Comme pour des millions d'autres joueurs déjà, Niko Bellic et moi-même ne faisons plus qu'un depuis des jours. Les ventes sont astronomiques. Du jamais vu. Les médias généralistes passent tous, chacun leur tour, leur marronnier alarmiste à son sujet. Scandales, polémiques obscurantistes, la totale. Les critiques de jeu, eux, n'en finissent plus d'adorer le divin enfant : Grand Theft Auto IV, enfin né après quelques mois de retard. Il y a de quoi, sans doute, mais est-ce qu'on n'en ferait pas un peu trop à tous les étages ?
Ca me va bien de dire ça, penseront certains, puisqu'au contraire de nombreux collègues, ma prose sort des jours après ce qu'elle critique. Mais tout ce temps passé en compagnie du plus gros jeu de l'année, il le fallait bien, aussi, pour que la frénésie qui l'accompagne se tasse un peu. Enfin, en voyant les cinq étoiles qui ornent ces pages, mon verdict n'a que bien peu de suspense... mais une simple note pour juger GTA IV ? Allons, on ne peut pas s'arrêter là.
Amour-haine
Sachez-le, ces cinq étoiles ne reflètent ni un jeu parfait, ni le plus grand jeu d'une année même pas à demi écoulée, ni même un titre qui puisse se prévaloir d'être le plus abouti de sa propre série (en tout cas pas à tous les niveaux), comme d'autres l'ont pourtant écrit. Elles ne font qu'approuver l'effort consenti à faire un jeu mature, qui s'éloigne un peu plus du cartoon, et embrasse enfin à pleine bouche sarcasme caustique, satire plus acerbe que jamais de notre société, violence totale (mais pas décérébrée, j'y reviendrai), intelligence misanthrope et irrévérence quasi-absolue. Un titre qui jouit à la gueule de tous avec un plaisir non feint, et pour lequel il reste difficile de ne pas succomber, même si l'orgasme est un peu surfait. Cinq étoiles donc pour remercier surtout la finesse réelle et ultra détaillée que cache le sang, la sueur et le foutre qu'exulte ce dernier GTA sous stéroïdes Haute Définition, cinq étoiles pour le remercier de son réalisme sidérant d'audace et d'ambition. Mais cinq "petites" étoiles pour cette si grande Liberty City.
Daddy's back, bitches
Après un San Andreas au game design incontestablement plus ambitieux, avec son côté RPG très prononcé, GTA IV fait un peu figure de pas en arrière. Non pas que son gameplay n'ait pas grandement évolué, bien au contraire (nous y reviendrons brièvement), mais il est revenu à une formule plus classique, plus proche d'un Vice City ou d'un GTA III. En dehors des fringues (importants pour la drague), fini donc la personnalisation à la C.J. (pas d'amélioration des compétences du héros, ou de prise de poids par exemple), et l'orgie de features : à l'image du terrain de jeu, Rockstar a choisi d'enrichir en détail plutôt qu'en surface. Un choix qui laisse un (très) léger arrière-goût de régression, malgré l'abondance de contenu aux détails époustouflants. Pourtant, cette nouvelle Liberty City a énormément à offrir : naviguer sur un internet où draguer et envoyer des emails débouche sur de nouvelles missions, courir après 50 criminels en utilisant les ordinateurs embarqués des voitures de flics, récupérer et composer des numéros de téléphone laissés sur les murs, tirer sur des pigeons (des rats volants, plutôt) cachés un peu partout, réussir des sauts-cascades, aller boire, manger, jouer au billard, aux fléchettes, ou au bowling pour gagner l'amitié de potes qui rendront bien des services (génial), claquer de la thune dans un bar à strips, se taper de la péripatéticienne, regarder la télé des heures ou simplement se balader en taxi en regardant par la fenêtre, voire en métro, tout ça a de quoi occuper, même si on en fera somme toute le tour plus vite que prévu. Moins d'armes différentes, moins de véhicules fantaisistes, moins de missions secondaires... Rockstar a sans doute dû faire des choix pour hisser sa série à l'étape PS3 / 360 - mais peu importe. Car parmi ces choix, il y a tout de même une refonte totale des mécaniques centrales du gameplay GTA, et elle fait plaisir à jouer.
Corriger les bases
Avec sa vraie physique, ses nouvelles animations contextuelles qui donnent lieu à quelques scènes d'anthologie (rien de tel qu'un conducteur qui s'accroche désespérément à la portière de la caisse qu'on vient de lui piquer), ses voitures qui se pilotent à présent avec une véritable finesse, ses (trop rares) intérieurs dans lesquels pénétrer sans transition depuis les rues (ou les toits), ses explosions admirablement rendues, et ses fusillades odieusement pêchues, GTA 4 accède à la génération actuelle sans rougir de sa réalisation (qu'on lui reprochait si souvent), qu'elle soit visuelle, ou de gameplay - même si toutes deux sont encore loin d'être irréprochables. Le système de couverture teinte enfin les scènes d'action d'un feeling réaliste, tout comme la conduite qui donnera à coup sûr des sueurs froides aux mordus de vitesse. Pourtant, les deux semblent souffrir encore de leur jeunesse, et il ne sera pas rare d'en voir les limites après des heures et des heures passées à arpenter la ville... petits bugs ça et là, ergonomie pas toujours bien affûtée (voire contraire à nos habitudes), verrouillage des cibles capricieux, caméra parfois déphasée... mais un net progrès malgré tout, et surtout un progrès vers le réalisme, à contre-pied des polémiques qu'un tel choix ne manque pas de susciter.
Comme au cinéma ?
On l'a vu, il y a moyen de faire la fine bouche sur le gameplay, même s'il s'est amélioré, ou sur le game design en général, même s'il reste cohérent avec l'essentiel de ce qu'on attend d'un GTA. Qu'en est-il, alors, de l'univers et du déroulement de l'histoire ? Lorsque le générique mêlé à la première cinématique, introduit Niko et son cousin Roman, on se dit immédiatement que Rockstar colle une leçon de mise en scène à toute l'industrie. Un peu plus tard, on redescend un tantinet de nos grands chevaux. Mise en scène de qualité, certes (notamment grâce à des dialogues et des doublages en VO très au-dessus de tout ce qu'on a vu jusqu'ici), mais un peu molle parfois, et toujours quelques écueils qui datent du premier épisode 3D. Si certaines missions sont authentiquement géniales (l'embauche du cabinet d'avocat, le repérage au portable, la couverture en snipe, le casse ou l'assaut dans les ruines de l'abbaye), bien souvent, on matte une cutscene expliquant qu'untel s'est fait baiser par un autre, qu'il va falloir donner une leçon à l'autre en question, on embarque pour la destination, on donne la leçon sans rechigner, puis on décroche le portable pour valider la mission, et on recommence. Un rythme narratif perfectible et des personnages parfois introduits un peu trop rapidement (on peut même perdre un peu le fil), c'est vrai, seulement voilà : le terrain de jeu et l'ambiance font tout. Au même titre qu'Assassin's Creed valait avant tout pour son trip, c'est aussi le cas d'un GTA, et non seulement celui-ci n'échappe pas à la règle, mais il la démontre encore bien mieux, en bon empereur du genre qu'il a lui-même créé.
Visite de groupe à Liberty City
Bref, l'aventure qu'on nous propose n'est peut-être pas révolutionnaire, ni parfaite, mais c'est en revanche le cas de Liberty City, même si le moteur graphique, avec ses ombres trop crénelées, et un flou trop prononcé, ne met pas toujours en valeur certains détails. Pour le coup, aucun autre titre ne propose une ville moderne aussi détaillée, aussi riche, aussi crédible. Les piétons discutent, s'embrouillent, décrochent leurs téléphones, trifouillent le coffre de leur voiture, se font arrêter par des flics ventripotents qui ont peine à les courser, les commerçants nettoient leurs vitrines... il faut prendre le temps de s'arrêter pour contempler tout ça, c'est proprement époustouflant. Et c'est aussi le cas des modes multi, sans aucun doute LA vraie révolution de cet ultime épisode. Ils sont certes bordéliques, mais de ce joyeux bordel qui propose des heures de fun à plusieurs, avec des modes nombreux et super variés. Qu'il s'agisse de courses en caisse, de matches à mort en équipe ou non, ou d'escorte de VIP et autres courses au crime, c'est aussi là que l'orgie de contenu qu'est GTA IV brille de mille feux. Après COD 4, ou Halo 3, le titre de Rockstar s'apprête sans doute à conquérir la première marche du podium multijoueurs, et c'est mérité. De ce point de vue, on préférera sans doute la version 360 un peu mieux goupillée (normal, on paye pour le service), mais que ce soit sur PS3 ou 360, tout fonctionne à présent à merveille.
Un avant et un après GTA IV ?
J'aurai pas mal chipoté sur cette critique à la bourre du "jeu de l'année", je le concède. Après tout, il fallait bien le faire après que d'autres se soient repandus en éloges, ne soulignant comme seul défaut qu'une question de frame-rate. Mais tout comme eux, impossible de ne pas saluer l'immense travail abattu par Rockstar pour ce que d'aucuns pourraient considérer comme une simple mise à jour de sa série phare. Mais avait-elle beaucoup plus à faire ? Pas sûr, même si maintenant que le gros du travail technique est fini, on se prend immanquablement à rêver à une nouvelle étape sur les consoles actuelles, qui gommerait les quelques défauts de cette nouvelle jeunesse, tout en introduisant autant de variété qu'un San Andreas l'avait fait pour la génération précédente. Histoire qu'à la maturité des thèmes, à la justesse de l'humour et au réalisme de Liberty City, s'ajoutent plus encore de raisons de se perdre dans les méandres de cet univers à nul autre pareil. Les criminels n'en ont jamais assez.
La polémique polémicarde
Voilà pour le jeu en tant que tel. Impossible à présent de ne pas revenir sur la polémique déclenchée, et entretenue, par les médias généralistes. Cette polémique qui soulève tant de questionnements, mais toujours les mêmes. GTA IV est-il un jeu violent ? Oui, je l'ai déjà dit, c'est incontestable. Est-ce qu'on nous demande d'y entreprendre des actions inavouables, qui portent gravement atteinte à la dignité humaine ? Non. Bellic est un personnage plus profond et plus nuancé que ses prédécesseurs. Peut-être même le personnage principal le plus abouti de la planète jeu vidéo. Avec son passé trouble dans l'armée, les fantômes qui le hantent, son sens de la famille, sa lutte d'immigré fraîchement débarqué, sa psychologie emprunte de blessures qui en font un personnage crédible, Niko fait, il est vrai, acte de violence, mais pas au hasard. Comme les personnages de Scorsese ou de David Chase. On ne tue finalement que des ordures, souvent, et si la plongée au coeur du crime n'en reste pas moins réelle, lorsqu'il s'agit d'innocents, GTA IV nous laisse encore le choix de leur laisser la vie sauve, ce que personne ne dit. En d'autres termes, on est loin du manichéisme limite propagandiste de titres qui sont rarement autant critiqués. On pense par exemple à Call of Duty 4 avec son militarisme exacerbé à la faveur d'un point de vue simpliste sur les conflits qui secouent le moyen orient, et dans lequel on tue sans réelle distinction. Dans GTA IV, on ne fait pas que ça. Et pas sans que cela ne s'entoure de clés pour réfléchir à ce qui se déroule à l'écran ; beaucoup plus de clés que dans quantité de films à la Rambo ou autres blockbusters que tous regardent d'un oeil indifférent. Beaucoup passeront d'ailleurs leur temps à simplement déambuler dans les rues de Liberty City, contemplatifs, à découvrir la beauté de la vie qui la peuple, plutôt qu'à la détruire. L'univers de ce Grand Theft Auto brille bien plus par son intelligence que par sa violence... à croire que les médias généralistes ont définitivement fait l'impasse sur la première, preuve s'il en est qu'ils en manquent.
N.B. : Les versions 360 et PS3 étant quasi identiques, les tests le sont également. Graphiquement, les différences existent mais se résument essentiellement à une question d'appréciation des couleurs. La version PS3 bénéficie grâce à une installation de chargements plus rapides. Seule la version 360 propose pour l'instant des vibrations sans achat supplémentaire (mais le jeu est compatible DualShock 3), et c'est aussi la plus "propre" côté multi, Live oblige. Mais aucune autre différence majeure ne permet à l'une ou l'autre de prendre un avantage décisif.