Traditionnellement, le long déroulé des gens qui ont participé à la conception d'un RPG ne s'obtient qu'après un combat dantesque, généralement contre la troisième forme d'un boss dont la mort déclenche la destruction systématique de l'ultime donjon démoniaque. Ceux qui nous accueillent avec une option "Staff" dès le premier menu du jeu, sur fond de musiques épiques sont plus rares. C'est toute l'ambigüité de Grand Knight History, un RPG qui a l'ambition d'offrir autre chose. Ca lui a réussi : c'était le succès surprise de cet été. Une bien belle histoire à raconter.
Testé à partir d'une version import japonaise.
Le discours d'un roi
D'histoire, justement, il y en a peu dans Grand Knights History. 3 contrées s'opposent, mais pour des raisons dont on se moque. On choisit l'un de ces royaumes comme l'on choisit la couleur de son pion au Monopoly. Généralement, dans un RPG, ça se joue à la gueule du perso. Le seigneur du royaume, il sera ce petit blond chevaleresque, ce brun ténébreux aux cheveux longs ou alors cette magicienne à la poitrine démesurée. Retenir leurs noms n'a pas plus d'importance que de se rappeler des gens insignifiants rencontrés au hasard d'une soirée arrosée. Grand Knights History n'entretient pas un seul instant l'illusion : ici, l'important n'est pas le prétexte de la guerre mais bel et bien la conquête en elle-même.
L'ivresse du pouvoir
Les détracteurs du style Vanillaware le répètent à l'envi, la plupart de leurs productions ont beau être magnifiques, elles sont vides de toute charge émotionnelle. Ces haterz, qui décrochent s'il n'y a pas ne serait-ce qu'une petite identification avec le héros, n'en reconnaissent que la classe. Ce style revendiqué à la Oboro Muramasa, ou la beauté maniérée d'un Odin Sphere, la patte Vanillaware quoi, est acquise. Mais en n'étant qu'un véhicule à concept, Grand Knight History va leur donner raison à ces haterz. Car même les personnages dessinés de cette 2D somptueuse des grands jours de la Saturn n'essayeront pas de charmer plus que de raison. Oh, après des heures de jeu, on se prend à l'aimer, notre petit paquet de bonhommes anonymes. On se surprendra même à les regretter quand il faudra les envoyer à la guerre. Mais ce n'était pas gagné.
L'exercice de l'état
Magicien, soldat ou archer, tels sont les trois professions majeures qui seront plongées au cœur du conflit dans un équilibre qu'on qualifiera de "shi fu mi". Il y a quelques combinaisons possibles suivant le sexe et des spécialisations en armes, mais pas tant que ça, pas plus que de positions possibles sur le "Sphere Reel Battle", un damier de 12 cases. Quatre personnages à placer et forcément un équilibre à trouver. Les joueurs astucieux pourront même tenter une équipe radicale, composée uniquement d'archers ou de magiciens, des combinaisons extrêmes qui font leur petit effet en ligne. Les préparatifs terminés, on part accomplir des quêtes libres, des ennemis plus costauds à tuer ou alors scriptés, qui ne feront que vaguement avancer la trame mais avec, à la clef, de bien jolis boss.
Les marches du pouvoir
La carte, elle non plus, n'est pas très orthodoxe. Des cases, à mi-chemin entre jeu de l'oie et le 1000 bornes, où chaque pas équivaut à un jour qui passe. Des contrées séparées en secteur qui s'interconnectent mais qui n'empêchent en rien d'abondants combats aléatoires difficilement évitables. Toute fuite fera baisser la jauge de bravitude. Et des guerriers avec un moral en berne est la pire des choses qui puisse arriver, puisque ça les rabaisse au rang de sac de frappe. Le système de combats au tour par tour, vu que c'est pour ça qu'on est là, est un petit bijou méticuleusement calibré, où le niveau des ennemis s'aligne sur celui des héros. Une jauge d'AP (points d'action) permettra à chacun de porter un coup, à minima. Une fois les premiers rivaux zigouillés, on gagne d'autres points d'AP qui permettent de balancer des skills et des attaques de toute beauté qui justifient ces heures passées à se goupiller une équipe parfaite. Vanillaware ne s'est pas trompé : Grand Knights History n'avait qu'un truc à assurer, et il le réussit avec brio, ce qui est assez remarquable pour une nouvelle IP et un titre assez expérimental.
La conquête
Ceux qui ont réussi à dépasser leur zone de confort et à jouer à un RPG quasi sans scénar auront droit à une autre manière d'aborder le jeu, celle pour laquelle il a été conçu : le jeu "en ligne". Pour y accéder, quatre soldats suffisamment entrainés et âgés seront littéralement envoyés à la guerre, avec impossibilité de retourner au douillet confort "offline". Pour jouer en solo, il faudra donc faire un "reroll" comme on dit dans le monde des MMORPG (créer un nouveau personnage). Cousin germain des conquêtes de Final Fantasy XI, "la guerre", c'est son nom, permet aux membres des différents royaumes de se castagner mais sans jamais vraiment se rencontrer. Une bataille massive, mais de ghosts. On télécharge ainsi les dernières données de combat, on joue quand et où l'on a envie et à la première occasion, on rebalance ses exploits sur les serveurs. Et quand on n'a pas le temps, on peut même les envoyer se balader tous seuls, sans même avoir besoin d'intervenir dans la partie. On ne croise donc jamais ses potes si ce n'est dans les tableaux de ranking, mais on se serre les coudes dans les coups durs, en donnant son avis sur les prochaines conquêtes à faire. Grand Knights History joue à fond la carte de la communauté. Petite précision : malgré la saturation du mode en ligne lors de sa sortie, tout allait pour le mieux jusqu'à ce que Marvelous ne décide de bannir toutes les adresses I.P. non-japonaises (pas classe !), privant les moins débrouillards ou les expatriés de la possibilité de participer à cette quête commune. Un problème qui sera évidemment résolu avec la sortie européenne, l'année prochaine. Grand Knights History peut aussi s'enorgueillir d'être le premier jeu qui aurait mérité de sortir directement sur PS Vita. En effet, le jeu en ligne qui nécessite l'envoi ponctuel de ses données sur le réseau aurait logiquement trouvé sa place sur une console 3G connectée de n'importe où. Las, le possesseur de PSP doit attendre de trouver un salutaire spot Wi-Fi pour se mettre à jour.
Grand & Knights sont deux êtres très différents mais indissociables, deux facettes d'une même pièce. D'un côté, une mécanique de jeu très rigoureuse, adaptant l'éternel triptyque "pierre, feuille, ciseaux" pour en faire un système de RPG qui offre une vértiable expérience en ligne inédite. De l'autre, un prétexte vaseux pour une guerre dont les personnages sans fond sont pâles comme la photocopie d'une photocopie, des coquilles vides presque utilitaires, idéales pour se fondre dans le plaisir du "grobillisme". Un choix entier, radical, à l'image de celui d'un Dark Souls. Marvelous Entertainement, en difficulté cette année, se sera finalement sorti de la mouise grâce à ce JRPG expérimental et à Senran Kagura, un jeu de filles ninja à gros seins sur 3DS. L'audace a donc du bon. Beaucoup de gamers voyaient Grand Knights History en prophète du JRPG, il en est, au contraire, le Jekyll & Hyde du genre, un véritable apôtre du clivage.