En quelques années, FromSoftware (Bloodborne, Elden Ring) a mis l’industrie du jeu vidéo à ses pieds en imposant un genre à part entière : le souls-like. Un style dont la caractéristique principale est de remettre la difficulté, ou plutôt l’exigence, au centre de tout. Des titres moins accessibles que d’autres, mais qui ont trouvé totalement leur public en peu de temps. Aujourd’hui presque tout le monde veut son souls-like et un petit nouveau a débarqué cette rentrée : Enotria The Last Song. Une énième copie, mais qui vaut quand même l’original ? On a pris un billet d’avion pour l’Italie avec aucune garantie de s’en sortir vivant.Q
Lies of P, Lords of the Fallen, Wo Long Fallen Dynasty, les souls-like ne manquent pas sur le marché aujourd’hui. C’est une invasion de clones, mais ce ne sont pas les fans du genre qui vont s’en plaindre. Ce qui est le plus compliqué, c’est d’apporter quelque chose de différent par rapport aux ténors comme les productions FromSoftware. Où se situe Enotria The Last Song au sein de ce nouvel empire ?
La Commedia dell’arte d’Enotria The Last Song
Pour s’élever au-dessus des étalons du genre, ou au moins rivaliser avec eux, les souls-like doivent trouver un moyen de se différencier comme la direction artistique ou le contexte du jeu. Si Lies of P a par exemple tout d’une copie de Bloodborne à plusieurs égards, il s’en éloigne par l’ajout de sa touche steampunk ainsi que par sa relecture plus adulte et sombre d’un conte légendaire : Pinocchio. Avec Enotria The Last Song, les italiens de Jyamma Games font également preuve d’originalité en s’appuyant sur le folklore de leur pays pour revisiter à leur sauce La Commedia dell’arte, un genre de théâtre où les acteurs revêtent de superbes masques et costumes pour jouer une comédie.
C’est le point de départ d’Enotria The Last Long qui raconte l’histoire d’un monde pris au piège par la Canovaccio, une pièce de théâtre infinie qui plonge les habitants dans une certaine folle dont ils ne peuvent sortir. Un état second qui pourrait toutefois disparaître si nous, le Sans-masque, arrivons à tuer un à un les dramaturges responsables de cet univers illusoire. Toute ressemblance avec le Sans-éclat d’Elden Ring et de son DLC L’Ombre de l’Arbre-Monde serait bien évidemment fortuite (absolument pas). Pour le coup, le contexte est réellement original et ça change donc des autres propositions vues jusqu’à maintenant. Malheureusement, ça ne tient pas toutes ses promesses.
Commençons par voir le verre à moitié plein en rendant hommage à la direction artistique. Enotria The Last Song fait preuve d'optimisme avec des biomes très ensoleillés, pour la majeure partie d’entre eux, qui semblent sortis tout droit d’une carte postale d’Italie ou de la Méditerranée tout court. Entre le Colisée, la Venise du jeu, un camp de romains ou encore la première zone - sur les trois à parcourir - qui représente un village typique du coin avec ses comédiens qui fredonnent dans les allées ou attendent sur les toits pour nous faire la misère, l’identité de l’Italie et du sud est bien là. On profite ainsi de très jolis décors, avec une chouette variété, et de beaux panoramas qui peuvent néanmoins être gâchés par des graphismes limités et des défauts techniques (clipping, environnements peu voire pas détaillés avec un manque de textures au loin etc.) en raison du budget plus restreint.
En revanche, on reste sur notre faim et l’on aurait aimé que la folie abordée par l’histoire, ainsi que la comédie, soient encore mieux exploitées dans les environnements. Ça manque de fantaisie, de magie et de vraie patte pour nous asséner une claque. C’est un bon ouvrage, mais on n’est jamais surpris ou emporté par ce que l’on voit par rapport à d’autres jeux du même style. En résulte une impression très nette d’un univers original, mais bien trop peu exploité, à notre grand regret.
Au fil du voyage, on tombe sur des personnages emblématiques de La Commedia dell’arte comme Pantalone (Pantalon), Arlecchino (Arlequin) ou encore Balanzone (Docteur). Progressivement on va débloquer des éléments du lore en tuant notamment des ennemis. Le hic, c’est qu’il faut parfois battre à différentes reprises un même adversaire pour avoir le droit à un petit biscuit narratif. L’exécution de la narration et le peu d’intérêt qu’il peut y avoir à la lecture des documents obtenus ne motivent pas à faire des allers-retours dans les menus en mettant de côté l’action pour creuser le récit. On n'est pas en terre inconnue puisque c'est une narration typique du genre, la maîtrise en moins ici. Reste alors à chasser dans les moindres recoins les dramaturges et autres menaces du monde d’Enotria pour libérer les habitants.
Un souls-like avec d’étranges masques en plus
Le jeu de Jyamma Games ne s’embête pas à cacher ses inspirations et ce dès le début avec la cinématique qui présente très brièvement les boss de l’aventure. Une fois celle-ci terminée, on fait connaissance avec notre Sans-masque, qui n’a pour le coup pas de masque, et des vêtements basiques pour affronter quelques tutoriels. L’occasion de constater que sur ses grands principes, Enotria The Last Song ne diffère pas des autres souls-like ou même d’autres jeux d’action. On part donc avec une attaque forte, une faible, l’éternelle roulade et la parade qui est la grande star des combats. Vous n’aurez pas d’autre choix que de la maîtriser pour venir à bout de la barre de posture - des boss, mid-boss et adversaires de base - qui, contrairement à d’autres softs, a deux avantages qui facilitent les choses. Elle est constamment à l’écran et les dégâts générés par une parade - ou une attaque - se cumulent et ne disparaissent jamais, ce qui est assez similaire à ce qu’on peut retrouver sur Wu Long Dynasty.
Il n’y a donc pas la pression de voir cette jauge descendre et de devoir tout recommencer pour déstabiliser l’opposant. C’est par conséquent plus simple d’effectuer un coup de grâce qui peut faire très mal après avoir brisé la posture. Rien qu’avec ça, si vous recherchez la difficulté à tout prix, il y a un risque de déception. D’un autre côté, ça laisse une chance aux nouveaux-venus dans le genre d'avancer même si la mort rôde toujours dans les parages. Le ressenti de la parade sur le plan visuel ou le retour éprouvé lors de l’entrechoquement est plutôt bon, mais il arrive parfois que tout déraille y compris au niveau sonore. Ce qui fait qu’on peut vite être perturbé et ne plus savoir si l’action a réellement été prise en compte ou non.
Si Enotria The Last Song reprend les fondamentaux, il se détache cependant de ses petits copains avec son système de masques. Des accessoires qui peuvent être soutirés aux boss, mid-boss ou aux ennemis classiques grâce à des Fragments obtenus en tabassant chacun d’entre eux. Lorsqu’on en a suffisamment engrangé, ça débloque automatiquement un nouveau masque. Outre l’amélioration du look, cela donne accès à un avantage passif propre à chacun qui peut permettre de remplir la jauge de posture adverse plus rapidement, faire plus de dégâts ou encore augmenter le nombre maximum de charges d’ambre qui sont l’équivalent des fioles de soins - c’est de loin le bonus le plus utile pour démarrer l’aventure en étant plus serein à ce niveau. Ces masques ont d’autres particularités dont celle de nous permettre d’élaborer trois builds différentes avec lesquelles alterner en exploration ou en plein combat d’une simple pression sur le pavé directionnel.
Chaque configuration peut accueillir des « Traits », autrement dit des sorts. Ils se rechargent en attaquant et permettent de lancer jusqu’à quatre capacités spéciales (ex : une charge de bouclier qui blesse l’ennemi au contact et le fait reculer, porter un coup de haut en bas qui inflige des dégâts de zone etc.). En théorie, ça représente une aide supplémentaire, mais dans la pratique, c’est une autre histoire. On se rend compte que c’est vite galère à l’usage car elles mettent trop de temps à s’exécuter face à des adversaires qui nous harcèlent et qui peuvent les interrompre très facilement. En plus des « Traits », on peut également s’équiper d’une « Gemme » (ex : pour absorber toutes sortes de dégâts), d’une série d’objets consommables - parfois très puissants pour enlever rapidement de la vie à nos opposants -, d’un « Aspect » pour booster les statistiques de différentes catégories (Brute, Assassin, Élémentaliste, Filou, Mage de Bataille), mais aussi jusqu’à six « Avantages » de masques qui correspondent aux aptitudes débloquées dans la Voie des innovateurs, l’’arbre de compétences à quatre branches d’Enotria. Il y aura donc des choix à faire, mais la possibilité d’avoir accès à trois builds à tout moment offre une flexibilité que les autres jeux n’ont pas.
Si on est tenté d’essayer diverses configurations pour voir ce qui fonctionne le mieux et pour faire face à toutes sortes de situations, force est de constater qu’on peut faire une grande partie de l’aventure avec le même masque par exemple. Par fainéantise il faut l’avouer, mais aussi parce qu’à quoi bon changer une recette gagnante et se mettre dans le pétrin volontairement ? Puisqu’on est dans un souls-like, il y a évidemment aussi une copie des feux de camp et sites de grâce qui s’appelle ici Nœud de réalité. C’est donc à cet endroit qu’on va pouvoir se reposer afin de restaurer toute sa santé et les charges d’ambre, débloquer de nouvelles aptitudes via La Voie des innovateurs, passer au niveau supérieur en améliorant ses statistiques (pour plus d’endurance, de santé, de dégâts etc.), mais également reconfigurer les builds. Car si certains éléments sont modifiables sans se rendre à un Noeud de réalité, comme les armes ou les consommables, le changement de masque, de traits et d’aspect nécessitent obligatoirement un passage vers ce lieu de repos. Accessoirement, c’est aussi là qu'on effectue nos voyages rapides entre les différentes sections du jeu.
L’établi à proximité de la plupart des Noeuds de réalité permet quant à lui d'améliorer les masques pour augmenter la puissance de l'effet octroyé par chacun, les armes et les traits afin qu’ils se chargent plus rapidement et fassent plus de dégâts avec de la Memoria - la ressource lâchée par les cadavres comme les Runes d’Elden Ring ou les Âmes de Dark Souls. Mais étant donné la lenteur d’exécution de ces sorts et la réaction adverse vis à vis de ces derniers, on aura tendance à privilégier d'abord les stats classiques, ainsi que les armes.
Un challenger qui peine à trouver sa place
Pour combattre les saltimbanques d’Enotria, on a un arsenal assez classique avec des épées longues, des masses, haches voire des lames massives dont une qui s’apparente à la Broyeuse de Cloud dans FF7. Si certaines sont bien puissantes avec un design plutôt classe, comme le Graisseur Colossal qu’on peut se procurer sur un rivage dans la zone qui précède le village, là encore, Jyamma Games sous-exploite son univers qui ne demande qu’à être approfondi. On a bien une Hallebarde ou Masse à point de théâtre par exemple, mais le thème du jeu invite à plus d'extravagance. Mis à part le design, il y a également un gros problème avec les armes lourdes. Oui le poids est là, mais c’est trop. L’animation de certaines lames met une plombe à démarrer et il y a peu de place pour des enchaînements en duel contre un ennemi beaucoup plus rapide. Dès lors, pour éviter de se manger des attaques gratuites, on va chercher à jouer la prudence avec des armes moins lentes, voire rapides, comme la hache, et à avoir recours aux épées lourdes que lorsqu’on accomplit un coup de grâce.
Enotria comprend aussi quatre types d’afflictions (Vis, Malanno, Gratia, Fatuo) avec différents effets de statut qui peuvent jouer avec ou contre nous. Avec Vis, on augmente les dégâts occasionnés et la régénération de l’endurance, mais on perd en défense. Tandis qu’avec Fatuo, on renforce notre puissance élémentaire, mais si on se fait toucher, l’ennemi regagne de la santé. C’est donc à double tranchant et toutes ces afflictions sont régies par le système de pierre-feuille-ciseaux. Le Vis est sensible au Fatuo, le Fatuo à la Gratia, la Gratia au Malanno et le Malanno au Vis. De tous ces effets, le Malanno est le plus efficace puisqu’il fait perdre temporairement des PV aux ennemis. Une mécanique qui manque de clarté, malgré un rappel permanent à l’écran des altérations qui prennent le dessus sur les autres. Les armes peuvent être imprégnées naturellement de ces afflictions, quand d’autres requièrent par exemple d’équiper un Trait à l’emplacement 3 (sur 4) pour imbiber nos lames de Vis, Malanno, Gratia ou Fatuo. On a l’impression d’être devant le brouillon d’une idée et on verra peut-être pourquoi.
Le cœur de l’expérience d’un sous-like, c’est la bagarre avec des monstres plus ou moins imposants aux designs incroyables, magnifiquement mis en scène et avec une bande-son qui colle des frissons. Bon, ça, c’est avant tout si vous êtes chez FromSoftware. C’est tout l’inverse là et c’est normal parce que les budgets ne sont pas les mêmes, mais ça n’explique et n’excuse pas tout. Les boss sont cruellement décevants. Hormis le deuxième de la première zone, Zanni, qui a ce côté épique en apparence, tous les autres, même les principaux vers la fin, ne font ni chaud ni froid. Il n’y a aucune démesure au point où, s’il n’y avait pas de cinématiques pour dire « Hey, c’est eux les méchants ultimes », on aurait du mal à faire le distingo.
Sans atteindre la maestria de FromSoftware, NEOWIZ a fait mieux avec Lies of P. Pour rester dans la comparaison, on est plus sur quelque chose de déceptif comme pour un souls-like indé au budget serré : Flintlock. Le pire étant le recyclage à n’en plus finir de certains ennemis qui se font même passer pour des boss plus importants en augmentant de taille. Comme si le joueur n’allait pas remarquer le copié-collé. Dans certains cas, la variante d’un adversaire consiste juste à faire en sorte qu’il ait une épée imprégnée de Malanno au lieu de Vis, mais le comportement est identique et le movesets des armes également. Oui, il y a forcément un problème de budget, mais non, ça n’explique et ça n’excuse pas tout. Quant à la musique, là encore, ça tape souvent à côté avec en plus des morceaux répétés par moments. Aucun frisson à l’horizon, aucun poil qui se dresse.
En termes de difficulté, on est sur quelque chose de résolument plus accessible en raison d’un équilibrage étrange ne serait-ce qu’avec la toute puissance de la parade qui est souvent le meilleur moyen de ne pas se faire occire rapidement, mais cette action nécessite de l’endurance qui, elle, a un délai contestable. En outre, l’ajustement d’un ennemi à l’autre est défaillant. Zanni, que l’on mentionne plus haut, est ridiculement facile à abattre à cause de sa difficulté à se mouvoir alors que c’est l’un des boss principaux. A contrario, un mid-boss nous a fait bien plus mordre la poussière sans véritable motif. Et on va vous laisser le plaisir de la découverte, mais attendez-vous à souffrir lors d’un combat avec un énervé du bocal qui vous supprime tout votre attirail, mais pas que. Encore une fois, maitrisez surtout la parade hein.
Inégal et avec une finition qui laisse à désirer, c’est sûrement la meilleure façon de résumer Enotria. Avant d’écrire des bêtises, on a vérifié un éventuel avertissement sur une version early access, mais rien n’est mentionné sur la fiche Steam. Conclusion ? C’est censé être un jeu complet, mais ça ne l’est pas. D’abord, la technique souffre et il nous a été impossible de maintenir le 60fps en activant le FSR en partant d’une résolution 1440p sur un PC équipé d’une 6800XT, d’un Ryzen 5 5600X et de 16 Go. Un jeu bien plus ambitieux comme Elden Ring n’a pas bronché de son côté. Les chutes de framerate sont donc importantes sur Enotria The Last Song, même en baissant la qualité des paramètres graphiques. Ensuite, de l’aveu du studio, le chantier est encore en cours avec une feuille de route jusqu’en 2025… On ne va pas lister toutes les améliorations (qui sont indiquées en anglais sur l’image), mais de novembre 2024 à mars 2025, les développeurs vont ajouter de nouvelles animations pour les armes, des doublages pour tous les personnages, améliorer l’impact des effets, ou encore afficher la moyenne de dégâts d’une arme dans le menu. Un accès anticipé qui ne dit pas son nom en somme.