Il n'est pas tous les jours facile de devoir jouer le rôle de la grande multinationale : accusée de tous les maux, l'époque vous voit désormais comme un monstre incontrôlable prêt à tout pour écraser son prochain, pour peu qu'un misérable dollar de bénéfice ne soit généré dans l'opération. Et dire qu'hier, nous encensions les golden boys de Wall Street. Quelle vie.
Alors, lorsque l'on s'appelle Electronic Arts (au pif hein), comment diable se racheter une bonne image de marque auprès des joueurs si prompts à l'emballement général ? En jouant la carte du petit studio pris sous son aile, pardi ! Après Fe et A Way Out, voici en effet venir la troisième production du label EA Originals, qui prend cette fois la forme d'un voyage introspectif sur fond de dépression chronique. Tout de suite, ça le fait un peu plus, non ?
Mer de Noms
Largement inspiré par le vécu de sa réalisatrice Cornelia Geppert, Sea of Solitude (pour S.O.S., au cas où cela vous aurait échappé) nous raconte avec des trémolos dans la voie l'aventure de Kay, une femme tellement mal dans sa peau que ses traits autrefois juvéniles lui donnent désormais l'aspect d'un monstre. En proie à un dilemme intérieur qui se précisera au fur et à mesure de l'aventure, la demoiselle se retrouve à devoir parcourir une ville engloutie largement inspirée de la capitale berlinoise, fief du développeur Jo-Mei. Peu sûre d'elle, Kay va néanmoins devoir aller à la rencontre d'une ribambelle de monstres dont les identités et motivations se révéleront progressivement. Le père, la mère et tout le reste du registre familial classique se verront décliner en diverses bestioles métaphoriques plus ou moins agressives, qu'il faudra apaiser en récoltant leur noirceur.
Si Sea of Solitude tente bien souvent de vous tirer la larmichette, sa maladresse parfois touchante ne masque malheureusement pas les ficelles tirées en coulisses : à moins de ne pas avoir de coeur, difficile de ne pas voir où le jeu souhaite nous emmener au bout d'une ou deux heures de jeu. Quasi-allégorie poilue de la phase dépressive, Kay aurait sans doute gagné à être interprétée avec plus de justesse et de finesse, histoire de donner un supplément d'épaisseur à un personnage pour lequel on essaye malgré tout de conserver de la sympathie. Même avec une dernière heure absolument somptueuse et qui achèvera l'aventure sur une bien belle note, les motivations (très) premier degré lasseront bien vite les joueurs confirmés. Entre les représentations anthropomorphes des différents membres de la famille dont les peines émergeront via des réminiscences audio imposées (et qui empêchent la progression) et l'auto-flagellation permanente de l'héroïne, Sea of Solitude s'envisagerait presque comme un dessin animé devant lequel vous colleriez vos rejetons sans deuxième niveau de lecture pour vous distraire sur la durée.
Message in a Bottle
Pour voir le bout de son aventure introspective, notre héroïne naviguera comme évoqué sur les flots, à bord d'une barque à moteur qui lui servira de refuge, le déluge s'étant abattu sur Berlin ayant visiblement apporté dans son sillon son lot de créatures mortelles en tous genres. Perdue au milieu d'un océan de noirceur, Kay pourra compter sur Luciole, une boule de lumière aux intentions mystérieuses, et une capacité propre lui permettant de trouver son chemin grâce à une sorte de fusée dont elle pourra abuser. Il faut reconnaître à Jo-Mei un level design un tantinet ouvert mais jamais confus, qui parvient souvent avec trois fois rien à orienter correctement. Les plus curieux ne manqueront pas de prendre leur temps, histoire d'explorer de fond en comble des environnements qui se ressemblent, mais dont la direction artistique et les couleurs tantôt grisâtres, tantôt ensoleillées, offrent de jolis points de vue.
La navigation très simple s'accorde le plus souvent avec des phases d'exploration toutes aussi légères, alors que Kay navigue de toit en toit à la recherche de différents items pour continuellement aller de l'avant. Entre les échelles rouges et la capacité d'envoyer une fusée éclairante dans la bonne direction, difficile de se perdre, même lorsque les environnements urbains font dans la redite. Cela offrira pourtant aux joueurs curieux la possibilité de faire bon nombre de détours à la recherche de collectibles qui offriront parfois un éclairage supplémentaire sur les états d'âme de l'être humain. L'aventure reste malgré tout brève et n'oppose pas vraiment de difficulté. A raison, puisque l'histoire, même naïve, de Kay reste le point central et la raison d'être de Sea of Solitude. En revanche, les trois speedrunners qui décideront de s'y coller vont s'é-cla-ter.
Solitude is Bliss
Car nous serons en revanche moins enjoués par la technique : non pas que Sea of Solitude ne tienne pars la route, mais ses collisions très hasardeuses se manifestent bien trop souvent pour ne pas se voir comme le nez au milieu de la figure. Que ce soit lors des phases d'exploration ou des rares "affrontements" qui parsèment l'aventure, Kay glisse sur la plupart des polygones, et l'on se retrouve bien souvent dans une situation inconfortable, qui laisse penser que le titre aurait largement profité de quelques mois de développement supplémentaires. Cette permissivité permettra à bon nombre de joueurs de se jouer des textures et de bourriner dans certains cas, quand bien même l'atmosphère paisible du jeu n'y invite absolument pas.
Car si Sea of Solitude profite tout de même d'une jolie direction artistique, le jeu est également servi par une bande-son bien dans le ton signée Guy Jackson. Faisant la part belle au violon et au piano en fonction des humeurs de Kay et d'une mer incertaine, cette dernière offrira une bonne raison de s'atteler à chercher les quelques bouteilles à la mer et autres goélands à chasser de leurs perchoirs. Même si les mécaniques ne parviennent jamais à sortir de leur zone de confort, la fin du jeu laissera finalement une impression moins salée que l'eau de mer, grâce à un finish qui nous laisse imaginer ce que le voyage intérieur de Kay aurait pu nous apporter s'il avait été aussi inspiré tout du long.