Beaucoup s'imaginent qu'être chef suprême, c'est super. Roi ou reine, en l'occurrence. Pourtant, tout le monde sait aussi pour l'avoir entendu ou lu maintes et maintes fois qu'avec le pouvoir, vient la responsabilité, et que ce délicat cocktail exige bien des talents pour fonctionner en un parfait tandem. Mais on a tendance à l'oublier (ce qui explique peut-être comment certain(e)s peuvent parfois arriver bien plus haut qu'ils ou elles ne devraient). Fable III est une splendide illustration de cet équilibre difficile, et pas du tout parce que c'est son thème central, mais plutôt parce qu'à vouloir conquérir de nouveaux horizons, il laisse tomber en route pas mal de ses promesses d'antan.
Le test de cette version PC reprend de nombreux éléments du test de la version originale Xbox 360. Quelques modifications ont été apportées au sein du texte.
Des promesses, toujours des promesses
Dans ce troisième volet de la série, Lionhead propose donc de placer les joueurs sur le trône, face aux promesses qu'ils auront faites au peuple d'Albion tout le long du chemin révolutionnaire qui les y aura menés pendant les deux premiers tiers du jeu. L'ironie n'est sans doute pas fortuite. Difficile en effet de ne pas y voir une discrète déclaration de Molyneux, connu pour ses élans envers ses fans : honorer des promesses faites de bonne foi n'est pas toujours chose aisée. Si le cœur du jeu reste fidèle à son héritage, cette idée centrale cristallise en tout cas cette volonté, qu'on ne peut que saluer, de toujours chercher à proposer du neuf, à explorer de nouveaux territoires, et ce, même au risque de déplaire ou de bousculer des habitudes confortables. Mais pour les amoureux du second dont je fais partie, après avoir bouclé cette aventure et recommencé comme de coutume pour changer radicalement de bord, on reste emprunt d'une sensation bizarre de recul, de retour en arrière.
Le diktat de l'accessibilité
Molyneux l'a déclaré : la majorité des "features", c'est-à-dire des mécaniques et possibilités, de Fable II n'ont même pas été découvertes par de nombreux joueurs. Alors que Fable II avait considérablement enrichi la formule du premier, surtout du côté des interactions du personnage du joueur avec la fameuse simulation, Fable III n'a pas cherché à poursuivre et étoffer véritablement tout cela, bien au contraire. Les possibilités du volet précédent sont toujours toutes plus ou moins là, mais réarrangées et saupoudrées de révisions à tous les étages. Fable III a ainsi revu son système de progression du personnage, sa gestion des objets, des expressions utilisées pour échanger avec la population d'Albion, et en ce qui me concerne, pas toujours pour le mieux.
Simplifions ici, élaguons là
D'abord l'expérience : exit les points à dépenser en mêlée, distance, ou magie, on récupère à présent des sceaux de guilde qui illustrent nos suivants et se dépensent sur la "route du pouvoir" (un niveau symbolisant l'avancée vers le trône) pour ouvrir des coffres offrant de nouveaux sorts, renforçant les talents de combat, l'argent perçu en travaillant (comme forgeron, joueur de luth ou pâtissier), mais aussi des packs d'expressions ou des capacités liées au monde simulé d'Albion (comme acheter des propriétés, des commerces ou même voler, ce qu'on ne peut donc plus faire dès le départ). Si l'idée peut paraître bonne pour permettre aux joueurs moins chevronnés d'appréhender au fur et à mesure les différents aspects du jeu, elle empêche en revanche les habitués de se livrer de suite à certaines actions. De même, s'il était très possible dans Fable II de trouver des moyens détournés de résoudre certaines quêtes sans verser basiquement dans le choix Bien/Mal, voire en usant de fourberies délicieuses, les choix s'offrant aux joueurs de Fable III semblent plus binaires qu'auparavant. Heureusement, ils n'en sont pas pour autant plus manichéens (ou du moins, pas toujours), mais le sentiment de liberté s'en trouve tout de même affecté.
L'embarras du non-choix
De même, l'absence de roue des expressions oblige à passer par un choix imposé par la console : on passe d'une expression à une autre en séquence, et les sensibilités différentes à certains registres d'expressions de chaque villageois ne sont plus indiquées, car elles ont presque disparu du système. À de rares exceptions près, tout le monde réagit un peu pareil aux mêmes expressions. En gros, une expression positive, une négative, et une humoristique, sont disponibles, puis remplacées par d'autres quand on vient de les utiliser avec un même individu. Côté objets, fini l'inventaire et les différentes classes d'armes et d'armure. C'est plutôt chouette quand on pense aux menus moches, peu fonctionnels et lents du précédent Fable, mais pénible quand on se rend compte qu'on ne peut plus trimballer qu'un seul type de bouffe (c'eût été si horrible de permettre de les stocker sur PC ?), ou qu'il n'y a pas de notion de protection associée aux vêtements et armures qu'on peut collectionner. En revanche, le "Sanctuaire" qui apparaît de suite en pressant la touche echap et donne accès aux armes, aux statistiques, à la carte (pas très pratique car on n'y est jamais représenté et elle est trop stylisée), et autres choses utiles comme le multijoueurs, la liste des quêtes disponibles, ou nos finances, remplace avantageusement les menus, et permet de jongler assez rapidement et simplement entre différentes configurations de vêtements, maquillages, tatouages, magies ou armes.
Magie, magie, et vos idées ont du génie
Côté armes, justement, elles se limitent à deux types par genre : épée et marteau pour la mêlée, pistolet et fusil pour la distance. Elles morphent et évoluent en fonction de ce qu'on fait, ce qui est une excellente idée, mais on remplace assez vite les armes évolutives léguées par Papa Héros (celui de Fable II) à Gamin Héros (celui de Fable III), au profit d'armes légendaires et uniques découvertes, car elles offrent de meilleures statistiques. D'autant que ces armes uniques disposent de trois augmentations possibles, liées à la complétion de tâches diverses : de tuer 300 hommes-creux, à forniquer dans une orgie d'au moins 4 personnes, en passant par le meurtre de 2 épouses ou l'adoption de gamins. En revanche, les gantelets de magie permettent de mélanger les sorts comme on le souhaite, certaines combinaisons fonctionnant bien entendu mieux que d'autres. Côté armes à feu, si la visée manuelle existe toujours, avec concentration et effet de zoom, il n'est plus possible comme avant d'enchaîner des headshots jouissifs, c'est bien dommage. Mais quoiqu'il en soit, le joueur cherchant la performance aura tôt fait de trouver la combinaison ultime pour défaire les nombreux adversaires qui se présenteront à lui, sans risques - j'ai d'ailleurs fini le jeu sans mourir une seule fois. C'est un peu dommage car le combat a été grandement fluidifié et dynamisé... mais pourquoi s'embêter à faire de jolies choses alors qu'il est si simple de massacrer tout le monde en laissant le bouton droit de la souris appuyé quelque secondes, très tôt dans le jeu ? En général, je salue simplification et accessibilité, mais comme tout, point trop n'en faut.
L'exercice du règne
Reste un point d'importance à aborder, d'autant plus qu'il a été jalousement gardé secret jusqu'à la sortie du jeu sur 360 : l'exercice du règne. En réalité, il n'y a que peu de différences pour le joueur, en termes de déroulement, après son couronnement. Il pourra toujours entreprendre des quêtes, draguer tout le monde (plus facilement s'il est un Roi aimé), explorer le monde à la recherche de nouveaux trésors, ou jouer du luth et forger des épées pour se faire des sous. En revanche, justement, les sous prendront une toute nouvelle importance. Car bien entendu, un nouveau twist scénaristique intervient peu après le succès de la révolution : le royaume va devoir réunir une véritable fortune, et ce en temps limité (qui s'écoule par étape, et non en temps réel, rassurez-vous). En parallèle de cette "révélation", un emploi du temps royal devra être honoré, avec des décisions d'envergure sur la réhabilitation de certains lieux d'Albion, les promesses engagées avant le couronnement, ou encore les lois du Royaume. Malheureusement, les décisions sont assez binaires, et si les avocats des deux parties déploient de argumentaires délicieux pour tenter de convaincre que leur solution est la meilleure (l'un défendant une décision qui coûtera moins d'argent ou en rapportera au Royaume en prévision de l'épreuve à venir, l'autre celle qui ravira les habitants d'Albion), on reste face à des choix très limités. Dans les faits, mieux vaut en tout cas avoir accumulé des monceaux d'or avant de se rendre à chaque audience dans la salle du trône. Un conseil donc : prenez votre temps avant d'aller rendre un jugement. Mais au final, cet aspect de l'aventure, tout en restant très intéressant, reste si simple que les rêves qu'on pouvait s'en faire avant de le découvrir ont bien du mal à se concrétiser en jeu, et échoue à mon sens à égaler le passage de l'Aiguille du second.
Un monde étrangement envoûtant
Un peu comme pour le reste, le monde d'Albion s'étoffe par certains aspects (taille et variété des environnements), et déçoit par d'autres (certains lieux qui semblent bâclés, tant en level design qu'au niveau raffinement visuel). Mais malgré les animations hors-combat datées, les murs invisibles et les détails moins reluisants de l'ensemble comme des ralentissements parfois présents sur une bonne config de jeu lorsqu'on pousse les options (sans pour autant que ça devienne absolument incroyable de beauté technique sur PC), le charme opère toujours dans cette version en pleine industrialisation d'Albion. D'autant plus même, que dans cette version PC, tout est bien entendu plus fin, et qu'il est possible d'en profiter en 3D relief. Difficile de lâcher l'écran tant ce monde regorge de choses à découvrir. Et il faut se rendre à l'évidence une fois de plus : ça fait du bien de retrouver Albion. Cet Albion dans lequel on débloque un Succès pour avoir rendu un jugement en costume de poulet sur le trône, cet Albion où les gens vomissent dans les rues quand l'alcool est moins cher, cet Albion bourré d'humour british avec des quêtes mémorables comme la réinterprétation ridicule de la pièce de théâtre la plus mauvaise de tous les temps, la partie de jeu de rôle dans la peau de la figurine de plomb observée par les rôlistes encagoulés, cet Albion au charme confondant qui regorge de trucs cachés qu'on collectionne moins pour leur utilité que pour le plaisir de les découvrir. Cet Albion dans lequel on peut devenir un grand propriétaire immobilier, ou un magnat du commerce, un père de famille gaga ou un tyran sanguinaire craint par tout le monde.
La vie de couple du héros
S'il y a un chantier sur lequel Fable III progresse drastiquement, c'est bien le coopératif. La fonctionnalité un peu gadget de Fable II cède sa place à un véritable mode multijoueurs (tout du moins, via le Live), dans lequel chaque joueur, hébergeur comme invité, s'incarne avec son héros, son chien, et toutes ses capacités. Les orbes d'autres joueurs sont de retour, l'interface elle-même reste peu ou prou la même (en quelques pressions de touche on se retrouve dans l'Albion d'un autre ou avec un nouveau compagnon dans le nôtre), mais cette fois, c'est tout simplement jouable, jouissif, et surtout très utile. On peut ainsi s'échanger ou se vendre des objets, se donner de l'or, ou carrément nouer des partenariats commerciaux et gagner ainsi plus d'argent, plus rapidement. On peut aussi se marier avec un autre joueur et même faire des enfants. Le partage des biens est alors soumis aux mêmes règles qu'en solo, et on peut aussi divorcer (la garde des enfants étant alors attribuée au joueur hébergeur). Mais, surtout, les deux peuvent se balader, au sein d'une même zone, comme ils le veulent. Pendant que l'un guerroie, l'autre peut très bien s'amuser à serrer des paluches dans le village du coin, ou travailler un peu. Si l'hôte quitte la zone, l'autre l'accompagne automatiquement. Il subit aussi les pauses du joueur hébergeur, en apparaissant en fantôme dans son sanctuaire, mais il conserve la possibilité d'accéder au sien à tout moment sans gêner l'autre. Les biens et objets sont dupliqués, y compris les sceaux de guilde : du coup, il est aussi possible pour un héros ayant déjà fini le jeu de refaire de précédentes quêtes et d'y gagner autant de boucliers qu'avant (ce qui n'est pas du luxe si on souhaite débloquer tous les coffres de la Route vers le Pouvoir). Et parcourir Albion avec un pote, dès le début comme plus tard, s'avère enfin être une expérience coopérative très concluante - un point fort de ce Fable III, incontestablement. En plus, ça marche a priori entre consoleux et PCistes.
Difficile de ne pas voir les lacunes de ce Fable III, qui s'avère moins convaincant à de nombreux égards que le précédent - qui n'est jamais sorti sur PC et c'est bien dommage. Son scénario plus convenu, la simplification pas toujours judicieuse de certaines mécaniques, le bestiaire sans surprises, les reproches ne manquent pas. Néanmoins, Fable III, comme ces prédécesseurs, envoûte par un charme suintant de toutes parts, d'autant mieux sur PC qu'il est bien plus beau techniquement que sur 360. Le mode coop' enfin réussi propose une expérience tout simplement inédite, et même si l'exercice du règne, grande promesse de ce volet, n'est pas d'une folle ambition, on ne se lasse pas de cet univers bourré de fun. Oui, Fable III aurait pu être beaucoup mieux fini et plus ambitieux, mais il reste un titre à nul autre pareil.