Il y a une décennie, Xenoblade Chronicles a insufflé un second souffle au JRPG dont les jeux de qualité ne se bousculaient plus au portillon. Un titre qui possédait toutes les qualités angulaires des grands jeux, comme un scénario d’une grande justesse, des musiques inoubliables, un système de combat novateur et un monde gigantesque comme on en faisait peu. Dix ans plus tard, la saga semble arriver à son paroxysme avec un Xenoblade Chronicles 3 particulièrement attendu au tournant.
Xenoblade Chronicles, un nom qui à lui seul fait frissonner les amateurs de JRPG. Depuis 2011, la licence s’est imposée comme l’un des incontournables de Nintendo. Entre un jeu initiateur proche du chef-d'œuvre et un second volet qui a divisé les foules, Xenoblade Chronicles 3 a la lourde tâche de conclure cette saga. A-t-il finalement ce qu’il faut pour se hisser au panthéon du JRPG ? Tient-on là le meilleur épisode de la franchise?
Un scénario plus mature qui se dévore
Destination Aionios, un monde impitoyable rongé par la guerre éternelle entre les nations de Keves et Agnus. Un conflit où les soldats sont galvanisés par la seule envie de prendre la vie de leurs rivaux pour remplir leurs cadrans vitaux, une ressource aussi inhabituelle que précieuse pour la survie de chaque Colonie. Un but inné chez ces jeunes personnes conçues uniquement pour servir leur souveraine respective pendant l’équivalent de 10 ans. Après ça, ceux qui parviennent à survivre à ces années de batailles acharnées pourront atteindre l’ultime bénédiction de la reine en personne lors du « Grand Retour », une cérémonie où les soldats se désintègrent en milliers de particules. Un honneur que tous cherchent à atteindre en terrassant le plus d’ennemis possible.
Cette lutte sans merci et sans fin va conduire un trio de chaque camp à unir leurs forces pour faire éclater la vérité et découvrir le sens même de leur existence. Du côté de Keves : Noah, un passeur d’âmes au grand cœur, Eunie une soigneuse au caractère bien trempé, et Lanz, le tank à la tête brûlée ; de celui d’Agnus : Mio le simili féminin de Noah, Taion le tacticien je-sais-tout et Sena, petite par la taille mais grande par la force. Un casting avec de vraies personnalités qui s'évertue à sortir des sentiers battus à défaut d'être exempts de clichés. Chacun profite d’un peu plus de profondeur que les opus précédents et on s’éprend facilement pour cette petite bande de jeunots hors-la-loi qui découvre le vrai visage de ce monde cruel, sombre et impitoyable. En ça, Xenoblade 3 se rapproche davantage du premier épisode avec des thèmes plus matures, fatalistes et complexes couplés aux questionnements philosophiques si chers à Tetsuya Takahashi. Un pur régal.
On a tout de même ici affaire à des jeunes qui ont combattu toute leur vie pour un principe qui leur semblait juste, inné, mais de fait leur existence est-elle dénuée de tout ce qui fait d’eux des humains ? Les concepts de la vieillesse, la famille, l’amour, la parenté leurs sont étrangers. Seules la guerre et la mort leur semble naturelles. Le jeu sait se montrer captivant dans les propos qu’il traite, mais il ne parvient jamais à approfondir ses thèmes les plus prometteurs de façon satisfaisante. Parfois c’est maladroit, parfois seulement effleuré. L’histoire de Xenoblade Chronicles 3 reste tout de même la pierre angulaire du jeu et son point fort. Peut-être pas par son écriture qui pêche à plusieurs reprises, ni par les animations du grand méchant tirées par les cheveux ou même le point culminant du scénario entaché par un ultime donjon qui s’éternise trop pour son propre bien. Mais tout le monde d’Aionios, le lien entre ceux des deux opus précédents, le regard naïf des héros et le lore de ce volet sont aux petits oignons. Attendez-vous à des rebondissements en veux-tu en voilà, des moments de frisson, d’émotion, de tension, des cinématiques épiques avec des chorégraphies de haute volée et du mélodrame tel un shonen qu’on dévore sans compter ses heures.
Oui, la synchronisation labiale a encore besoin d’améliorations, oui certaines textures baveuses ou pixelisées viennent salir des jolies scènes d’action ou des cliffhangers bien sentis, mais Xenoblade Chronicles 3 sait verser dans le grandiose dans ses meilleurs moments. Les fans de la saga se délecteront d’une conclusion satisfaisante qui a le mérite de ne pas verser dans le fan service trop facile, tandis que les néophytes découvriront une histoire palpitante, qui n’est pas sans rappeler FFX et Final Fantasy 13 dans certains de ses propos, mais qui perd quelque peu son souffle vers la fin. Une excellente porte d’entrée pour les nouveaux venus qui leur donnera à coup sûr envie de découvrir les épisodes précédents, un immanquable pour les fans de la licence.
Cerise sur le gâteau, la saga abandonne le fan service exacerbé du second opus avec un chara design plus soigné pour l’ensemble des personnages et clairement moins sexualisé pour ses héroïnes. Même les Nopons qui nous accompagnent sont sympathiques et ne tapent presque pas sur le système. On n’échappe pas à quelques grossièretés dont des PNJ féminins au t-shirt si moulant qu’il épouse miraculeusement le creux de leur nombril ou à leurs scènes où toute l’animation est concentrée sur leur poitrine et aux plans rapprochés sur leurs attributs. Ça reste un JRPG pur jus, mais il est impossible de ne pas noter les efforts qui ont été faits. Xenoblade, ce n’est pas qu’une histoire riche. C’est aussi un système de combat semi-automatique mais luxuriant qui se mêle à une exploration fluide de paysages somptueux, le tout sur fond de musiques aussi galvanisantes que belles. Sur tous ces aspects, Xenoblade 3 est une culmination des jeux précédents.
The best of both worlds
Question combats, Xenoblade Chronicles 3 reprend le meilleur des deux mondes. Tout le monde est invité à la fête : les cooldowns, les enchaînements d’attaque et les combos à base de handicaps du premier opus, les feintes et le changement de personnages à la volée du second, et surtout le joyeux bordel visuel des deux. Si l’interface est plus jolie et plus propre que jamais, le jeu reste fidèle à lui-même avec des joutes confuses où les informations fusent de partout. Entre les lignes de ciblage qui partent dans tous les sens, les dégâts multiples, les cercles d’effets et l’interface utilisateur, c’est un vrai festival. Fort heureusement on finit par s’y faire et même à comprendre toute l’action passé un certain cap. Forcément, c’est plus compliqué en nomade où ce beau foutoir pardonne moins et pique toujours après des dizaines d’heures.
Le gameplay s'inscrit clairement dans la continuité de ce qui a été fait précédemment, tout en le raffinant et en ajoutant quelques subtilités dans le but de produire la meilleure formule possible. Il serait trop long de dévoiler toutes ses arcanes qui permettent plus de souplesse sur le positionnement et la gestion des Arts si essentiels aux combats. Celui qui a eu la plus belle refonte : c’est le rôle de des combattants, plus uniquement cantonné aux traditionnels tanks, attaquants, soigneurs et tacticiens. Xenoblade Chronicles 3 s’appuie sur un système de classes interchangeables permettant de débloquer des compétences et de les réutiliser pour chacun des rôles. De quoi créer des combinaisons personnalisées diablement efficaces selon les situations et les ennemis. Même sur ce point, ce troisième opus sait se montrer plus généreux.
Il y a en tout et pour tout une dizaine de classes à débloquer en recrutant dans son équipe des Héros, des personnages non jouables qui viennent prêter main forte à la petite bande de soldats pendant toute la durée du jeu. Au départ, seul un combattant prédéfini obtient ladite classe. Il convient ensuite de la débloquer pour le reste de la troupe en ayant dans son escouade quelqu’un qui est en est équipé. Il faut donc se farcir de nombreuses joutes pour espérer obtenir l’ensemble des classes pour tout le monde mais cela ajoute clairement une petite dimension gestion hors des combats de boss où l’organisation sera de rigueur pour contenter tout le monde. On ne dirait pas comme ça, mais c’est finalement plutôt addictif ce grind. Jusqu’au-boutiste dans sa générosité, Xenoblade Chronicles 3 nous gratifie de classes diversifiées aux attaques et spécificités assez uniques pour donner envie de toutes les débloquer.
D’autant que les quêtes de Héros liées à leur obtention figurent parmi les plus scénarisées et les plus divertissantes du jeu. La grosse nouveauté en revanche, ce sont les Ouroboros. Une forme surpuissante façon mecha née de la fusion des trois duos de personnages qui est limitée par une jauge de temps entraînant une surchauffe une fois dépassée. Autrement dit, vous devrez attendre pour pouvoir vous retransformer, sachant qu’il est plus judicieux de remplir sa jauge jusqu’au niveau 3 pour faire des combos plus dévastateurs. Globalement plus lents mais plus surpuissants, ces êtres géants offrent un feeling plaisant qui vient dynamiser l’ensemble des mécaniques et se peaufinent petit à petit. On ne va pas se mentir non plus, ils ont aussi la grande classe.
Du grand Xenoblade ?
Ça vous paraît confus à la lecture ? Ça l’est aussi en jeu pendant de nombreuses heures. Xenoblade Chronicles 3 a le même syndrome que ses prédécesseurs avec des débuts ultra poussifs avec des tutoriels intempestifs à tout-va. Ces longues phases d’initiation sont loin d’être palpitantes, ni très claires (surtout pour les néophytes), mais Monolith Software a le mérite d’avoir entendu les retours des joueurs. Le JRPG se pare désormais de tutoriels consultables à tout moment hors combat et même à un terrain d’entraînement pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants des mécaniques. Ce n’est pas plus mal, car le gameplay ne cesse de gagner en profondeur à mesure que le temps passe. Comme la plupart des JRPG, les premières heures sont réellement un apprentissage du gameplay et de toutes ses subtilités. Et quand tout s’imbrique, que le jeu arrête de nous tenir par la main, nous laisse accéder à toutes ses subtilités et nous donne une véritable liberté à tous les égards, c’est un pur régal. Xenoblade Chronicles 3 nous offre l’un des systèmes de combat les plus funs et les plus engageants de la série, à l’image de son monde ouvert.
Xenoblade 3 c’est aussi une exploration d’une générosité sans limite d’un monde qui peine à se défaire des champs de bataille et des terres arides des premières heures pour enfin nous offrir la claque tant espérée avec des environnements colorés, dépaysants et somptueux. Le titre sait se montrer vivant et luxurieux même sans grands villages pleins de vie justifiés ici par le contexte de guerre et le lore du jeu. Il n’empêche que ces zones ultra vastes sont toujours aussi engageantes et prenantes. Il y a toujours quelque chose à faire et peu importe la manière de jouer, chacun y trouve son compte. Celles et ceux qui aiment tout récolter sur leur passage pourront upgrader les Gemmes de leurs personnages et même gagner de l’expérience bonus avec un système de requêtes infini qui permet d’échanger tout le bazar ramassé contre le l’XP, tandis que ceux qui aiment la baston, la vraie, auront constamment envie de revenir visiter les zones plus tard pour aller taper des monstres uniques et surpuissants une fois monté en niveau. Les quêtes annexes en revanche ne sont toujours pas le point fort de la licence. Celles liées aux colonies savent parfois se montrer intéressantes mais certaines n'échappent pas au syndrome Fed-EX et aux allers-retours rébarbatifs, même avec un voyage rapide quasi-instantané. Mais peu importe la façon de jouer, le plaisir de se perdre et de découvrir des endroits secrets reste le même pour tous. Tout a une véritable utilité dans le jeu et l’exploration en est d’autant plus récompensée.
L’ensemble est porté par une direction artistique toujours aussi inspirée mais peut-être moins éblouissante que ses prédécesseurs, et des musiques qui se consomment sans modération. Le thème de combat principal et ses airs de flûtes qui reviennent toutes les minutes avec les affrontements inévitables aura bien tendance à taper sur les nerfs pendant quelques heures ceci dit. Cependant, la BO signée ACE, Kenji Hiramatsu, Manami Kiyota et Yasunori Mitsuda sait atteindre le divin lors des combats de boss avec des morceaux plus doux mais tout autant délicieux lors de l’exploration. Le bilan n’est pas aussi positif sur le plan technique. Cette générosité si chère à la licence s’astreint à des concessions visuelles peut-être moins marquées qu’un Xenoblade Chronicles 2 fondamentalement laid.
Les textures de personnages sont plus affinées, les environnements extérieurs sont détaillés, les cinématiques sont propres et c’est globalement fluide quand la console est dans son socle. Il y a clairement du progrès et le framerate se paie même le luxe d’être plus stable, même si l’on constate des chutes violentes dans des zones précises. En nomade par contre, le constat est moins brillant avec des textures disgracieuses et une résolution qui tire constamment la langue avec un clipping et de l’aliasing. On a également accusé quelques bugs ayant forcé le redémarrage de la console, mais rien d’alarmant sur l’ensemble des 70 à 80 heures exigées pour connaître le fin mot de l'histoire. Ce n’est pas particulièrement moche, ni super joli, c’est juste ce qu’il faut tenir compte des contraintes techniques pour offrir un monde aussi vaste. Mais quel beau voyage quand même.