L'histoire est belle : auréolé d'un Young Game Designers Award lors des BAFTA 2016, le jeune créateur Dan Smith était parvenu à attirer sur lui les projecteurs, grâce à un prototype de puzzle-game du nom de The Spectrum Retreat. Près de deux ans plus tard, voici le concept retravaillé et édité par Ripstone Games.
Trailer après trailer, The Spectrum Retreat est parvenu à garder jusqu'ici son aura de mystère. Vous aurez beau retourner les quelques vidéos disponibles dans tous les sens : bien malin celui qui pourra, avant d'avoir lancé l'aventure, décrire ce qui l'attend au sein de ce drôle d'hôtel. Mais à vouloir trop jouer la carte de l'étrange, le premier jeu de Dan Smith ne risque-t-il pas de se prendre les pieds dans la moquette ?
The Grand Budapeste Hotel
The Spectrum Retreat vous place dans la peau d'un résident a priori lambda, ayant pour une raison inconnue trouvé refuge dans un hôtel Penrose propret mais sans charme, comme ceux qui tentent de tenir leur rang dans les grandes villes de Province. Mais si tout semble pensé pour votre confort et votre quiétude, un grain de sable va rapidement venir gripper la ronronnante machine. Comme dans une soirée entre potes, l'arrivée du téléphone va faire prendre une autre tournure à ce séjour jusqu'ici réussi.
À l'autre bout du fil, une voix féminine répondant au nom de Cooper vous avertit bien vite du danger qui pèse sur vous : retenu contre son gré, votre avatar semble en effet faire l'objet d'une drôle d'expérimentation. Seriez- vous en proie à une certaine forme de paranoïa ? Toujours est-il que les jours se suivent, et se ressemblent presque en tous points. Guidé par votre interlocutrice, vous tenterez alors de vous extirper de ce jour de la marmotte intérieur sans laisser paraître quoi que ce soit à vos potentiels geôliers. Et il semblerait bien que chaque porte verrouillée par un digicode vous rapproche un peu plus de la terrible réalité. Mention spéciale à la performance d'Amelia Tyler (Forgotton Anne, We Happy Few...), qui excelle de justesse et de finesse dans ce rôle de guide ambivalent. Amateurs de beau jeu, sortez votre casque et chaussez-le sans réserve : l'expérience n'en sera que plus forte.
Michel Portal
The Spectrum Retreat se scinde alors en deux phases bien distinctes : l'exploration monotone des couloirs du bâtiment, qui sert de support narratif et installe une ambiance relativement convaincante, et des phases de véritables puzzles colorés, qui vous permettront de gagner petit à petit les étages supérieurs. Si vous avez joué à ChromaGun en début d'année, la logique est somme toute similaire : au sein d'environnements rappelant un laboratoire d'analyse, il va vous falloir jouer avec les couleurs pour avancer.
Chaque environnement se compose en effet de blocs de différentes couleurs et de portails transparents, qui ne vous laissent passer que dans le cas où votre smartphone du futur est au diapason chromique. Il vous faudra donc partir à la recherche de blocs orange, verts, j'en passe et des meilleurs, afin de progresser au travers de ces énigmes qui poussent à chaque fois un peu plus loin la réflexion. Au fur et à mesure de votre progression, il faudra la jouer de plus en plus fine, même si chaque puzzle souffrira bien vite du même mal : celui de vous faire avancer à tâtons. Dans The Spectrum Retreat, il est pour ainsi dire quasiment impossible de trouver la solution du premier coup, même en se creusant la tête. Passée la première salve, les puzzles vous demanderont systématiquement de tester étape après étape vos suppositions, avant de recommencer jusqu'à l'issue salvatrice.
The fun is a lie
Et si l'architecture se révèle sur la durée quelque peu frustrante, l'ingéniosité des énigmes proposées parvient à maintenir l'envie de continuer et de découvrir les nouvelles mécaniques souvent ingénieuses, et qui renouvellent un concept à première vue assez simple mais qui ne demandait qu'à s'épanouir. En revanche, aucune indication ne viendra vous prévenir lorsque se produira l'irréparable boulette qui oblige à recommencer toute la séquence, même si la fin était pourtant si proche. Ce qui est d'autant plus dommage que la vitesse de déplacement de votre personnage ne se prête guère à ce genre de déambulations superflues.
Pour les mêmes raisons, les phases narratives au sein des interminables couloirs de l'hôtel Penrose auront bien du mal à convaincre, même s'il faut reconnaître de nombreux efforts en ce qui concerne la mise en scène. Mais à force de multiplier les aller-retours inutiles qui donnent l'impression de jouer à une simulation de galeries quelconques, l'ennui et la lassitude pointent régulièrement le bout de leur nez. D'autant plus que les indices sur le dénouement final s'avèrent bien trop nombreux pour laisser planer le moindre doute sur ce qui se trame en toile de fond.
Une valse à deux temps
Le voile se lève en effet bien vite sur la nature de cette courte aventure, qui parvient pourtant à traiter de sujets d'actualité, souvent avec brio. Que l'on s'attarde ou non sur les nombreux documents et remembrances des phases de puzzles, on appréciera la thématique politico-médicale qui structure le mental de votre avatar. On pardonnera du coup plus généreusement les torrents de pathos régulièrement déversés lorsque l'on découvre le traitement réservé à l'égoïste et libéral système de santé anglo-saxon, et ses conséquences sur les foyers les plus modestes.
Il est néanmoins regrettable que les coutures entre le gameplay de Dan Smith et la narration de Risptone Games se distinguent à un tel point : si la greffe semble avoir pris, la dichotomie entre les deux types de gameplay témoigne d'un enrobage trop tardif qui ne parvient pas à rendre l'expérience cohérente. Gageons qu'avec son prochain effort, Dan Smith parviendra à surmonter cette petite tare qui gâche un peu l'expérience globale. Et bien que les titres du même acabit se différencient surtout par leur écriture et leur gameplay, The Spectrum Retreat aurait sans doute gagné à ne pas se contenter du strict minimum sur le plan technique.