Annoncé comme l'héritier spirituel de Top Spin, Tennis World Tour s'est mis d'emblée sous pression, la simulation de 2K (originellement développée par les français de PAM) restant encore la référence du genre sur consoles. Avec de telles ambitions, Bigben Interactive a donc fait naître un studio spécialement dans cette optique chez Magic Pockets, fort opportunément baptisé Breakpoint, où d'anciens contributeurs de la série ont pu rebondir (pas plus de deux a priori). De quoi justifier cette filiation, et surtout enfin combler les amoureux de la petite balle jaune ?
Les jeux de tennis ont rarement brillé d'un point de vue technologique, à l'exception d'International Tennis Open sur CD-i, d'Ultimate Tennis en arcade jadis, et des Virtua Tennis, ou Top Spin plus récemment. Mais depuis quasiment une décennie, les écarts de succès et donc de budget se sont creusés vis-à-vis d'autres sports, au point que les représentants de la discipline accusent presque une génération de retard. Hélas, il ne faut pas compter sur Tennis World Tour pour le rattraper, ce que l'on constate dès l'entrée sur le court.
Old Next Gen
L'aspect granuleux des revêtements ainsi que la mise en scène apportée par les jeux de lumières (notamment en salle) sont agréables à l'oeil, cependant le déficit global de détails et les couleurs trop criardes donnent à ces stades un rendu artificiel, voire cartoon au regard de l'apparence de certains joueurs qui ont des airs caricaturaux en gros plan, a fortiori quand des expressions se dessinent sur leurs visages. En témoignent les chevelures plaquées des hommes et les queues de cheval indomptables des femmes, qui font se demander si elles ne seraient pas constamment entourées par des mini tornades (la tempétueuse Jelena Ostapenko ne figure pas au sein du roster).
Inoubliable Forget
Quant à l'ambiance sonore, elle est pour l'instant tout simplement inexistante en l'attente d'une mise à jour, avec un public guère présent et qui ne réagit pas toujours en cohérence avec la tournure des évènements (un service sur la ligne suffit à susciter la stupéfaction). Sans parler des commentaires de Guy Forget, souvent inappropriés lorsqu'il salue la puissance à tout va, y compris sur des amorties, ou évoque un revers au lieu d'un coup droit, des interventions parfois involontairement comiques qui deviennent en prime rapidement répétitives, en raison d'un échantillon relativement faible de remarques distinctes. Citons l'une de ses introductions les plus désopilantes, juste pour le plaisir : "On s'attend à un séisme tennistique à vous fissurer la planète". Merci au directeur de Roland Garros d'avoir gardé le sens de l'humour malgré les intempéries, absentes ici. Heureusement le son de la balle, plutôt bien reproduit, offre davantage de variations, de manière à indiquer assez efficacement la qualité et la nature des frappes. Les plus observateurs noteront même que l'on entend le cadre de la raquette toucher le sol sur des balles récupérées in extremis, au ras des pâquerettes.
Vidéo réalisme
Des compromis de circonstance, quelquefois maladroits, que l'on retrouve du côté de la modélisation et des animations. Alors que le Richard Gasquet ressemble beaucoup à son homologue réel, Roger Federer affiche une vilaine mine, jusqu'à souligner ses traits de sorcier tennistique, avec sa fameuse Wilson Pro Staff en guise de baguette magique. Pas forcément l'idéal question crédibilité. De même, les manifestations des humeurs des protagonistes entre les points apparaissent là encore exagérées, pour ne pas dire déplacées, tandis que les longues séquences de préparation au service se révèlent vite agaçante. Néanmoins les mouvements se montrent dans l'ensemble bien réalisés en termes de technique, sans doute grâce au concours de Maxime Teixeira et de Guillaume Ruffin pour la motion capture, ce qui contrebalance le nombre restreint de gestuelles spécifiques aux différents champions (on se contentera du service pour Nick Kyrgios par exemple). Idem pour les ajustements en fonction du contexte, qu'il s'agisse de délivrer des grosses pralines en avançant ou des coups de poignet en bout de course. Dommage que tant de phases de transition manquent ostensiblement à l'appel.
Sursaut d'allègement
Les brusques changements de direction, les accélérations saccadées et les balles frappées sans contact visible avec le cordage nuisent évidemment beaucoup au réalisme du spectacle. Pourtant c'est aussi le résultat d'une approche tournée vers le répondant des contrôles, sciemment ou pas. Sans surprise, son principe s'inspire ouvertement de Top Spin 3 (et 4), avec des frappes puissantes ou précises à choisir selon la situation. Mais alors que les "chorégraphies" de préparation engendraient trop d'assistance dans les déplacements du titre de 2K, Tennis World Tour se veut plus réactif, avec un accent porté sur le délai de démarrage, dont dépend ensuite le temps de charge, voire carrément la possibilité de renvoyer la balle, quitte à la rater bien qu'elle paraisse touchable. Une préparation trop tardive, ou dans une position inadéquate, empêche donc d'effectuer complètement la boucle. Autrement dit, le geste est logiquement écourté, avec une trajectoire théoriquement cantonnée au milieu du court, en somme défensive. Un système de timing permet toutefois d'exécuter des contre-attaques cinglantes, en particulier dans la foulée, même si le gameplay privilégie (trop) automatiquement la remise basique.
Gauche droite
Cette formule occasionne des échanges stéréotypés façon essuie glace, à l'image de Virtua Tennis 3 en son temps, agrémentée ici de chopes à n'en plus finir comme dans les 70s, avec une nette tendance à jouer au centre du terrain en demi volée - une zone à éviter dans la réalité rappelons-le. L'omission des fautes a encore frappé, celles-ci se limitant aux coups trop appuyés, qui plus est joués à plat ou en déséquilibre. Et même avec l'inertie des sprints (éventuellement intensifiés via le bouton dédié), les patterns ne sont guère nombreux, influence imperceptible de la surface, gestion suspecte des rebonds et de la longueur de balle obligent. D'autant que l'IA, quoique coriace au niveau légende, use d'une stratégie machinale, dont la teneur repose essentiellement sur les caractéristiques d'archétype du personnage, réparties entre la défense, l'attaque et l'attirance vers le filet. Le doigté requis pour décocher des frappes meurtrières et la dangerosité des amorties viennent certes un peu brouiller les cartes, à défaut de volées suffisamment incisives pour clore les débats, en tout cas davantage que les balles neuves tous les neuf jeux. D'ailleurs les cartes d'aptitudes constituent l'une des principales innovations de Tennis World Tour, eussent-elles été inventées par la déclinaison RPG de Tennis no Ojisama.
Le dessous des cartes
Divisées en quatre catégories, en l'occurrence puissance, contrôle, agilité et endurance, ces cartes évolutives servent classiquement à doper certains attributs, soit en permanence, soit dégressivement ou progressivement au fil d'un point. Sur le papier, ou plutôt le carton virtuel, l'idée paraît judicieuse, mais en pratique, les pourcentages ainsi ajoutés dans un domaine, souvent au détriment d'un autre, n'ont pas une incidence déterminante. A moins d'insister fortement sur un secteur, une démarche que la proportion de cartes similaire semble encourager. En outre leur activation non manuelle, soumise à conditions, diminue leur potentiel en matière de revirement tactique. Surtout avec un deck maximisé à cinq cartes par partie, si bien que leur intérêt en ligne, probablement leur vocation première, se profile comme anecdotique, sauf en allant à terme plus loin dans les modifications statistiques. En l'état, ces cartes donnent un surplus de personnalité aux vedettes, en dépit de leurs talents définis parfois très discutablement. La supériorité systématique des coups droits en comparaison des revers l'illustre, un parti pris difficilement justifiable dans le cas d'un Stanislas Wawrinka, ce qui laisse planer le doute sur l'expertise des développeurs.
Carriériste ?
Au demeurant, la collectionnite de cartes reste un excellent argument pour se plonger dans la carrière, à l'instar du matériel à déverrouiller. Son planning est résolument léger, car on débute directement au centième rang, et il ne comporte que 18 tournois dénués de la moindre licence. De plus, les saisons s'écoulent suivant un tempo strictement mensuel : la participation à une compétition, une exhibition ou un entraînement prend aussi longtemps que la rencontre avec un coach, un agent ou un sponsor dans l'objectif de développer des aptitudes ou d'engranger un surcroît d'argent. Pareil pour le repos, histoire d'éviter les blessures, une facette management un tantinet gadget. Du coup les années passent vite, ce qui n'est pas forcément un souci dans la mesure où l'on a loisir de sélectionner au départ la durée des matchs, optionnellement très longs (et ardus) en configuration réaliste. Et dans l'absolu, ce programme s'avère sagement équilibré pour enchaîner les carrières, nonobstant le panel de visages scandaleusement famélique, avec dix faciès par sexe dans l'éditeur pour le moment. Cela a au moins le mérite d'être paritaire, comparé au solide casting de stars, outrageusement macho (même sans trois membres du Big Four). Si la plupart des amateurs du genre appartiennent effectivement à la gent masculine, tout le monde ne cherche pas obligatoirement à vivre l'existence d'un professionnel.
Copie brouillonne
Une dimension tout public que Top Spin 4 avait su affirmer, sans jamais trahir les puristes, contrairement à Tennis World Tour qui peine à l'imiter, ou à s'en distinguer positivement, et ce sur tous les plans. Au final, on a l'impression que l'équipe de Breakpoint s'est attelé à examiner les composantes de son modèle pour les reformuler consciencieusement sur les machines contemporaines, un peu comme si le développement s'était déroulé sous la dictée d'un maître dominant son sujet, face à des élèves appliqués, mais néophytes. Or rien ne remplace la pratique assidue et la connaissance en profondeur d'un sport pour le retranscrire fidèlement, la bévue transformant initialement John McEnroe en droitier l'atteste - ô sacrilège ! Cette erreur a été immédiatement corrigée, un soutien que l'on espère voir se traduire également à travers la (re)calibration de l'endurance, actuellement calamiteuse. Pas sûr malheureusement que les approximations du gameplay puissent être toutes solutionnées, ses mécaniques n'étant pas assez huilées et élaborées pour prétendre se plier durablement aux exigences de l'e-sport, ni même des inénarrables soirées entre amis. Cette copie plus brouillonne que carbone se mue par conséquent en déception pour les fans, une nouvelle gifle très regrettable pour les jeux de tennis de nos jours, et pour leur avenir.