Le sens de l'histoire ne s'encombre pas de bons sentiments : autrefois rois de la colline, les genres propres au style arcade des deux dernières décennies du vingtième siècle sont un à un tombés, non pas sur le champ de bataille, mais en désuétude. Les shoot'em up et autres beat'em all qui faisaient les affaires des tenanciers ont progressivement cédé du terrain devant la domestication du média, laissant la place à d'autres, qui subiront un jour le même sort. Vingt-six ans après la sortie du dernier volet de la trilogie Streets of Rage, qui aurait pu s'imaginer qu'un petit groupe de français parviendraient à ressusciter un des piliers du genre ? Certainement pas nous.
Quel que soit l'épisode cher à notre coeur, tous les joueurs avec un peu de bouteille se rappellent des mandales distribuées par douzaines dans les ruelles cradingues de Wood Oak. Que ce soit pour les musiques endiablées de Yuzo Koshiro et Motohiro Kawashima ou ses terrifiants boss de fin de niveau, la série résumait assez justement l'esprit Sega d'alors, prompt à s'écarter des sentiers trop balisés. Dès lors, comment restituer près de trente ans après ses débuts la substantifique moelle de Streets of Rage ? C'est là tout le pari un peu fou dans lequel se sont lancés DotEmu, LizardCube et Guard Crush Games.
Les Fab Four et les France Five
La première qualité de Streets of Rage 4 est sans aucun doute sa générosité : quel que soit l'angle sous lequel on l'observe, cette suite en forme d'hommage coche toutes les cases, et offre aux fans autrefois endeuillés de la trilogie de quoi se remettre en selle pour les mois à venir. Ce plaisir d'offrir commence dès l'écran de sélection de son combattant de rue : limité à quatre lors du premier run, ce dernier ne va cesser de s'étoffer au fur et à mesure de votre progression, offrant à lui seul une bonne raison d'enchaîner les parties. Et si la quantité ne constitue jamais en soi une quelconque garantie de qualité, le triptyque aux manettes aura pris le soin de différencier comme jamais les styles, piochant avec justesse dans ce que le versus fighting a de plus jouissif à offrir.
Peu importe votre style : vous trouverez forcément chaussure à votre pied, pour mieux le coller en plein dans la face de vos adversaires. Axel joue la carte du classicisme orienté défensif, puisque moins mobile que ses petits camarades, Blaze maîtrise les airs comme personne, la petite Cherry se déplace à une vitesse folle et lance des auto-combos en moins de deux, tandis que Floyd ravira les adeptes de l'efficacité, puisque le moindre coup porté s'avère tout simplement dévastateur. Rien qu'avec ce roster basique, les possibilités s'avèrent riches et variés, mais il faudra en sus compter avec l'arrivée du redoutable Adam (coeur sur toi bébé) et autres skins rétro hérités des opus précédents, qui possèdent tous leurs caractéristiques propres. Mais si leur présence caresse assurément les fans nostalgiques dans le sens du poil, leur intérêt in-game s'avère quelque peu limité, la faute à une palette de coups moins variées que les homologues modernes, et à un style maigrelet qui jure avec le reste du décor.
Adam & Eve Isus
Comme au bon vieux temps où on l'avait (le temps), il faudra multiplier les parties et les mises en situation pour exploiter pleinement chacun de nos héros, et travailler sa mémoire musculaire. Comme un bon jeu de baston, Streets of Rage 4 offre à chaque problème une solution, qu'il faudra mûrement réfléchir alors qu'une difficulté croissante viendra bien vite vous rappeler à l'ordre. En plus des mandales de bases, des éventuels dashs et des attaques aériennes, vous pourrez sacrifier une partie de votre barre de vie pour lancer une attaque plus conséquente, mais il faudra ensuite comboter sans se faire interrompre pour récupérer ce que l'on a hypothéqué. Un pari qui oblige à garder un oeil affûté sur chaque situation qui se présente à vous, mais qui récompense assurément les bonnes prises de risque. Lesdits combos seront d'autant plus faciles à obtenir que les ennemis rebondissent sur les murs invisibles qui délimitent chaque zone de jeu, et permettent de s'amuser dans les conditions du direct à tester différentes stratégies. Avec un brin de maîtrise et un teamplay efficace, c'est presque un ballet qui se déroule sous nos yeux, uniquement interrompu par le compteur de combos, désactivable sur simple demande.
Ajoutez à cela du cross-up tout ce qu'il y a de plus légitime, mais aussi quelques subtilités comme le recovery à la Street Fighter (une pression sur bas en arrivant au sol), et vous obtenez là un cocktail d'une savoureuse complexité, qui se dévoile d'autant plus que la difficulté assez corsée du jeu oblige rapidement à ralentir le tempo pour ne distribuer que les coups nécessaires. Streets of Rage 4 aurait à ce titre gagné à proposer un cancel des familles, un oubli regrettable, mais au final pas si dommageable. Si l'on garde de côté les sprites rétro qui nous ont décidément un peu chiffonné, les hitboxes ne souffrent d'aucune contestation, un détail qui a son importance dans ce genre de situation, même si les boss ont trop largement tendance à abuser des cycles d'invincibilité à la relevée. Que voulez-vous, personne n'est parfait.
You became the bad guy !
Soucieux de conserver un rythme haletant tout en respectant les canons d'un genre par définition répétitif, la triade aux manettes a également eu la bonne idée de ne pas étirer la douzaine de stages en longueur, pour mieux dérouler une galerie de backgrounds variés et détaillés. En plus des traditionnelles ruelles cradingues et autres zones portuaires et ascenseurs de rigueur, les développeurs nous baladent à travers de nombreux lieux que tentent de justifier une intrigue dont on se passera malheureusement dès la seconde partie. Au-delà de son côté série B assumé, elle n'apporte finalement pas grand chose à une formule arcade qui se satisfait à elle-même. Les clins d'oeil et autres caméos sont légion (en en plaçant ici une pour Tekken, là pour Street Fighter...), et l'on sent à chaque instant que les artistes se sont véritablement éclatés à raconter l'histoire de chaque location à travers ses différents environnements. Ce souci du détail apporte un vrai plus qui permet de casser la monotonie lors des innombrables parties qui s'en suivront, puisque l'on se surprend à recoller spontanément certains morceaux. Mention spéciale au plug anal géant, à destination de... Paris, évidemment.
En revanche, la bande-son tant attendue ne profite pas de la même constance, et risque fort d'en froisser certains. Soucieux d'accueillir les fans de la meilleure des manières, les premières mélodies restent à mettre au crédit du maître Koshiro, mais nous sommes au regret de constater que le talentueux Olivier Derivière ne signe pas là sa plus grande oeuvre musicale, loin s'en faut. L'intéressé nous avait à juste titre prévenu : il ne tenterait pas de singer le travail du légendaire duo Koshiro/Kawashima. Avec un thème pour chaque stage et un autre pour son boss dédié, il y avait pourtant de quoi faire, mais le français ne parvient qu'à de rares exceptions à viser juste, et livre la plupart du temps des thèmes qui ne marqueront pas les mémoires, ni les oreilles, et c'est évidemment fort dommage. En revanche, les thèmes profitent d'un moteur dynamique très réactif qui réussit à les étouffer au bon moment sans pour autant donner la sensation de le faire avec violence, après avoir bataillé pendant plusieurs minutes pour vider une salle. L'effet est grisant, et permet de renouer par moment avec cette fusion entre gameplay et musique qui a toujours placé la série au-dessus de ses concurrents.
Les poings sur les i
Une fois l'aventure bouclée, il y aura évidemment fort à faire, puisque chaque niveau pourra être rejoué indépendamment, une bonne occasion de parfaire son jeu et de progressivement faire grimper le score final, ou de tenter la difficulté Mania, qui porte très bien son nom. Croyez-nous sur parole. Il faudra en effet respecter comme à l'époque un entraînement strict pour espérer s'attaquer au mode Arcade, et son unique crédit de départ... Autant vous dire que les complétistes vont en avoir pour leur argent. Les autres jetteront une tête curieuse au mode Duel, qui montre à quel point les emprunts au versus fighting ont été nombreux, mais son intérêt s'avère finalement assez limité. Le combat de boss sans crédit supplémentaire constituera une étape de plus dans l'entrainement rigoureux qui permettra aux plus vaillants des casseurs de bouche de viser l'impossible : finir ce fichu mode Arcade.
Car avec un pote (ou jusqu'à trois) aux fesses vissées dans le même canapé, la durée de vie pourrait sans doute tutoyer l'infini, tant Streets of Rage 4 offre de bonnes raisons d'y revenir comme tout bon beat'em all pensé avec l'amour du genre chevillé au corps. C'est sans doute cette même envie qui a poussé les développeurs à bourrer le menu Extra de contenus en tous genres, y dévoilant une somme de documents de travail qui témoignent en creux des interrogations sur le look de tel ou tel protagoniste, et le souci du détail qui a animé jusqu'au bout les artistes de cette bien belle fresque. Et la compagnie physique d'un bon vieux sparring partner sera plus que conseillée pour le moment, dans la mesure où le jeu en ligne souffre de vrais ralentissements qui demandent encore de grosses corrections et de bien vilains lags. L'éditeur nous assure que tout sera en place pour le lancement du jeu, et nous mettront bien évidemment à jour notre test dans ce sens une fois devant le fait accompli, c'est promis. Rassurez-vous : rien n'a cependant ét laissé au hasard, puisque le jeu adaptera sans cesse les dégâts infligés et reçus en fonction du nombre de joueurs, et au diable le ragequit.