Le duo Focus Home Interactive / Dontnod Entertainment prépare le RPG Vampyr depuis plusieurs années, et le jeu aura pris son temps avant de trouver une date de sortie définitive. C'est donc avec une certaine appréhension, mais non sans excitation, que nous avons découvert cet original Action-RPG vampirique. Que vaut-il au final ? Voici notre verdict.
Vampyr se déroule en l'an de grâce 1918, au moment où l'épidémie de grippe espagnole ravagea le monde en faisant tout de même 34 millions de morts. Sachant que les chiffres de certaines régions du monde qui furent très touchées comme l'Inde sont sujets à caution et pourraient être bien pires que déclarés, on vous laisse imaginer l'état de notre pauvre planète à ce moment précis de notre Histoire. Sans parler de la Première Guerre Mondiale, qui faisait alors rage depuis 4 ans. Bref, Dontnod pose ici une atmosphère maussade et macabre, propice à la peur et à toutes les craintes. L'occasion pour eux de diluer dans cet immense cimetière à ciel ouvert une dose de surnaturel fort bien maîtrisée.
Dans l'ombre de Dracula
On s'en rend compte quand on a passé son adolescence à regarder des classiques du cinéma d'horreur : Vampyr est un véritable hommage à la "Hammer Film Productions", qui produisit des films du début des années 50 jusqu'à la fin des années 70 (et plus encore, mais c'est dans ces trois décennies que ses plus fameux films virent le jour). On citera pêle-mêle la série de films Dracula, avec le regretté Christopher Lee et l'irremplaçable Peter Cushing. Dr. Jekyll et Mr. Hyde, La Momie, Le Chien des Baskerville... des films d'horreur qui fleurent bon la série B en y regardant de plus près, mais qui sont animés par un amour évident pour la poésie et le gothique de la période victorienne.
C'est un peu ce que l'on ressent en démarrant une partie de Vampyr. C'est noir, sombre, ça aborde des thématiques d'une profonde tristesse, mais c'est diablement poétique et ça fonctionne à merveille. Le jeu nous emmène à Londres, et même si la reine Victoria est morte depuis presque vingt ans, on sent encore dans les décors et dans les costumes l'indéniable chic anglais de ce XIXème siècle révolu. La direction artistique est à tomber, avec son lot d'insalubrité. La ville est crasseuse, les rats prolifèrent, l'hémoglobine colore le pavé londonien.
Dans ce décor, on incarne Jonathan Reid, un docteur spécialiste en hématologie qui devient... un vampire. Comble de l'ironie, il subit cette malédiction à son retour du front. Le sort s'acharne. À vous de trouver le responsable de cette malédiction.
Assumer les conséquences de ses actes
Ce point de départ permet de mettre en place un scénario et des mécaniques de jeu qui apportent un grand intérêt à l'ensemble. En tant que médecin, vous avez fait le serment d'Hippocrate et avez le devoir de sauver des vies. Le problème, c'est que vous êtes tiraillé par votre soif insatiable de sang, un attrait propre aux vampires avec lequel il est difficile de lutter. Et le jeu pousse cette logique jusqu'au bout puisqu'en plus de ce choix purement moral (choisir ou non de se nourrir d'un innocent, par exemple), tout le système de progression du héros repose sur la consommation du sang. Épargnerez-vous un maximum de gens quitte à progresser lentement, ou deviendrez-vous un monstre, une machine à tuer ? Comme tout bon RPG qui se respecte, les différentes figures que l'on rencontre possèdent des niveaux qui se traduisent en jeu par une qualité du sang. Plus sa qualité est élevée, plus l'expérience acquise en le consommant va être importante. Mais tout cela va aussi dépendre de votre niveau de charme... Nul doute que séduire un éclopé mourant pour l'emmener dans une ruelle sombre sera bien plus simple que de charmer un éminent scientifique en parfaite santé. Il faut surveiller son niveau de charme et analyser le niveau de résistance de sa proie pour savoir si une action est possible.
Entretien avec un vampire
Londres ne regorge pas uniquement de citoyens charitables et innocents, loin s'en faut, et on sera moins regardant à sacrifier une crapule qu'une honnête mère de famille. Pour vous aider dans vos décisions, le jeu propose un menu d'enquête des citoyens permettant de connaitre les liens entre chacun d'entre eux. Ca permet non seulement d'évoluer dans les quêtes, mais aussi de mieux décider de qui doit mourir ou non. Il faut tout de même prendre conscience que dans Vampyr, tout le monde peut passer l'arme à gauche. Tuer trop de personnages importants pour le déroulement de l'aventure peut vous fermer des portes ou tout simplement bloquer votre progression. Inutile donc d'être trop gourmand. Tout cela fonctionne via un système de quartiers, chacun d'eux possédant un niveau de "salubrité". Plus les meurtres seront nombreux, plus le niveau de sécurité et de salubrité vont baisser, et plus les monstres potentiels et autres tueurs de vampires se montreront actifs. Intéressant, mais le problème, c'est que les combats se révèlent loin d'être une partie de plaisir, dans le sens où malgré notre état d'être immortel, nous ne sommes pas invulnérables.
Sang pour sang hardcore
C'est là qu'on en vient au sujet qui fâche : le système de combat. Il est brouillon à cause de son système de verrouillage qui n'en fait qu'à sa tête et qui rend la caméra totalement incontrôlable. Ce qui n'en constitue pas le seul défaut... La difficulté se trouve terriblement mal dosée, le niveau des adversaires étant bien trop élevé à certains moments clefs du jeu. Exemple : notre héros est niveau 10 et nous décidons de nous rendre au quartier suivant en passant par un dédale de ruelles ; en chemin il rencontre un groupe de chasseurs de vampires qui le détruit littéralement sans autre forme de procès, et presque en un claquement de doigts. Peu importe les nombreux essais, tous sont infructueux... et cela même en utilisant les divers et intéressants pouvoirs à notre disposition, de la lance vampirique à l'absorption de sang, en passant par la possibilité de faire bouillir ses ennemis. C'est diablement fun, mais ce n'est parfois pas suffisant pour vaincre.
Pourquoi ? Car le tutoriel ne s'avère pas vraiment clair, du moins n'est-il pas forcément assez intuitif pour vous le faire comprendre. Il est en effet nécessaire de tuer un personnage ou deux pour récupérer assez d'expérience en vue d'augmenter sa barre d'endurance et de vie. Jouer le jeu sans siphonner le sang d'un protagoniste est en fait tout bonnement impossible, car les monstres et divers ennemis sont impitoyables. Ca devient d'autant plus dur quand la caméra bouge n'importe comment à cause d'une mauvaise gestion du verrouillage.
Les rivières pourpres
On apprend aussi très vite qu'il faut absolument améliorer ses armes via le menu de crafting. Pour cela, rien de plus simple : il faut se rendre dans un des nombreux ateliers disponibles dans les zones de repos et améliorer, façon MacGyver, nos lames et nos revolvers avec les pièces que l'on trouve un peu partout dans le décor. Le système de loot reste quand même un peu faible pour un RPG, et on s'attendait sans doute à un peu plus de variété. S'acharner sur un monstre n'est pas suffisamment rémunérateur, ni en XP ni en récompenses. Donc vaincre un "boss" n'apporte finalement pas grand chose, si ce n'est la possibilité de continuer plus avant dans le scénario, et c'est vraiment dommage.
Bref, quelque chose dans le système de combat serait à revoir, mais il est presque difficile de dire quoi tant les différents composants (loot, XP, difficulté) sont liés entre eux. Soit le jeu s'assume comme complexe, et dans ce cas il améliore son système de rémunération, soit il réduit sa difficulté et reste sur la lignée d'un RPG bâtard où le butin n'a pas vraiment sa place.
Où l'on retiendra plus les qualités que les défauts
Malgré ces soucis, on en arrive à aisément pardonner Vampyr de ses défauts, du fait de la grande qualité d'écriture, de l'atmosphère et tout simplement du système de choix très poussé. Quel plaisir d'enquêter sur chacun des citoyens pour relier les indices et enfin découvrir la vérité. Le jeu jouit d'une grande qualité d'écriture pour les quêtes et les répliques, et le jeu d'acteur (uniquement dans la langue de Shakespeare) est de très bonne facture.. Il est si facile et agréable de s'imprégner de ces environnements qui fourmillent de détails, en intérieur comme en extérieur. Affiches, ameublement, portraits... Il est d'ailleurs possible de récupérer un peu partout de nombreuses notes pour en apprendre plus sur l'univers du jeu, sur les maladies, etc. Car oui, vous êtes avant tout médecin et vous allez être amené à soigner de nombreuses personnes, et pour cela il faudra fabriquer des remèdes et les apporter aux patients, ce qui peut permettre d'ouvrir de nouvelles possibilités de dialogues. Ne vous attendez pas à effectuer un triple pontage coronarien (d'autant qu'en 1918 ça semble difficile), car cela se résumera à soigner une bronchite ou une fatigue latente.
Pour consolider un peu plus l'ambiance générale, le jeu propose un moteur graphique très honnête, qui propose une excellente gestion de la lumière et des effets volumétriques. Un plaisir visuel qui se paye le luxe de ne pas être trop gourmand sur PC (Une GTX 1060 suffira amplement à profiter du jeu pleinement). Enfin, musicalement, c'est tout aussi jubilatoire. Mention toute particulière aux différents choeurs et violons qui font des compositions d'Oliver Derivière un délice auditif. La musique sait se monter discrète quand il le faut et prendre les devants dans les moments dramatiques, une gestion qui rappellera le meilleur des films d'horreur classiques.