Il aura fallu 17 ans à Ash Williams, le héros de la licence Evil Dead, pour revenir sur le devant de la scène vidéoludique après le très décrié jeu PS2 Regeneration. Et puis sans crier gare, en 2020, Saber Interactive (World War Z) annonce un nouveau titre multijoueur asymétrique : Evil Dead The Game. Un retour triomphant pour une franchise culte ou un raté de plus ? On a défié les démons pour le savoir.
Lorsque l’on parle du cinéma d’horreur, la franchise Evil Dead est présentée systématiquement et à raison comme une référence culte dans son genre. Une trilogie à petit budget, pleine de sincérité, d’audace et d’inventivité signée Sam Raimi (Jusqu’en enfer, Spider-Man, Doctor Strange 2…), que l’on dévore encore aujourd’hui pour son humour noir, son irrévérence et son côté grotesque. Un héritage donc lourd à porter.
Evil is not Dead
Un rapide retour en arrière s’impose si vous n’êtes pas familiers de l’univers d’Evil Dead. Tout commence avec le premier volet de 1981 dans lequel Ash Williams, sa sœur Cheryl, sa petite amie Linda, Scott et sa copine Shelly, vont se mettre au vert dans une cabane de fortune au fin fond de la forêt de Morristown au Tennessee. Ce repos tourne très vite au cauchemar dès lors que des événements paranormaux se manifestent dans la cahute. Attirés par la trappe du sous-sol qui s’est ouverte toute seule, Ash et Scott s’y rendent et déterrent un fusil de chasse, une dague et un enregistrement qui explique l’existence du Nécronomicon ou le « Livre des Morts ». Un ouvrage maléfique contenant des sortilèges qui, prononcés à haute voix, sortent les démons de leur sommeil. Ash lui-même finira par être possédé dans Evil Dead 2, à travers sa main droite, l’obligeant à la sectionner et y greffer une tronçonneuse. Voilà en gros pour le contexte mais nous vous invitons à découvrir les trois films et la série TV.
Ce conseil a toute son importance car Evil Dead The Game pioche dans toutes ces œuvres et notamment pour son « solo ». En lisant une série de cassettes VHS, chacune déblocable au fur et à mesure, on a en effet accès à des missions où l’on lapide des Cadavéreux à la chaîne en revivant des moments clés des films ou de la série Ash vs. Evil Dead. Comme ce passage impensable avec Linda où… pas de spoiler ! Autant être franc, cette « campagne » n’a pas de réel intérêt en soi, autre que celui de déverrouiller des personnages (Pablo et Ash « vieux » d’Ash vs. Evil Dead…) pour le multijoueur, et ça se boucle en quelques heures seulement. Les séquences de gameplay sont entrecoupées d’images fixes pour apporter un peu de narration, le strict minimum de la mise en scène. Ce ne sera pas mémorable pour un sou et pour cause. Ces missions ont été ajoutées « en catastrophe » après que certains joueurs n’aient pas accepté le parti-pris d’avoir un jeu multi Evil Dead pour une fois. Dommage parce que le temps supplémentaire permis par le report aurait pu, du coup, être utilisé de manière plus pertinente.
Une ambiance à réveiller les morts
En revanche, en termes d’ambiance, Evil Dead: The Game coche toutes les cases de la bonne adaptation dont l’on pourra discuter entre amis sans avoir honte. La passion et l’amour pour le matériel d’origine transpirent. La trilogie de Sam Raimi, c’est du gore, de l’humour noir et des trucs grotesques pour un cocktail détonnant. Eh bien ce nouveau jeu, c’est un peu tout ça à la fois et c’est ce qui fait que ça fonctionne. Ça touche directement les fans, tout l’inverse d’un autre jeu asymétrique basé sur une IP culte : l’horrible Predator Hunting Grounds. Un important travail a été fourni par Saber Interactive pour recréer soigneusement l’atmosphère d’Evil Dead. Les environnements baignent dans une obscurité qui, si elle nous pénalise parfois d’un point de vue lisibilité en raison du faible contraste, est essentielle pour instaurer un brin de peur ou de stress. On se fait surprendre par des ennemis de base, par des jumpscares aussi effrayants que kitchs et comiques, et par l’omniprésence du démon incarné par le joueur adverse comme nous le verrons. En effet, même s'il ne se dévoile pas physiquement, on entend sans cesse la présence de cet esprit maléfique invisible qui rôde autour de nous (comme dans les films finalement). Mais ce ne serait rien sans un sound design aux petits oignons, et là encore, Evil Dead: The Game est clairement au niveau. Cependant attention aux oreilles, car comme dans les films également, ça crie fort, très fort par moments, dans l’unique but de nous faire sursauter à tout instant.
La fidélité du titre passe aussi par les nombreuses punchlines des différents longs-métrages (ou de la série) prononcées régulièrement en plein match par les personnages les plus emblématiques. Ash et Cheryl Williams, Scotty, Henry le rouge ou Henrietta etc. Le casting est complet et rien n’est laissé au hasard. Ash d’Evil Dead 1 ne peut par exemple pas porter de tronçonneuse à sa main droite. Dit comme cela, ça peut paraître insignifiant mais ce genre de petits détails font la différence.
Dans la peau des Survivants
Décevant et très dispensable en solo, mais « Groovy » à plusieurs ? Oui. À l’image d’autres softs multijoueur asymétriques (Dead by Daylight, Vendredi 13 : le jeu vidéo) avant lui, Evil Dead: The Game propose des confrontations à quatre contre un. Deux camps se dessinent donc : celui des Survivants dans le rôle des personnages des films et de la série, et celui des Démons de Kandar. C’est dans ce mode de jeu que le titre lâche les chevaux et que l’on s’éclate malgré le côté répétitif. Parce que oui, les objectifs sont peu nombreux et tournent vite à vide, et pourtant, on y revient encore et encore pour se marrer entre potes. Avant de lancer une partie, on doit d’abord sélectionner l’une des quatre classes de héros. Les Chefs qui, de par leur aura, améliorent leurs statistiques et celles des alliés; les Guerriers plus résistants et qui infligent davantage de dégâts de mêlée; les Chasseurs pour combattre à distance en emportant plus de munitions, ils ont une endurance accrue; et enfin les Soutiens qui protègent les joueurs en les soignant ou leur permettant d’avoir des boucliers. En consommant une bière Shemp (santé) ou une Amulette (bouclier) près des coéquipiers, les effets positifs des objets s’appliquent aussi à eux. Et si l’adversaire est bien organisé, avoir une équipe équilibrée sera une des clés de la victoire.
À chaque début de match, l’enjeu pour les Survivants est d’aller fouiller les cabanes et maisons afin d’exorciser le mal qui ronge la carte. En plus des consommables cités, il faudra également un arsenal à toute épreuve pour faucher les vagues de Cadavéreux qui nous assaillent. Des équipements, comme souvent, catégorisés de « Commun » à « Légendaire ». Les armes et donc les combats de mêlée sont ce qu’il y a de plus jouissif dans le jeu. Si un couteau ou une machette peuvent faire l’affaire, faute de mieux, on monte d’un cran lorsque l’on se procure une batte cloutée, une pelle ou la tronçonneuse mythique. Dès lors, on prend énormément de plaisir à démembrer un à un les ennemis dans un festival d’hémoglobine. Des hectolitres de sang qui sont déversés à tel point que l’écran peut devenir entièrement rouge. On n’y voit rien pendant quelques secondes, mais ce n’est pas grave, ça fait partie du fun. Et attendez de faire l’expérience du « Coup de grâce », un finish move qui n’est possible qu’après avoir enlevé la barre d’équilibre d’un opposant et d’avoir bien entamé sa barre de santé. Avec une pelle en main, Ash s'évertue à décapiter coûte que coûte certains ennemis. C’est extrêmement jubilatoire même si les sensations auraient pu être encore meilleures. En effet, pour des raisons obscures, les vibrations sont quasiment aux abonnés absents et la DualSense n’est pas du tout prise en charge. Ça retire un peu de mordant au côté viscéral des duels. Les armes à distance comme le Remington calibre 12 à canon scié, appelé aussi « Boomstick », conviennent également pour faire voler des têtes et des bouts de cervelle.
Quand on estime être paré pour affronter les Démons de Kandar, à nous les objectifs de matchs qui interviennent toujours dans le même ordre. D’abord, il faut rassembler une carte en suivant les indications à l’écran. Une fois recomposée, elle nous permet de déceler les pages du Nécronomicon et de la Dague de Kandar. Et pour récupérer ces items, il faut cette fois défendre deux zones en restant dans un périmètre donné. À partir de là, en route pour l’affrontement final qui se fait en deux temps : envoyer au tapis des démons anciens avec la Dague de Kandar dans une ambiance Ghostbusters, puis empêcher que les Cadavéreux restants ne découpent en petit morceaux le Nécronomicon.
Le réveil des Démons d'Evil Dead
En tant que Démons, l’expérience change du tout au tout. Dans ce camp, il y a trois classes : les Chefs de guerre qui améliorent les unités maléfiques à proximité en augmentant les dégâts infligés et en réduisant les dommages subis; les Marionnettistes qui peuvent prendre possession des humains; et les Nécromanciens qui ont la faculté d’appeler un « Flûtiste » pour renforcer les ennemis. En théorie, cela aurait pu être séduisant mais en pratique, jouer un Démon est bien plus douloureux et moins exaltant dans les premiers temps à cause de leur impuissance. Mais aussi en raison des déplacements douteux. Ici, comme dans les films, le Démon est une forme spirituelle invisible qui se meut en vue subjective. Les mouvements sont « bizarres », avec une espèce de latence, et nous n’avons pas une pleine liberté ce qui provoque de la frustration. Alors que nous pensions pouvoir survoler un talus par exemple, nous nous sommes pris un stop. Comme pour les Survivants, s’il y a un obstacle, il faut le contourner.
Cela étant dit, en quoi consiste concrètement le rôle de Démon ? Pour commencer, il ne faut pas trouver des armes ou ressources mais de l’énergie infernale. Des orbes rouges qui servent à remplir une barre d’énergie infernale pour effectuer des actions comme posséder des Cadavéreux, des arbres ou même une voiture. Le coût en orbes sera alors plus ou moins élevé. Le plus gros du travail dans la peau d’un Démon sera de collecter ces boules rouges dans le but de faire apparaître des portails ou des pièges pour libérer des sbires d’attaque, ou encore molester nous-même nos proies en prenant une apparence physique. Avec Henrietta par exemple, le délire est total puisque certains pouvoirs impliquent de saisir la tête d’un Survivant pour l’amener vers la poitrine de l’entité démoniaque, voire vers une partie beaucoup plus intime (c'est Evil Dead, il ne faut pas chercher à comprendre).
En multipliant les actions, le Démon renforce une barre de menace qui amplifie sa force totale. Plus la barre de menace affiche un grand nombre, et plus les Survivants auront des difficultés à accomplir leur mission. D’ailleurs, les Démons peuvent également se nourrir de cette jauge de menace pour accroître le niveau de peur des rescapés. Bien que téméraires, les Survivants redoutent le noir et ne doivent, sous aucun prétexte, quitter leurs coéquipiers. Si certains partent explorer en solo, alors le niveau de peur augmentera bien plus rapidement. Idem lorsque ces derniers restent trop longtemps dans l’obscurité. Quand le niveau de peur est à son maximum, les Démons repèrent les Survivants sur la carte et ont la possibilité de se ruer sur eux pour les contrôler. Les Survivants devront alors frapper le collègue ensorcelé pour briser l’emprise du Démon. Dernier tour de magie : le piège de caisses de ravitaillement. En allant chercher de l’équipement, les Survivants peuvent tomber sur des leurres. Par exemple des mini-Ash qui leur sautent au visage. Peu importe le camp, Démons ou Survivants, les personnages peuvent tous prétendre à des compétences en dilapidant des points d’esprit. Ces capacités sont définitives dans le sens où elles sont conservées entre chaque partie. Il y a également des améliorations qui ne sont valables que durant les matchs en consommant des bouteilles de « Planant rose».
Des défauts agaçants
Evil Dead: The Game est loin d’être exempt de défauts. Si le potentiel est assurément là, il faudra voir le suivi du jeu sur le long terme car pour l’instant, avec deux cartes, ça ne pèse pas lourd. Heureusement, celles-ci ont pour elles leur grandeur, leur agencement aléatoire, et leurs environnements qui sont vraiment réussis. D’un point de vue gameplay, ce n’est pas non plus l’eldorado. Dans les lieux exigus comme les cabanes, la caméra décroche fréquemment et on ne sait plus où donner de la tête. De ce fait, on aura tendance à faire du button mashing dans l’espoir que tout rentre dans l’ordre rapidement. Monter dans un véhicule ou réanimer un coéquipier peuvent aussi se révéler être un calvaire si la position du personnage n’est pas optimale, ce qui peut faire perdre du temps voire une partie. Même chose lorsque l’on essaye tant bien que mal de rentrer dans une maison. On peut être bloqué par un simple plancher, une fenêtre ou un talus que nous devrions pouvoir franchir sans se poser de questions. Mais pas dans Evil Dead: The Game. Et ça s’applique autant aux Survivants qu’aux Démons, bien que les limites des Démons soient encore plus frustrantes. C’est réellement un défaut que l’on espère voir disparaître au fil des mises à jour.