Été 2013, The Last of Us mettait une claque gigantesque aux joueurs. Au crépuscule de la PS3, Naughty Dog signait son « après » Uncharted avec une nouvelle licence qui tirait sa force de ses réflexions, son caractère singulier, son histoire sombre et intimiste ainsi que la relation viscérale entre ses deux personnages. Une tranche de vie restée vivace dans les mémoires, instantanément propulsée au trône du culte pour certains, qui s’est offert un second souffle remarqué à l’aube de la PS4. Un remaster, une suite et une décennie plus tard, voilà qu’il revient sous l’appellation The Last of Us Part 1.
Une restructuration d'un des jeux phares de PlayStation qui a fait couler beaucoup d’encre avant et après son annonce. Perçu à tort comme le remake d’un remaster facturé 79,99€ sans la moindre ristourne pour les nombreux possesseurs du jeu original sur PS3 ou PS4, il a d’emblée divisé les joueurs. D’un côté ceux qui ne voient qu’une énième itération opportuniste pour un titre aussi « jeune », de l’autre ceux qui le trouvent trop cher, et enfin ceux qui estiment qu’un remake doit apporter du nouveau contenu et des nouveautés en termes de gameplay. The Last of Us Part 1 s’annonçait d’emblée comme un cas complexe. Après avoir traversé le jeu de long en large, le verdict est sans appel et on pourrait le résumer simplement en une avalanche de superlatifs.
The Last of Us Part 1, véritable remake ou pas ?
The Last of Us fait sans conteste partie des grands monuments du jeu vidéo de la dernière décennie. Un pari risqué à l’époque pour Naughty Dog qui enchaînait alors des Uncharted fantastiques au ton léger et décomplexé. À cette période, la nouvelle licence des Dogs s’était imposée comme un exploit narratif monumental avec en clé de voûte une histoire terriblement humaine, portée par la relation intimiste du duo désormais célèbre qui tenait tout le jeu jusqu’au final jugé puissant, étonnant, voire brutal. C’était également une performance technique magistrale sur une PS3 en fin de course, tant du point de vue de la mise en scène que des animations faciales qui donnaient corps à un récit et des personnages émouvants. Mais ce qui était grandiose il y a dix ans, puis dépoussiéré un an plus tard avec un simple lifting, ne l’est plus forcément.
Entre-temps, la technologie a évolué. Naughty Dog a pu affiner ses outils et son savoir-faire sur deux autres énormes claques de la PS4 : Uncharted 4 et The Last of Us Part 2. Avec un second opus qui a cartonné auprès d’un public encore plus large et une série HBO dans les cartons, il est presque naturel que les développeurs aient souhaité retaper de zéro l’épisode par lequel tout a commencé pour ouvrir la licence aux nouveaux venus comme il se doit. Lancer le portage PS4 aujourd’hui, c’est en effet s’exposer à un jeu qui accuse le temps aussi bien en termes de technique, de gameplay que de graphismes. Si votre serviteur du jour faisait partie des grands sceptiques, sachez que la légitimité de The Last of Us Part 1 n’est pas à débattre. Dès le premier instant où l’on se retrouve dans le jeu, dès la première image, dès ce prologue, pourtant fait maintes et maintes fois et qui parvient toujours à nous faire verser une larme, on comprend tout l’intérêt de ce remake qui est une pure réussite.
L’objectif de The Last of Us Part 1 n’est pas d’apporter du nouveau contenu, de nouvelles histoires, mais plutôt de sublimer cette œuvre en en faisant une référence technique pour la PS5, comme le jeu d’origine à son époque sur PS3. C’est de rendre ces moments qui nous ont marqués, émus ou touchés encore plus bouleversants, plus frappants. C’était loin d’être gagné tant le niveau était élevé déjà à l’époque. Une œuvre aussi intime cherchant avant tout à raconter une histoire humaine nécessite des besoins techniques pour soutenir cette approche. TLOU Part 1 vient donc à donner un grand uppercut technologique à toute la production en termes de modélisation, d’animations et surtout de capture faciale. Avec un rendu encore plus affiné que sa suite, The Last Us Remake met en scène des personnages entièrement retravaillés, plus criants de vérité que jamais. Joel, Ellie ou encore Tommy déjà magnifiés dans TLOU 2 héritent de leurs nouveaux modèles totalement transformés. Forcément, pour peu que l’on ait fait le second opus, certains membres du casting impressionnent de par leur modélisation. Les frères Sam et Henry, Tess et Maria en tête de lisse, presque méconnaissables tant leurs traits sont plus réalistes.
Ce qui donne du corps à The Last of Us Part 1, c’est avant tout ce travail d’orfèvre effectué sur les animations corporelles comme faciales. Les Dogs ont pris soin de ressortir toutes les archives de la motion capture et de retravailler chaque scène pour coller au plus proche des performances des acteurs. Un détail qui pourrait paraître insignifiant pour les plus réfractaires mais qui épaissit et donne encore plus de vie aux personnages, au scénario et aux passages cultes du jeu. Il se paie même le luxe de les rendre plus poignants, plus émouvants voire plus viscéraux. Portées par une nouvelle physique, chaque cinématique recèle de petits détails qui rendent le jeu plus réaliste qu’il l’était. Un muscle ou une veine qui se contractent, un regard qui fuit, un mouvement de lèvre qui trahit une déception, une inquiétude, des vêtements qui se froissent, des larmes qui coulent naturellement le long d’un visage, la détresse d’un personnage qui vient d’abattre un membre de sa famille. Les exemples sont légion, anodins sur le papier, quasi indispensables dans les faits. Plus dramatique et photo-réaliste que jamais, le remake parvient également à sublimer ces moments plus en retenue qui permettaient aux personnages de briller par leur nuances, mais aussi leurs silences encore plus éloquents qu’avant. La VOST n’en est que plus magistrale et passer par les doublages français serait se priver de prestations désormais à leur paroxysme.
Une refonte au service de la narration
C’est un état de fait, The Last of Us Part 1 brille par son sens du détail. On se rappelle qu’un développeur avait tenu à prêcher sa paroisse en affirmant que c’était le projet le plus méticuleux et le plus soigné à ce jour du studio californien. Le bougre n’avait pas menti, ni exagéré ses propos. Naughty Dog impressionne davantage sur le travail artistique colossal abattu sur tous les décors et les environnements du jeu avec en toile de fond une Amérique fracassée par une mystérieuse pandémie. Les boutiques étranglées par les racines, les bureaux grignotés par la végétation ébouriffante, ces maisons où la nature a repris ses droits, tous ont été intégralement retravaillés de zéro. Finis les assets vieillots dupliqués à outrance au fil de l’aventure. Chaque lieu a sa propre empreinte, ses propres petits détails qui donnent la sensation de traverser un endroit où il y avait autrefois de la vie.
Une refonte intégrale qui vient appuyer ce sens aigu de la narration environnementale si chère à la licence renvoyant à la réalité funèbre de ce monde barbare, impitoyable. Il rejoint le cercle très fermé des jeux où absolument rien n’a été laissé au hasard, où chaque décor a une utilité venant servir la cohérence de cet univers. Tout est neuf donc, sauf le level design qui lui reste complètement identique au-delà des évolutions artistiques et graphiques. Les comparatifs de la campagne marketing étaient assez éloquents, mais c’est clairement la nuit et le jour avec le remaster. Un petit tour de passe-passe grâce auquel The Last of Us Part 1 parvient à donner l’impression de traverser des zones complètement différentes de temps à autre. Parce qu’il joue surtout avec votre souvenir du jeu, il donne parfois l’illusion que tout a changé, alors que tout est là, plus beau, crédible et réaliste que jamais. Ce soin du détail fait toute la différence manette en main et change clairement la donne, contribuant à une immersion enrichie.
Motivé par l’idée d’être aussi plaisant à regarder que son successeur, TLOU Remake ne lésine pas non plus sur ses gestions de lumières et de reflets ni sur la projection des ombres toutes particulièrement remarquables. Que ce soit lors des cinématiques ou en phase de jeu, elles ne sont jamais mises en défaut et magnifient cette ambiance si singulière de la licence. Une volonté qui se retrouve dans sa direction artistique, qui troque ses couleurs criardes pour une identité visuelle plus proche de sa suite permettant de mieux maîtriser et varier les atmosphères. Fidèle aux ambitions du studio californien, The Last of Us Part 1 est un véritable tableau digne de la PS5, un jeu next-gen à part entière qui n’a pas à rougir de sa suite. Cela se traduit également par le traditionnel choix du mode, Performance pour profiter des 60 fps constants qui ne sourcillent jamais, et Fidélité pour pouvoir jouer en 4K et parcourir un jeu un peu plus joli que Part 2. Le titre est d’une fluidité inébranlable, que ce soit dans un mode ou dans l’autre, mais aussi dans les transitions entre les cutscenes, désormais en temps réel, et le gameplay.
Au-delà du prix de vente, c’est justement ce point qui fâche le plus : « le manque de nouvelles mécaniques ». Naughty Dog n’a pas lésiné sur la modernisation de son gameplay, considéré par certains comme un frein à l’expérience du jeu original. The Last of Us Part 1 hérite énormément de son successeur, mais non, Joel n’ira pas ramper dans des hautes herbes ou esquiver les attaques au corps à corps. Cela n’aurait que peu de sens. C’est un texan robuste, capable de miser sur la force brute et d’encaisser quelques coups, il n’a pas l’agilité de sa protégée. Chacun son gameplay. Si Part 1 reprend donc toute la dynamique générale de l'œuvre originale, il en dépoussière de façon assez inattendue la prise en main. En combat comme en exploration, le remake nous livre un feeling complètement différent grâce à un amas d’améliorations qui fluidifient l’ensemble.
Un chef d’œuvre sublimé
Entièrement modernisé, The Last of Us Part 1 adopte la même souplesse que le second opus offrant des déplacements plus fluides et agréables ainsi que des transitions entre les armes moins robotiques. Toutes les animations ont été retravaillées, notamment celles au corps à corps plus brutales, plus naturelles, qui permettent de ressentir toute la force de Joel et de ses opposants. Il reprend aussi quelques ajouts bienvenus par souci de réalisme. Les ennemis vous supplient de les épargner, un soin méticuleux a été apporté aux armes, aux établis, aux bruits, aux impacts. Les projections fusent de partout et il n’est pas rare de voir un bout de cervelle que l’on vient d’éclater ruisseler sur une voiture. Sans être gore à outrance, TLOU Remake n’hésite pas à faire dans le démembrement et à être particulièrement graphique lors des combats. On n’est pas au niveau de sa suite, mais le titre est encore plus viscéral et brutal que l'œuvre originale. Toutes ces petites choses misent bout à bout forment une expérience plus agréable et immersive que jamais, où la prise en main ne devient plus une tare mais une qualité. Et quand le retour haptique de la DualSense se mêle sombrement, mais intelligemment aux festivités, ça fait des merveilles.
Considéré comme l’un des défauts majeurs de la genèse de la licence, l’IA a elle aussi été perfectionnée en se basant sur celle de The Last of Us Part 2. Les compagnons évitent désormais de se mettre dans le sillage des ennemis lors des scènes d’infiltration, sont plus utiles en combat et repèrent mieux les opposants qui eux aussi profitent d’un meilleur comportement. Les patrouilles communiquent, réagissent à la découverte des cadavres, surveillent leurs arrières, n’hésitent pas à user du molotov pour vous débusquer ou à s’organiser pour vous prendre à revers. Puis il y a les infectés qui ont subi un traitement similaire avec de nouvelles animations et un comportement aussi erratique et flippant que le deuxième opus. La rencontre avec le premier claqueur ne manque pas de faire son petit effet, même en ayant refait le jeu maintes et maintes fois. Il faut admettre qu’avec ses nouveaux éclairages et sa spatialisation audio en 3D complètement folle, The Last of Us Part 1 nous gratifie d’une atmosphère encore plus maîtrisée offrant parfois de passages à l’orée du survival horror. Les affrontements contre les colosses ou les très flippants rôdeurs n’en sont que plus stressants et nerveux.
Tous ces éléments, toutes ces nouveautés et ces améliorations misent bout à bout nous livrent une expérience jouissive, modernisée, familière et dépaysante à la fois que l’on connaisse l'œuvre originale sur le bout des doigts ou non. Quelques contenus exclusifs viennent malgré tout faire office de bonus. Vous pourrez débloquer des tenues inédites pour le duo et même découvrir les coulisses du développement. Toujours en quête d’accessibilité, Naughty Dog a mis les bouchées doubles avec des options personnalisables pour permettre à chacun de personnaliser son expérience et d’ouvrir son œuvre au plus de joueurs possibles indifféremment de leurs difficultés.
Pour le reste, la véritable question est de savoir à qui se destine cette refonte intégrale exceptionnelle. La réponse n’est pas aussi simple que pour un simple remaster. Si vous n’avez jamais fait le jeu, il n’y a pas à réfléchir : foncez. C’est la session de rattrapage parfaite pour découvrir dans les meilleures conditions ce jeu emblématique sous le prisme de la next-gen. Pour les autres, il est de base difficile de justifier un jeu vendu plein tarif à 79,99€ dans cette conjoncture, remake ou non. Le travail abattu par Naughty Dog est monstrueux, mais libre à chacun de savoir s’il mérite ou non un nouvel investissement immédiat. Si vous l’avez fait il y a quelques mois peut-être pas. Si vos souvenirs s’effacent, on vous le recommande.