Il y a dix ans déjà, un duo brillant de game designers dynamitaient avec brio le genre du platformer 2D en s'inscrivant dans une nouvelle tendance, celle de la difficulté assumée et de l'input frame perfect. Une décennie plus tard, la Team Meat qui doit désormais apprendre à fonctionner sans son hémisphère droit (McMillen multipliant depuis les projets, avec un certain succès) remet le couvert, et espère proposer une cuisson aussi sanglante qu'aux grandes heures du tandem. Mais en l'espace de dix ans, les habitudes alimentaires ont comme qui dirait bien changé.
C'est peu dire que votre serviteur attendait avec une impatience non feinte le retour de l'increvable bout de viande au sigle déférant, envers et contre tout : malgré la séparation de la Team Meat qui laissait les pleins pouvoirs à Tommy Refenes, malgré un développement qui semblait ne plus savoir quand y mettre un terme, et même après un changement radical de la formule, qui aurait pu refroidir certaines ardeurs.
Strength In Numbers
Après avoir sué sang et os pour secourir sa belle, Meat Boy et Bandage Girl ont largement eu le temps de célébrer leurs retrouvailles en consommant leur amour, avec toute la passion que l'on imagine. Quelques échanges de fluides plus tard, voilà que le jeune couple doit composer avec Nugget, leur progéniture hybride qui nous rappelle que la science est décidemment pleine de mystères, puisque le fruit de leur union arbore des oreilles de lapins qui soulèvent bien des questions. Qu'importe : Nugget sera bien vite kidnappée par le Dr Fetus, de retour pour nous jouer un mauvais tour, et ainsi nous offrir un prétexte en or massif pour repartir à l'aventure, et faire grimper le compteur de morts en flèche. Un rapt plus tard, voici nos deux héros prêt à en découdre à travers plus de 7000 niveaux, un score certes honorable mais qui n'aura pas facilité la tâche du père Refenes, quand bien même personne n'en demandait autant. Ceux qui ont un jour mis la main sur une étrange cartouche vantant une quantité astronomique de titres savent qu'il y a souvent derrière des chiffres aussi ostensiblement placardés... un loup.
"Yeah, one out of twenty five ain't bad !"
Impossible de l'ignorer : Super Meat Boy Forever s'affranchit de la formule de l'opus précédent pour prendre des airs d'endless runner pas si endless que ça, puisque chacun des stages à parcourir se conclut tout de même par un échec cinsanglant, avant de passer au suivant. Exit donc, la liberté d'antan : désormais, nos héros avancent de leur propre chef, et il revient ainsi au joueur de gérer le nuancier de saut, les attaques et autres courses murales qui vont bien, ce qui s'avère déjà bien suffisant au vu des innombrables pièges qui n'attendent que votre hémoglobine pour briller. Changement de formule oblige, le premier monde prend des airs de tutoriels, et c'est alors que les premiers couacs apparaissent, lorsque l'on découvre des fenêtres de texte qui masquent délibérément l'action, et nous laissent à penser que les ratés d'affichage de l'écran d'accueil (en français seulement) sonnent comme autant de clous qui dépassent, et l'on se demande à quel point Refenes voulait éviter de souffler la dixième bougie du développement.
L'Aigle de St Hell Haine
Passé quelques niveaux histoire de se chauffer les pouces et de réapprivoiser la physique de la licence, force est de constater que bon nombre des décisions prises durant un développement bien difficile (et très étalé) ne semblent pas réellement porter leurs fruits : une fois la mécanique de la course automatique intégrée aux déplacements, il faut tout de même composer avec une prise en main des plus étranges, pour ne pas dire contestable. En effet, les deux actions principales de Super Meat Boy Forever, à savoir le saut et un coup de poing bien senti, se déclenchent avec le même bouton, ce qui rend l'action souvent confuse lorsque le level design se corse méchamment (et il se corse, le bougre), et augmente la frustration. Avec si peu d'actions à effectuer, pourquoi fallait-il les assigner à un seul et même bouton ? Les experts se grattent encore la tête. L'aventure aurait été tellement plus présente avec bête gestion différenciée, et il faudra donc accepter de renoncer à un confort pourtant basique pour espérer profiter des mille et uns pièges pensée par le cerveau machiavélique de Refenes et de sa troupe de sadiques. Certes, l'alternance bien sentie de sauts, plongeons, attaques et glissades pour triompher de tous les dangers procure quelques moments de plateforme grisante et jouissive, mais après combien d'échecs à mettre au crédit d'un ergonomie contre-intuitive ? Quant on se veut si exigeant, on se voit de ne négliger aucun aspect.
Pacifier pacifies, yeah it pacifies
Si la mort attend nos héros au tournant, il faudra tout de même compter sur l'appui salvateur de nombreux checkpoints, qui ont en sus le mérite de faire repartir le chronomètre à chaque fois, histoire de ne pas plomber un run pour un bête cafouillage dans la dernière ligne droite. C'est que finir un stage ne représente qu'une bien maigre part du travail à accomplir, alors que l'on retrouve avec plaisir la présence de Dark Worlds, de portails à l'ancienne ou de tétines à ramasser (non sans mal) pour débloquer toujours plus de personnages jouables, où les boss de l'original viennent se mêler à ceux de cette étrange suite. À l'heure où certains exigent de l'accessibilité partout, la Team Meat singe son antagoniste et lève fièrement le majeur à la moindre occasion, alors que les scies laissent place à des zones mortelles ou à des plateformes qui se matérialisent après un passage, et que les tentatives pour parcourir quelques mètres se comptent par dizaines, mais pas forcément pour les bonnes raisons. Si certains raccourcis demandent un doigté d'une infinie précision, la plupart des phases exigent trop souvent de prendre LA route pensée par les développeurs, et tant pis pour la créativité. Cette sensation est toute aussi présente lors des combats de boss, sympathique mais pas si marquants. Malgré le sentiment de triomphe qui accompagne la réussite de certains passages, Super Meat Boy Forever donne donc l'impression de nous corseter, là où il devrait permettre toutes les folies. Et n'espérez pas relancer un niveau en une fraction de seconde hein : pour ce faire, il faudra... repasser par la world map, qui ne manque pas de relancer une cut-scene à chaque changement d'environnement, sans pouvoir immédiatement la zapper. Un comble, on vous dit.
Harder, (not) Better, Faster, Stronger
Et c'est alors que se pose immanquablement la question du nombre. Pas celui de la bête, non (quoique), mais celui de la quantité : était-il vraiment nécessaire de proposer des milliers de déclinaisons des cinq environnements principaux ? Malgré plusieurs parties lancées sur des sauvegardes différentes, la réponse est assurément... négative. Malgré un certain renouveau dans les épreuves, la redondance pointe immanquablement son nez, notamment dans les zones à portail, et l'on se demande également s'il est bien raisonnable de se lancer dans un second run alors que le premier réserve encore bien des défis, le Dark World se révélant dès le premier niveau particulièrement hardcore. Face à l'ingéniosité de Super Meat Boy, le level design de cette suite peine à réellement convaincre, alors que la génération aléatoire des éléments donne parfois l'impression de parcourir des niveaux sans âme, loin des sommets d'il y a dix ans. Au vu des tentatives pour viser le 100% qui finissent par chiffrer les morts par centaines, on se demande s'il ne vaudrait pas mieux remonter dix ans en arrière, et s'en tenir aux classiques.