Il est 23h45 et je n'ai rien mangé depuis ce midi. D'habitude, c'est l'heure à laquelle j'enfile mon pardessus pour descendre au fast-food d'en bas. Sauf que pour une fois, cette partie de Don't Starve semble plutôt bien goupillée. Mon héros mange à sa faim - lui - et il s'est même bricolé une chouette bicoque de plain pied, avec potager et tout le toutim. Le problème, c'est qu'un orage vient d'éclater pile au dessus de mon logis. Et si je ne fabrique pas un paratonnerre au plus vite, c'est l'incendie assuré. Ma foi, tant pis pour le burger.
Don't Starve annonce la couleur dès le titre ("Ne meurs pas de faim !" en français). Abandonné à lui-même dans une nature en 2D isométrique générée aléatoirement, le joueur n'aura d'abord pour seul objectif que de se sustenter. L'estomac de Wilson - l'un des héros disponibles - ne tiendra pas une journée sans nourriture et vous devrez constamment pondérer vos pulsions exploratrices au regard de vos réserves restantes et de la distance qui vous sépare de votre campement de fortune. Le problème, c'est que comme Faster Than Light et comme les bons rogue-like en général, Don't Starve connait parfaitement les rouages de l'esprit aventurier : les prises de risques y sont aussi réelles que le loot y est magnétique, gratifiant et nécessaire pour progresser. Tenez, pas plus tard qu'hier, j'ai fini violé à sec par une meute de crapauds buffles en coupant des roseaux. Je comptais m'en servir pour fabriquer une sarbacane grâce à laquelle j'aurais pu chasser le dindon (non, ce n'est pas du code). Au lieu de ça, j'ai perdu 10 cycles jour/nuit ingame en 5 secondes. Comment ça "perdu" ? Ah bah oui, eh, qui dit roguelike dit mort permanente, sinon c'est moins drôle.
Slim Fest
Si les baies et les graines glanées çà et là feront le job un jour ou deux, la lenteur à laquelle elles réapparaissent force rapidement notre héros à élargir sa zone de confort et à se donner les moyens de sa faim. Confectionner un piège à l'aide de brindilles et d'herbes permettra par exemple de capturer de petits gibiers. A condition bien sûr de ne pas s'être goinfré avec les carottes ramassées en chemin, qui constituent un parfait appât. Et quand bien même, ce ne sont pas de pauvres lapins rachitiques qui suffiront à vous rassasier complètement. Et c'est là que l'odieuse machinerie Don't Starve se met en marche. Les gibiers plus gros nécessitent des dispositifs de chasse et de préparation autrement plus sophistiqués, dont la fabrication exigera systématiquement des choix ou des sacrifices de votre part. Pour abattre ce bison, vous pourrez par exemple vous adjoindre l'escorte d'un groupe d'homme-cochons prêts à monter au contact à votre place, ou jouer la distance grâce à un set de sarbacanes et de fléchettes inflammables. Soudoyer les hommes-cochons vous coûtera cher en viande fraiche, pour peu que vos réserves ne soient pas au plus bas. La fabrication d'une sarbacane exigera un peu plus de témérité de votre part, afin d'aller cueillir des roseaux dans les marais, où pullulent batraciens cleptomanes et formes de vie tentaculaires à tendances sadiques. Et je vous fais grâce des plumes nécessaires à la confection des fléchettes, issues d'oiseaux capturables uniquement à l'aide de pièges fabriqués en soie d'araignée, prélevée à même leur carcasse... Dans Don't Starve, chaque soir où l'on rejoint son campement en possession d'un nouvel item prometteur constitue l'heureuse issue d'un pari - très - potentiellement mortel.
Vol au dessus d'un nid de couscous
De la collecte, du crafting et des dilemmes donc, partout, tout le temps. On aurait ainsi tôt fait de réduire le dernier jeu de Klei Entertainment à un Minecraft revisité façon paperwork. Et on aurait diablement tort : ici, quand la nuit tombe et que les saloperies à trouzemille pattes sortent des fourrés, il n'est pas question de s'enterrer et d'attendre l'aube. Il faut faire front, même en pleine forêt à la lueur vacillante d'une torche qui commence à rendre l'âme. Si la faune et la flore du jeu étaient déjà plutôt bien fournies lors de ma preview, les développeurs ont profité à fond de leurs mises à jour bimensuelles pour planquer dans le jeu des tas de menaces plus vicelardes les unes que les autres que je me garderai bien de détailler ici.
Impossible cependant de ne pas parler de la terrible jauge d'intégrité mentale qui côtoie maintenant les indicateurs de faim et de santé. Se nourrir de viande crue, jouer à chat avec une meute de chiens enragés toute la nuit durant ou simplement se coltiner toute la saison des pluies sans le coin d'un pébroque sous lequel s'abriter sont autant de choses qui peuvent amener un individu à virer légèrement frappadingue. Au fur et à mesure que son intégrité mentale chute, le héros est en proie à des hallucinations de plus en plus tangibles et mortelles alors que sa vision se brouille jusqu'à impacter grandement la jouabilité et la lecture des menaces environnantes. Bien entendu, certaines recettes d'artisanat de haut niveau nécessiteront des ingrédients uniquement disponibles dans "l'autre monde", vous forçant à sacrifier volontairement vos repères sur l'autel de l'Aventure. Comme ces virées flippantes dans le grenier de vos grands-parents à la recherche de trésors fantasmés. Mais toutes lumières éteintes. Et dans la forêt.
La Klei des champs
Quand on commence à perdre la boule, rien de tel que la chaleur d'un bon feu et quelques douces sucreries grignotées en sécurité pour recouvrer ses esprits. De ce point de vue, la version finale de Don't Starve permet de s'aménager une petite base plutôt cosy. Outre les classiques coffres et dispositifs de cuisson, on trouve des potagers et des ruches permettant de tendre vers l'autonomie alimentaire mais aussi toutes sortes de babioles funky allant du terriblement utile (l'Hiver-o-mètre en tête) jusqu'aux signes extérieurs de richesse pour Robinsons adeptes du swag. Quand la nourriture foisonne au point de ne plus être un problème, les possibilités d'aménagement offertes par Don't Starve auraient presque de quoi convertir le joueur à la sédentarité. Je l'avoue, je me suis abandonné moi-même à la douceur du jardinage dans ma petite masure ambiance Larzac. Puis vint l'hiver et ses maigres récoltes pour me faire sombrer dans la précarité de laquelle je m'étais extirpé avec tant de difficulté. En fin de compte, je remercie la saison froide pour m'avoir remis sur le droit chemin : j'étais si naïf, je ne connaissais rien du monde de Don't Starve.
L'Histoire sans Faim
Trois wikis. Dans un monde fantasmé où les wikis auraient une contenance maximum, c'est à peu près de trois dont il faudrait disposer pour inventorier toutes les fantaisies imaginées par les développeurs et dissimulées avec amour dans leur jeu. Des alliés qui se retournent contre vous lorsqu'ils ingurgitent la mauvaise nourriture ? C'est parti. Un morse en kilt qui chasse les survivants au tromblon quand l'hiver vient ? Eh, pourquoi pas. Un coffret à pâtes en forme de citrouille, des rites chamaniques de réincarnation, un protagoniste jouable qui déclenche des combustions spontanées durant la nuit, une guerre séculaire entre les hommes-cochons et les hommes-grenouilles ? Oui, oui, oui et re-oui. Et n'allez pas crier au vilain spoiler, car je ne cite là qu'une infime partie des évènements et des items que le jeu place aléatoirement sur chaque nouveau mondée généré. Et comme si ça ne suffisait pas, Klei compte continuer les mises à jour gratuites - sur un rythme mensuel cette fois - quelques temps encore après la sortie. Oh, j'oubliais : Don't Starve ne vous explique rien. Tout le savoir que vous y accumulerez sera le fruit de l'expérimentation. Et ça, c'est très très chouette. A vrai dire, il y a bien peu à reprocher à Don't Starve, si ce n'est un point malheureusement assez capital : sa génération aléatoire du monde peut véritablement porter préjudice à l'expérience, tant certains joueurs peuvent se retrouver handicapés plusieurs parties de suite par la malchance. Sachant qu'il vaut mieux passer plusieurs jours dans une partie pour commencer à en percevoir le potentiel, certains risqueraient de passer à côté du principal sur un mauvais coup de poker. Mais on finit toujours par tomber sur un monde qui nous empêche de décrocher... et toute partie, aussi courte soit-elle, contribue à l'accumulation d'expérience (autant en points pour débloquer de nouveaux personnages jouables, qu'en connaissances pour de meilleures parties).
Ce jeu est un mogwai. Si mignon et attachant avec sa direction artistique sortie des carnets de croquis d'un adolescent émo et pourtant monstrueux de cruauté pour peu qu'on lui laisse le temps de révéler sa vraie nature. Je suis mort souvent dans Don't Starve. Terrassé par la faim, par toutes sortes de créatures voraces et même une honteuse fois par la foudre. Mais c'était toujours de ma faute, quelque part. Quand enfin le jeu daigne vous céder toutes ses techniques de survie, c'est son charme intrinsèque et le foisonnement de son univers qui prennent le relais et vous poussent à reprendre la route pour une autre aventure périlleuse à l'issue de laquelle vous pourriez bien tout perdre. Avant de relancer une nouvelle partie, indépendamment de l'heure, de votre déchéance physique ou de la lente dégradation de votre santé mentale. Attention à Don't Starve : il se nourrit de la vie des joueurs.
Don't Starve est disponible sur Steam pour PC et Mac au prix de 13,99€ (12,59€ pour une trentaine d'heures encore). Un patch amateur est disponible pour traduire le jeu en français, à cette adresse, et les instructions ici.