Cette suite traite tout de même encore des mythes et des croyances qui peuvent pousser des hommes et des femmes à perdre toute humanité, à se livrer à de la barbarie ou à commettre des trahisons, y compris auprès d’êtres chers, sur la base de choses illusoires.
Ce contre-pied est à la fois l’atout du jeu, et peut-être bien son défaut majeur. Le fait de voir le monde par le prisme d’une personne atteinte de psychose était aussi déstabilisant que fascinant. Une expérience unique où Senua partageait son esprit avec des voix venues d’ailleurs et avec le joueur. C’est cette dimension intimiste, anxiogène, qui donnait de la crédibilité à tout ce qui avait été mis en place par les développeurs. Mais du fait du cheminement de l'héroïne après cette quête initiatique, ce n’est presque plus du tout pareil. Et paradoxalement, Hellblade 2 devient donc plus « conventionnel ». Il perturbe moins, prend moins aux tripes. Il y a certes encore des voix et des visions, mais qui ne s’imprègnent plus avec autant de force et de puissance dans l’esprit du joueur qu’auparavant. Ces visages de personnes bien réelles, qui pouvaient apparaître et qui faisaient office de visions limite cauchemardesques, ne sont plus. Et c’est parfaitement normal. Toutes ces hallucinations qui sont appelées « symptômes positifs » n’ont plus de raison d'être aussi nombreuses avec l’ouverture et le parcours personnel de Senua.
Une claque dans les gencives
Hellblade 2 propose toujours des scènes fortes d’un point de vue artistique et symbolique, même complètement folles en offrant une ambiance horrifique à la The Descent, mais pas autant et / au niveau espéré. Aucune séquence ne m’a véritablement marqué ou m’a mis les poils comme le passage avant la cinématique de fin du précédent volet avec sa musique tout bonnement géniale, et son propos qui transparaît jusque dans le gameplay. Je m'attendais à plus. On se rapproche parfois plus d'un blockbuster classique comme il en existe déjà des dizaines et dizaines.
Les soucis de rythme sont toujours présents avec un ventre mou, notamment du fait de l’absence de choses vraiment singulières qui auraient pu contrebalancer des éléments plus plats, alors même que le titre essaye d’instaurer une fuite en avant constante avec un découpage narratif « à la Seigneur des Anneaux » où l’on traverse les paysages de l’Islande en accéléré pour progresser. De ce fait, une impression de déception et d’inachevé, a pris plus le pas sur mon ressenti général, en dépit, encore une fois, de séquences visuellement très recherchées. L'ouverture de l'histoire à d'autres personnages n'y est pas étrangère. Cette fois, l'héroïne rompt en effet sa solitude en croisant le chemin d'autres habitants du monde. Mais le destin de ces compagnons de route nous écarte du récit intimiste, anxiogène et plus prenant d’Hellblade 1. Il ne se dégage pas réellement d’émotion de ces moments avec les PNJ. Le passé de l’héroïne aurait pu être aussi plus exploité et c’est finalement toujours Senua qui fait le gros travail.
Ou plutôt, devrais-je dire, Melina Juergens, qui a fait ses premiers pas en tant qu’actrice avec ce rôle alors même qu’elle n’était pas prédestinée à cela. Sa performance, comme celles des « Furies » (les voix que Senua entend), est intacte et tout simplement remarquable. Elle est d’une justesse incroyable en toutes circonstances, et arrive heureusement à retranscrire dans son acting toute l’évolution de son personnage. La VOSTFR imposée prend comme toujours tout son sens avec une telle performance. Une démonstration appuyée par un son binaural peut-être lui aussi plus sur la retenue, mais qui est d’une efficacité redoutable avec une spatialisation parfois éprouvante, pour une immersivité rarement atteinte. Mais ce ne serait rien sans une plastique digne de ce nom.
Alors Hellblade 2 est-il enfin LE jeu Xbox Series X capable de servir de vitrine après certains ratés ? Toutes les scènes utilisées pour la promotion du jeu, avec des gros plans de Senua ou d’autres personnages, sont inattaquables. On est bel et bien sur l’un des plus beaux jeux de sa catégorie avec des visages au réalisme ahurissant. Vraiment. Ça fourmille de détails au niveau des yeux, du regard, du sang et de la sueur qui s'écoulent sur le visage de notre guerrière. Les animations sont dantesques et mettent largement en avant le jeu d’acteur de Melina Juergens ainsi que ses traits. Il y a toutefois une disparité entre les faciès de Senua et des autres personnages lors de ces cinématiques, qui bénéficient d’un boost graphique évident, et celles qui sont plutôt incorporées au gameplay. Mais hormis cela, c’est du très haut niveau et la baffe graphique attendue.
Comme le premier jeu, Hellblade 2 sait y faire également lorsqu’il faut apporter une ambiance particulière avec des éléments comme le feu, la fumée de sources chaudes ou encore la brume durant des passages de nuit. Il y a un gap gigantesque avec l'épisode PS4. Les décors et leur composition sont aussi plus variés. Certes, ce sont souvent de sublimes étendues, mais ce sont les panoramas hors du commun de l’Islande qui veulent ça. La technique est pleinement au service de la direction artistique, de la réalisation et du cadrage. Ninja Theory a l’art et la manière de cadrer pour donner vie à des plans magnifiques qu'on voit dans très peu de productions. À noter que notre test a été réalisé sur PC équipé d'un Ryzen 5600X, d’une 6800XT et 16Go de RAM sur un moniteur 1080 dans un premier temps, puis ensuite sur un téléviseur 4K Panasonic OLED 65JZ1500. Dans cette dernière configuration, on était évidemment loin des 70 / 90 fps en 1080p, mais les 30fps étaient dépassés et le jeu était fluide sans avoir le nez sur un compteur de fps, avec des pré-réglages en haut.
Un gameplay peaufiné
L’un des principaux reproches faits au précédent jeu était sa répétitivité générale, en partie dû à la nature de ses énigmes et de ses combats. On a des bonnes et des mauvaises nouvelles là-dessus. Les casse-têtes étaient d’une redondance extrême - on ne va pas le nier et c'est d’ailleurs l’un des défauts d’Hellblade pour nous -, mais ils avaient le mérite d’être recherchés d’un point de vue de la thématique globale de l’expérience. Si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à visionner l’excellent documentaire, qui est disponible sur le menu du premier titre, mais pas avant d’avoir terminé l’aventure ! On insiste là-dessus.
La redondance est moins problématique dans Hellblade 2 puisque les développeurs ont déjà fait en sorte qu’ils soient plus directs. Il y a toujours ce système où l’on doit localiser des runes dans le décor, avec des indications visuelles lorsqu’on approche du but, mais elles sont plus faciles à déceler et il y a en a moins. Désormais, il y a également d’autres énigmes où l’on doit retrouver et aller déposer des sphères sur un réceptacle en manipulant les environnements. Pour cela, Senua doit concentrer sa vision, ce qui fera apparaître / disparaître des éléments du paysage ou qui inversera par exemple un décor normalement situé au plafond. En somme, c’est l’équivalent des portails magiques.
Les casse-têtes sont donc moins longs que précédemment, tout comme les combats. Les affrontements pouvaient en effet tirer en longueur et faire bailler par manque d’intérêt. Là aussi, il y a du bon et du moins bon. Les duels d’Hellblade 2 n’ont pas gagné en complexité. Tous les combats reposent essentiellement sur une attaque rapide ou lourde, une esquive et une parade. La différence qui améliore cette partie est le fait que les ennemis vont avoir tendance à contrer davantage de coups, ce qui vous oblige à réagir avec un timing plus serré, mais encore généreux, et à essayer de réaliser le plus de parade parfaite.
Mais la vraie amélioration a trait à la brutalité et à la viscéralité de ces face à face. C’est plus gore, plus animal avec le côté guerrière de Senua qui ressort davantage. La mise en scène autour de ces échauffourées, par moments, est aussi souvent bien meilleure. Par contre, évitez à tout prix le mode normal pour ces séquences si vous le pouvez. L’écart avec le mode Difficile n’est pas abyssal, et au moins, vos adversaires réagiront plus au lieu de rester plantés devant vous à attendre de se faire lacérer par votre épée. Les affrontements avec certains ennemis sont également plus intéressants non pas par rapport au gameplay, mais vis-à-vis d’actions à réaliser qui correspondent à l’histoire de ces derniers. On ne spoilera pas. Même avec cela, et les efforts de Ninja Theory, l’aspect cinématographique d’Hellblade 2 prime avant tout, mais ce n’est pas une critique ou un vilain mot dans notre bouche