Mais si les projets les plus ambitieux espèrent faire tourner les têtes à coups de millions d'euros et de milliards d'étoiles, le jeu d'exploration spatiale démarré en 2012 par le studio Mobius Digital opte pour une approche moins tape-à-l'oeil, décrochant durant son développement quelques prix dans l'un ou l'autre festival indépendant. Loin des projecteurs et des beaux-parleurs, voilà que l'aventure se paye en sus le luxe d'être éditée par Annapurna Interactive, qui ne choisit jamais ses poulains au hasard...

22 Shorts About Space

Outer Wilds, c'est d'abord l'histoire somme toute banale d'un astronaute à qui l'on promet la Lune, sinon mieux : aux commandes d'un avatar qui pourrait sortir de la série Splatoon après plusieurs reboots, vous passerez vos premières minutes de poulpe à rapidement explorer votre bled tout ce qu'il y a de plus terrestre, afin de vous procurer les codes de lancement de votre fusée bien-aimée. Cette brève introduction servira surtout à vous placer au contact d'une mystérieuse statue extra-terrestre, qui résonnera étonnamment avec votre carcasse de poulpe humanoïde, mais signera surtout le point de départ d'une boucle temporelle de précisément 22 minutes, dont vous n'aurez de cesse de remonter l'origine. Passée la surprise, vous pourrez ainsi grimper dans votre vaisseau spatial pour quitter - comme Garou - la terre, afin de trouver votre étoile. Pro tip : pensez tout de même à enfiler consciencieusement votre combinaison avant chaque décollage, sous peine de ne pas enchaîner plus de deux pas une fois arrivés à bon port. Ah, et faites gaffe aux différentes forces d'attraction sur votre passage : une accélération malheureuse est si vite arrivée.

On va marcher sur la Lune

À partir de cet instant, Outer Wilds vous ouvre les portes de son système solaire, et se contentera de vous filer le strict nécessaire afin d'orienter votre progression : seul maître à bord, il ne tient qu'à vous de choisir sur quel corps astral jeter votre dévolu, une fois arraché à la gravité de votre caillou. Muni d'un simple détecteur de fréquence qui pourra vous orienter dans ce coin de la galaxie, vos premières heures d'explorateur seront vraisemblablement guidées par ce bon vieux pif, et cela n'a finalement rien d'important, puisque dans Outer Wilds, il n'y a pour ainsi dire pas d'ordre à respecter. Après un bref passage par votre satellite naturel local, vous allez le plus normalement du monde chasser plusieurs lièvres à la fois, comme autant de pistes qui finiront par former un tout cohérent, dense, incroyablement bien fichu et pensé de bout en bout. Si vous êtes du genre à explorer tous les recoins d'une pièce avant de passer à la suivante, il va malheureusement falloir oublier ici vos mauvaises habitudes. Avec autant d'étoiles à explorer, personne ne restera bloqué bien longtemps face à certains des puzzles pas toujours si évidents à résoudre, puisqu'il suffira de mettre les gaz pour une autre atmosphère afin de trouver de nouvelles pistes.

Le Témoin

Et il sera bien difficile d'expliquer avec précision ce que renferme Outer Wilds : véritable ode à la curiosité et à l'exploration, le jeu de Mobius Digital tisse sa toile petit à petit, boucle après boucle, alors que les différents témoignages recueillis aux quatre coins de votre système solaire racontent une histoire des plus passionnantes à suivre. Munis d'un traducteur du turfu bien pratique, votre nouvel explorateur jouera les archéologues de l'espace en décodant un à un les messages laissés par un groupe de voyageurs précédents, qui témoignent dans ce journal de bord partagé de leurs découvertes, et cassent au passage littéralement les lois de la physique quantique. Le jeu en profite pour aborder un nombre conséquent de thématiques résolument ancrées dans notre époque, touchant du doigt la distorsion de l'espace-temps comme de notre infinie obsession à comprendre le monde qui nous entoure. Et nous rappelle au passage comme il est sain de lutter contre la pollution lumineuse qui empêchent désormais bon nombre d'entre-nous de distinguer une fois la nuit tombée ce qui se passe au-dessus de nos têtes. Drôlement bien écrites et correctement localisées, ces traces vous donneront surtout des indications sur ce qui devrait être votre prochaine destination. Le tout sera systématiquement consigné dans votre propre journal de bord, histoire de se remettre les idées en place après chaque partie, et vous faire passer pour un conspirationniste notoire.

Outer Wild Wild West

Car peu importe votre flair et votre skill d'explorateur : toutes les 22 minutes, on remballe, et on recommence ! Suivant un déroulement a priori parfaitement identique, la boucle temporelle qui décide à votre place de mettre fin à vos aventures oblige le joueur à orienter chaque run. Peu importe que vous poursuiviez un objectif précis ou que vous choisissiez de vagabonder au hasard ou d'admirer l'explosion du soleil perché sur une météorite : il y aura toujours quelque chose de nouveau à découvrir dans une partie d'Outer Wilds. Il faut d'ailleurs saluer avec tous les coups de chapeau de rigueur le travail des développeurs, qui loin des promesses folles d'un Star Citizen ou d'un No Man's Sky ont donné vie à un système solaire à l'ancienne, façonné avec amour, à la main. Il en résulte une sensation de cohérence et de logique (à quelques exceptions près), mais ce choix permet aussi et surtout de s'approprier l'espace. Au bout de quelques heures, on se familiarise avec ces astres tous singuliers : lé décollage s'effectue toujours de la très boisée Âtrebois autour de laquelle tourne La Rocaille, les soeurs jumelles de Sablières et leur étonnante complémentarité sont reconnaissables entre mille, tout comme la géante gazeuse Léviathe, ou encore Cravité, que l'on identifie aisément grâce à son satellite de lave La Lanterne. Ce coin d'infini, c'est rapidement le vôtre : tel un nouvel explorateur d'un siècle éloigné, ce terrain de jeu se dompte au fur et à mesure de votre progression, et l'expérience s'accumule, sans qu'il y ait besoin d'une quelconque barre pour la chiffrer.

She's just a cosmic girl

Alors on décolle, encore et encore, à la poursuite de cette insaisissable et mystérieuse lune quantique, et l'on comprend au fur et à mesure tout ce qui se joue, ou s'est joué, sur les différents astres que l'on considère bien vite comme autant de chez soi aux identités multiples. Si ce fichu vaisseau ne posait pas tant de problèmes lors des phases d'atterrissage, tout serait néanmoins bien plus simple. Mais malgré ce petit désagrément, comment ne pas succomber à cette délicieuse proposition, qui s'amuse à varier les environnements comme les gravités, et parvient à procurer un sentiment de découverte permanente, le tout sans jamais s'encombrer du moindre affrontement ? À moins que le vide intersidéral de l'espace ne vous file les chocottes cosmiques, il n'y a décemment aucune raison de ne pas embarquer pour ce qui pourrait bien devenir le jeu le plus fou de cette année 2019. Oui oui.

> L'AVIS DE POUFY

Pour moi, Outer Wilds est un hymne au Jeu vidéo de très haut niveau, le fait de pouvoir vivre quelque chose qu'il serait impossible en temps normal, n'est-ce pas ça sa fabuleuse particularité ? En l'occurrence, avoir la possibilité d'être acteur de l'exploration de son propre système solaire, que l'on découvre (souvent bouche bée) totalement transformé par les avancées technologiques quantiques d'une civilisation venue d'ailleurs cherchant désespérément depuis des lustres à trouver un supposé "oeil de l'Univers", qui serait on ne peut plus proche et dont la finalité est de le trouver... c'est quelque chose à vivre, car profondément existentiel. Oui, je crois que l'on peut enfin le dire sans risque, tellement l'exécution est brillante : le Jeu vidéo a désormais son "2001, l'Odyssée de l'espace".