En cette semaine de commémoration de la libération du camp d'Auschwitz, il y a 75 ans, sort un titre qui, comme il l'indique, aborde l'une des périodes les plus sombres de notre Histoire. Avec Through the Darkest of Times, les développeurs allemands de Paintbucket Games souhaitent rappeler, si besoin est, que tous les allemands n'étaient pas des nazis et que, oui, ils ont été nombreux à essayer de lutter contre le régime de Hitler. Et pas forcément les armes à la main.
Berlin, 30 janvier 1933. Le président Von Hindenburg vient de nommer Adolf Hitler chancelier. La suite, nous la connaissons tous grâce aux livres d'Histoire, documentaires et témoignages. Mais pas trop aux jeux vidéo, qui ont souvent abordé tout ce qui a trait au Troisième Reich avec des MP40 à la main. Through the Darkest of Times, lui, aborde les choses très différemment. Il choisit la proximité avec ces allemands ayant refusé d'adhérer à la haine et à la folie, avec celles et ceux qui ont tenté de dénoncer, d'agir, de l'intérieur, face à un régime qui aura fait des millions de morts, et sous lequel les mauvaises personnes pouvaient également ne pas porter d'uniformes. Nous voici donc incarnant un(e) berlinois(e), à la tête d'un petit groupe résistants, qui va tenter pendant une douzaine d'années, de l'ascension à la chute du "petit teigneux", de faire barrage au nazisme, au péril de sa vie.
Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens ?
Qui êtes-vous exactement ? Un médecin monarchiste ? Une chômeuse sociale-démocrate ? Un vendeur anarchiste ? Une enseignante conservatrice catholique ? Un fourreur communiste ? Tout part d'une génération aléatoire de votre avatar, qui aura son importance sur vos caractéristiques et les rapports entretenus avec votre équipe. Prenant la forme d'un jeu de stratégie, Through the Darkest of Times vous voit, après revue de presse rapide, planifier sur une carte de Berlin les prochaines opérations. Recrutement de sympathisants, récoltes de fonds, récupérations d'objets (livres, peinture, papier pour tracts, uniformes) et d'informations, et autres sabotages comptent parmi les différentes actions pour lesquelles différents traits sont requis. Les missions auxquelles assigner les membres du groupe exigent tour à tour de la discrétion, de l'empathie, de la force, de la culture et une capacité à communiquer son message. Mais aussi le caractère adéquat et les bonnes convictions. Envoyer un médecin conservateur plutôt pessimiste convaincre ou glaner quelques deniers à des ouvriers cocos syndicalistes aura peu de chances de déboucher. De l'optimisation viendra la réussite et l'absence de risques. Devant entretenir le moral des troupes ainsi que leur nombre, sous peine de dissolution pure et simple, le joueur doit mesurer l'impact de chaque décision. Se faire repérer peut avoir des conséquences effroyables. La pression ressentie peut se transformer en un passage de la Gestapo, qui peut s'avérer fatal et fortement entamer la volonté de l'équipe.
12 ans en colère
Bien que très simple d'accès, quelques clics et drag & drop par phase, et assez peu farouche dans ses deux modes de difficulté, grâce à une mécanique de planque autorisant à facilement effacer toute suspicion en échange d'une poignée de Marks et des virées dans des clubs qui revigorent les coeurs, le jeu ne manque jamais de mettre à mal l'équilibre de votre faction. Outre ces risques sur le terrain, les cinq résistants (maximum) qui composent votre équipe sont aussi, ponctuellement, soumis à des tiraillements, des soupçons, des failles. Il faut alors trancher au mieux. Tout comme vous devez faire attention au jugement des vôtres et de celui de voisins, de potentiels alliés ou d'habitants endoctrinés lors d'événements historiques. Doit-on forcément réagir dans l'immédiat ? Feindre ? Aider ? Accepter les aides extérieures, d'où qu'elles proviennent ? En fait-on assez ?
Ces instants scénarisés qui vous offrent le rôle de témoin de la semaine sanglante de Köpenick, de l'incendie du Reichstag, des premiers passages à tabac publics de juifs dans les rues de la ville ou des déportations ainsi que la survie pendant la Seconde Guerre Mondiale sont à placer comme des marqueurs qui maintiennent l'intérêt d'une campagne d'environ cinq heures. Cet aspect éducatif, sans oeillères, couplé à une direction artistique - noir et blanc façon La Liste de Schindler avec des dessins qui transpirent la désolation et une bande-son dans le jus de l'époque - des plus fascinantes permet en effet d'oublier un aspect ludique somme toute limité, volontairement, semble-t-il. On a bien du mal à cerner l'utilité d'aller au turbin plus que de raison, lorsque le jeu lui-même ne vous sanctionne pas forcément de manière franche, et que le déroulement est sensiblement le même d'une partie à une autre - quel dommage de ne pas avoir songé à intégrer la suspicion comme élément de gameplay. Du mal aussi à comprendre comment s'articulent parfois la montée en niveau et la gestion de l'inventaire ou des contacts, qui revêtent peu d'importance, finalement.
N'empêche que, au-delà de l'impression que Through the Darkest of Times ne demeure qu'un diaporama bavard, l'objectif se trouve en partie atteint. Qu'on reste sur notre faim ou non, en constatant que relancer une partie ne permet pas de voir énormément de différences, l'expérience s'affirme comme un rappel et une mise en garde efficace que l'Histoire peut se répéter, que les pires idées, fussent-elles acceptées par la majorité d'un peuple, méritent qu'on les questionne plutôt que de s'y abandonner aveuglément.