Voilà quelques années qu'on le sait : les projets indépendants soutenus par Devolver sont à surveiller comme le lait sur le feu. Le fait qu'un certain Olija, en préparation depuis plusieurs années chez Skeleton Crew, ait atterri dans l'escarcelle de l'irrévérencieux éditeur l'été dernier donne forcément envie de s'y intéresser. C'est chose faite. Sans regrets, car voilà un jeu qui ne nous mène pas en bateau.
C'est l'histoire d'une tempête, d'un naufrage. D'un équipage éparpillé. D'un capitaine abandonné qui va tout tenter pour rentrer chez lui, avec ses hommes. Mais pour cela, il va devoir batailler. Faraday, c'est le nom de ce pêcheur désargenté qui pensait trouver la richesse dans les mers japonaises, se trouve après avoir été happé par les profondeurs prisonnier d'une contrée hostile, Mangemonde. Le ressac, ou plutôt le destin, l'a mené à une curieuse boussole qui lui a permis de mettre la main sur un harpon singulier. Cette arme, c'est son salut. D'une part parce que les autochtones comme la faune locale ont une légère tendance à lui chercher querelle, et que ses poings ne sauraient suffire. Ensuite, parce que l'instrument, enchanté, confère d'incroyables pouvoirs.
Pas de cage pour Faraday
Jeu d'action et de plate-forme 2D d'allure classique, Olija place au coeur de son expérience ce harpon non seulement utile pour fracasser les contrevenants avec énergie mais aussi à se téléporter. Il suffit de le lancer sur un point d'accroche du décor, une caisse en bois ou un ennemi pour apparaître immédiatement à proximité. Et parce que la maniabilité se montre d'une précision diabolique, et que l'on bénéficie d'un temps de flottement suffisant entre chaque transit, il est possible d'enchaîner très rapidement et sans accroc. En un rien de temps, les affrontements se transforment en un ballet extrêmement dynamique (et gore), les phases de plate-forme, parfois des courses-poursuites haletantes, en promenades aériennes dignes de Spider-Man. À condition de ne pas se foirer sur le timing et la direction, bien sûr. Et ne pensez pas que votre matière grise soit laissée de côté : certains niveaux intègrent d'autres mécanismes, comme des leviers sensibles à votre arme légendaire ou à de l'électricité qu'elle aurait emmagasinée. À vous de savoir s'il ne faut pas la rappeler à vous plutôt que de vous téléporter. Toujours malin, bien intégré et pas assez répété pour que l'on crie à l'indigestion.
Little Odyssée
De toute manière, impossible de parler de redondance. Olija n'en laisse pas le temps. Quand bien même on aurait la sensation de croiser toujours les mêmes bestioles ou gredins des fonds marins, les niveaux, à choisir sur une carte en fonction de vos besoins pour avancer dans votre quête, se succèdent à une vitesse folle. C'est ça quand on s'amuse. Les boss, divertissants mais peu nombreux, ont l'air de biscuits apéritifs pour un joueur un tantinet expérimenté. Dénicher les collectibles et les membres de l'équipage n'a rien de compliqué. Bref, le challenge ne se révèle pas très important et la brièveté d'Olija, moins de 5 heures pour en voir le bout, est frustrante. Il y avait pour sûr des éléments à garnir.
Le hub principal, dont on apprécie l'atmosphère paisible avant de repartir au combat, propose des services dont on finit très vite par se désintéresser, la faute à un système économique déséquilibré. La monnaie locale s'obtient trop rapidement. Elle sert à augmenter votre barre de vie ? Celle-ci sera au max en un claquement de doigts. Vous pouvez envoyer un vieux loup de mer chercher des objets permettant de vous confectionner des chapeaux, conférant des capacités d'attaque durant un stage entier ? Là encore, un battement de cils et vous aurez tous les couvre-chefs. Et on ne parle pas du saut d'esquive ou des armes secondaires, apportant une belle puissance de feu ou de nouvelles mécaniques, dont on oublierait presque l'existence. Frustrant, on vous dit.
Une histoire sans lendemain ?
On insistera d'autant plus sur cette frustration que, au-delà même de sa proposition ludique jamais lassante, Olija a un charme incroyable. Et les mots sont pesés. Son Pixel Art de prime abord grossier et naïf recèle en fait de véritables trésors artistiques et de détails dans ses environnements qui ne sautent pas immédiatement aux yeux. Mais, en plus de faire fortement penser à Another World, ils achèvent de lui donner un cachet de récit d'aventure, entre Zorro et Pirates des Caraïbes, coloré, avec des bâtiments majestueux, des cavernes lugubres et des monuments à même la roche qui donnent envie de s'évader. C'est maîtrisé, avec un soin réel pour les arrières et premiers plans renforçant bien volontiers le mystère de Mangemonde. Et expressif.
Le jeu de Thomas Olsson ne fait pas parler que ses décors. Il a aussi des personnages à développer. Dont celle d'un héros digne d'un film de cape et d'épée, beau, grand, fort, qui va croiser le regard d'une tête couronnée. Fort jolie, pour ne rien gâcher. Les rencontres entre le protagoniste et la jeune femme donnant son nom au jeu ouvrent sur des séquences d'un romantisme fou, qui fonctionnent à merveille. Sans paroles, en laissant à la bande-son, naviguant entre des airs de Flamenco et de sonorités typiquement japonaises de manière bien étudiée, le temps de placer un saxo langoureux. Il y a dans l'ambiance, la mise en scène et le gameplay d'Olija, qui s'entremêlent avec passion, tout d'un grande histoire. Sa fugacité et son intensité en font un très bel amour de vacances.