Entre conflits d'intérêt, guerres ouvertes entre ses différents acteurs et troisièmes mi-temps cocainées, le ballon ovale file un bien mauvais coton et perd le fil de ses "valeurs" longtemps érigées en modèle. C'est dans ce contexte malsain que Bigben Interactive, via le studio Eko Software, souhaite réconcilier les amoureux de l'Ovalie avec le jeu vidéo en lançant Rugby 18, dernier épisode d'une licence oubliée au bout du banc de touche. Un essai transformé ou une tentative désespérée ?
Souvent recroquevillé sur lui-même, le XV de France a récemment décidé de s'ouvrir sur le monde en accumulant les rencontres avec le public, les médias et les partenaires. Une nouvelle stratégie marketing qui vend du rêve sur le papier ; encore faut-il que ces belles paroles soient suivies par des actes et des résultats probants. Car, comment partager cette passion pour son sport et créer des vocations chez les jeunes si les Bleus trainent leur spleen et leurs lacunes techniques du moment sur le rectangle vert. Cette remarque s'applique également sur les terrains virtuels, abandonnés depuis longtemps par les experts du raffut et de la fourchette - ah Jonah Lomu Rugby sur PS1 ! - et de nouveau débroussaillés par Eko Software, qui travaille depuis plus de deux ans sur Rugby 18.
Un contenu brut de décoffrage
Un dur et pénible labeur qui n'a pas été vain puisque l'on sent que le studio francilien a souhaité retranscrire toute l'authenticité du rugby en s'appuyant sur ses fondamentaux. C'était déjà le cas avec ses précédentes productions, les Handball 16 et 17, petites galettes remplies de bonne volonté mais vite bourratives et surtout limitées par un budget du genre riquiqui. Ressuscité après des essais précédents consternants, ce nouvel épisode ne joue clairement pas dans la même cour que FIFA ou NBA 2K mais emprunte à ces derniers des éléments de gameplay, qu'il faudra mûrir au fil des années.
De la simulation de foot signée d'EA Sports, il a singé les modes de jeu dont "My Squad", clairement inspiré du FIFA Ultimate Team, dans lequel on construit l'équipe de ses rêves, via des objectifs précis à atteindre lors de chaque rencontre. A côté de cette petite fantaisie, les modes Carrière et online s'avèrent aussi classiques qu'un France-Angleterre au mois de février, soit un rendez-vous attendu mais une valeur sûre du Tournoi des 6 Nations. Dans le premier, il faudra emmener son club de coeur des bas plafonds au sommet de la division Elite à force d'entraînement, de persévérance et de malice dans son recrutement. Un parcours qui n'est pas sans rappeler celui du nouveau géniteur de Rugby 18...
Eko Software peut déjà s'appuyer sur les licences officielles, puisque les fans retrouveront les principaux championnats européens (Top 14, Pro D2, Premiership) et les équipes nationales (hormis l'Irlande et l'Argentine) avec des statistiques mises à jour et chopées sur OPTA, un outil très performant. Un bon point de bonus, même si l'on peut regretter l'absence des stades, la non prise en compte des conditions météo (une aberration) ou encore l'impossibilité de disputer des compétitions sur plusieurs saisons d'affilée avec promotion, course au maintien et joutes européennes. Soit tout ce qui fait le sel du sport, où l'enjeu dépasse souvent le jeu.
Le rugby pour les nuls
Au niveau jouabilité, l'équipe de développeurs a souhaité aller au plus simple pour rendre son titre accessible à tous. Une peine perdue d'avance, car, même en connaissant par coeur son Bescherelle du rugby, certains resteront groggy les premières minutes manette en mains, comme sonnés après une percussion d'un troisième ligne. Pourtant, Eko s'est décarcassé en imaginant des dispositifs (jauges à remplir, pression à maintenir dans un certain timing) et des signalétiques pour que chacun puisse répondre du mieux possible à la situation en cours. Dans cette recherche d'équilibre entre accessibilité et profondeur, le studio français a créé ce qu'il appelle une "seconde couche de gameplay". Chaque action va ainsi être effectuée avec plus ou moins d'intensité à l'aide du stick droit. Une simple pression sur le bouton rond initiera une tentative de plaquage, que l'on pourra booster en tentant un coup de stick dans sa direction.
Malheureusement, on perd toute la diversité technique du rugby car les principales phases de jeu manquent de crédibilité, devenant vite répétitives et mollassonnes à souhait. Certaines règles, essentielles, ont quant à elles été bottés en touche pour ne pas encombrer le gameplay. Il n'y a donc aucune construction, la partie stratégique étant complètement passée à la trappe. En attaque, on peut user du jeu de passes, effectuer des offloads (passe après contact) - la tendance du moment - ou s'échapper en profitant des trous béants laissés par une défense aux abonnés absents. Plaquages, mêlées fermées et touches restent fidèles à la réalité avec néanmoins un bémol concernant une physique de balle approximative et des animations robotiques. Mais tous ces lancements de jeux sont balayés par une intelligence artificielle indigente avec aucune organisation offensive/défensive (absence de combinaisons) et un placement des joueurs très aléatoire.
Est-ce que tu m'entends, Eko ?
Pourtant, la motion capture a été assurée par des joueurs d'Oxford. Une modélisation tout juste correcte, ce qui dresse un premier frein à l'immersion. On peine à percevoir la différence entre avants et arrières quand le public est, lui, réduit à un seul et unique homme. Au moins, le moteur de jeu reste fluide pendant toute la partie, ce qui n'était pas le cas des précédents titres de Bigben. Conscient de ses erreurs, le développeur est reparti de zéro pour proposer une immersion minimaliste avec des pelouses qui se dégradent, des shorts qui se salissent et des colosses qui transpirent.
Cet éclair d'inspiration n'est pas accompagné en terme d'interface. Celle-ci s'avère aussi plate et insipide que le reste du gameplay, alors que le rugby est synonyme de fête avec ses bandas, ses fanfares, ses chants de supporters et ses commentaires croquignolesques. Le duo Éric Bayle-Thomas Lombard - commentateurs officiels sur Canal +, brille plus pour ses fautes de syntaxe que pour son expertise. Il faudrait sonder les amateurs de rugby, les vrais, les purs, pour savoir s'ils ne préféreraient pas que les développeurs s'échauffent sur le bord du terrain plutôt que de voir leur discipline souillée par des titres du genre. Car, à force de vouloir privilégier les licences - ce qui fait vendre - au détriment de l'expérience, Bigben est en train de se faire hara-kiri. Une expression plutôt mal vue, à quelques mois du Mondial au Japon.