Dans l'univers d'Insomniac comme dans la vraie vie, de l'eau a coulé sous les ponts depuis la fin d'Into the Nexus, et nos deux héros ont comme qui dirait relâché leurs efforts, et profité d'une paix retrouvée pour prendre un peu de bon temps. C'était sans compter sur la promptitude de Mégalopolis et sa volonté de célébrer le duo à la façon d'une parade sur la Cinquième Avenue, avec ballons et confettis de rigueur... qui permet surtout de rappeler les événements importants des précédents volets pour ceux qui prendraient le train en route. C'est dire si cette entrée en matière annonce la couleur, ou plutôt les couleurs, tant ce volet espère servir de véritable vitrine technique à la nouvelle console de Sony.

Quartet-à-tête

Évidemment, rien ne va se passer comme prévu, et les troupes un peu gauches du Dr Nefarious vont rapidement gâcher la fête, et embarquer tout ce petit monde dans un drôle de manège, avec un bien joli pompon à la clé. En effet, ce brave Clank avait pris la peine de reconstruire le Dimensionateur pour l'occasion. Trop soucieux de permettre à son vieil ami de partir à la recherche de ses semblables, le très british droïde va bien vite regretter son geste, puisque Nefarious met la main sur le Précieux, et bouleverse une fois de plus la stabilité des dimensions. En plus d'ouvrir le champ des possibles sur le plan visuel, le retour sur le devant de la scène de l'arme ultime des Lombax va permettre d'introduire Rivet, femelle dont la première apparition en juin 2020 avait soulevé bien des questions. Non content de jouir d'une très bonne écriture (et d'une excellente prestation en V.O.), Rivet va rapidement bouleverser les habitudes de nos héros (moins celles des joueurs), et transformer le sage tête-à-tête en véritable plan à quatre. Dans les faits, nos héros se répartissent consciencieusement les missions à effectuer, et le basculement d'une planète à l'autre permet d'alterner les deux duos.

Si le sort de plusieurs univers est sur la sellette, Rift Apart préfère laisser de côté les enjeux démesurés pour mieux se focaliser sur le cas de Rivet, une Lombax encore plus seule que le père Ratchet, contrainte de se débrouiller en solo pour s'en sortir, sans pour autant virer à l'infâme asociale. L'occasion était toute trouvée pour que la licence prenne à cette occasion un peu de hauteur, et aborde avec beaucoup de justesse l'identité, la solitude et quelques classiques comme l'amitié et le pardon, sans jamais s'éloigner de la dimension grand spectacle qui la caractérise d'un bout à l'autre. Durant la grosse vingtaine d'heures nécessaire pour arriver au terme de l'aventure, notre quatuor de héros se frottera à bien des problématiques, alors que l'ouverture d'une autre dimension agit comme un miroir pour chacune des têtes bien connues de la série. Mention (très spéciale) à Glitch, le robot trop peu sûre d'elle qui régale avec chacune de ses répliques, et remporte le prix du coeur, à l'unanimité du jury.

I got rhythm, I got music

Rift Apart alterne ainsi avec une régularité fort à propos entre nos différents héros, qui se chargent de répartir les tâches afin de contrer le vil Dr Nefarious, qui fait pourtant pâle figure à côté de son équivalent inter-dimensionnel. Les aventuriers vont ainsi jongler entre Ratchet et Rivet, alternant de planète en planète dans un ballet cosmique au rythme maîtrisé, pour ne pas dire calibré : chaque nouvel environnement, chaque nouvelle mission peut ainsi se boucler en l'espace d'une heure, et le découpage de l'action exprimé en pourcentage sur le menu de la PS5 permet de ne jamais s'engouffrer dans un nouveau tunnel alors qu'il est grand temps d'aller se coucher. Et pour ne fâcher personne, les nombreux items et autres améliorations d'armes et équipements bonus seront toujours partagés. Las de trouver une justification scénaristique à ce régime de la communautés de biens, les développeurs ont choisit de ne pas se prendre la tête, et c'est tant mieux : nous sommes ici dans un jeu vidéo, que diable !

Plus encore que par le passé, ce nouvel épisode de Ratchet & Clank profite d'une action effrénée qui pousse à ne jamais vouloir reposer la manette. Pourtant, la formule n'a pas forcément fait l'objet d'une révolution : malgré le quinquennat qui nous sépare du remake éponyme, Insomniac reste fidèle à l'ADN de la série, qui voit se succéder des séquences d'action, de plate-forme et d'exploration plus poussée. L'arrivée de la série sur PS5 permet avant tout d'ouvrir le terrain de jeu, et la présence des bottes de glisse diminue le temps de trajet autant qu'il pousse au crime, et offre une bonne raison de s'attaquer aux quelques quêtes secondaires qui parsèment chaque environnement. Dommage que la multiplicité des prises en mains induite par les très nombreuses phases de gameplay ne soient pas toutes au même niveau, et s'emmêlent parfois les pinceaux. Dans un monde idéal, Insomniac aurait sans doute pris le temps d'harmoniser tout ça, et ils auraient eu bien raison.

Théâtre des variétés

Inutile d'y aller par quatre chemins : Ratchet & Clank Rift Apart est beau comme un camion. Mais pas n'importe quel camion, hein : celui-ci sort rutilant du lave-auto, et c'est avec une couche de vernis encore tiède qu'il se présente à nous. Si nous éviterons de cocher la case de la comparaison avec un célèbre studio d'animation de la côte Ouest, toujours est-il que le moteur graphique fait des merveilles, et éblouit grâce à sa modélisation que l'on pourra admirer sous toutes les coutures dans la galerie de personnages. Toujours dans la technique, la gestion de la lumière et des couleurs qui profite de la variété de planètes offertes pour varier les plaisirs et les gammes chromatiques, le tout sans le moindre chargement. La mécanique de la faille dimensionnelle martelée par tous les chargés de communication de la Toile est plaisante, offre même des options de fuite lorsque les combats gagnent en intensité, mais difficile d'y voir plus qu'une trouvaille : loin de la révolution annoncée, le chargement ultra-rapide permet surtout de changer de décor en un claquement de doigts. La mécanique est plaisante, bien pratique en combat, mais on se demande au final pourquoi l'éditeur aura à ce point insisté sur une simple featurette qui ne transforme en rien le game design, alors que le jeu profite de bien d'autres qualités à mettre en avant.

         
    Mode Graphisme ou mode Performance ?    
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Vous serez nombreux, et c'est légitime, à nous demander un comparatif entre les modes Graphisme privilégiant un affichage 4K; et Performance aux 60 fps flatteuses. Heureusement pur vous, un patch est arrivé juste avant la sortie du test pour enfin profiter du jeu dans ses trois modes proposés au lancement. Étonnamment, les 30 fps du mode Performance ne nuisent que très peu à a fluidité de l'action, et nous conseillerons à tous les aventuriers de l'espace de faire un petit comparatif, tant la plastique avantageuse du titre exploite de fort belle manière une résolution en 4K. Si le mode Performance semble offrir le meilleur compromis, la présence d'une alternative avec Ray-Tracing, déjà offerte dans Marvel's Spider-Man Miles Morales, permettra de profiter des innombrables textures détaillées de l'aventure, au prix de quelques sacrifices, notamment dans les environnements trop peuplés. Mais au vu du rythme effréné qui donne rarement l'occasion de souffler, s'en plaindra-t-on vraiment ?

   

Le jeu profite des taux bas pour emprunter comme un cochon spatial à l'univers de Star Wars : des plans larges sur l'écosystème aux transitions en volets so George Lucas en passant par la scène du Sarlacc Pit, Insomniac s'en est donné à coeur joie. Parmi les emprunts réussis, impossible de ne pas en placer une pour la bande-son orchestrale grandiose de Mark Mothersbaugh, qui s'en donne à coeur joie. Pourrait-on dire que le septuagénaire signe ici sa meilleure oeuvre vidéoludique ? Très certainement. Chaque environnement profite d'une réelle identité visuelle et sonore, qui ne s'accorde malheureusement pas toujours avec une lisibilité sans faille, surtout lorsque l'action s'emballe, et qu'il faut jongler entre un armement de plus en plus pléthorique : les déplacements qui peuvent s'effectuer de bien des manières, et les tirs ennemis qui fusent de toutes parts, il faudra parfois savoir piffer au bon moment pour sauver sa peau.

Cassius Clay à molette

Rift Apart reste évidemment très accessible en multipliant les checkpoints, et il faudra aller piocher dans les modes de difficulté supérieurs pour profiter à fond des nombreuses améliorations d'armes payées rubis sur l'ongle. Rétrogradée du statut de boss à celui de simple vendeuse, Mme Zurkon proposera au fur et à mesure de la progression un choix de pétoires à faire pâlir notre cher Camille : entre les grenades aux effets multiples, le tir du Ricochet, les propriétés végétales de l'Arroseur Topiaire ou le canon jouissif du Collisionneur de Négatrons, il y en aura pour tous les goûts, même si le combat au corps-à-corps permet parfois de casser la tactique de certains ennemis, et tant pis pour la finesse. À force d'en faire usage, vos armes grimpent en niveau et élargissent leur arbre de compétences, un principe classique mais efficace puisqu'il faudra parfois encercler certaines fonctionnalités bonus pour les débloquer... ce qui aurait nécessité certains choix si le Raritarium ne se ramassait pas par palettes entières. Le joueur un minimum consciencieux finira donc armé jusqu'aux crocs, prêt pour le carnage exponentiel des dernières missions.

Entre deux coups de clef à molette, ceux qui aspirent à un peu de calme pourront toujours aller piocher du côté des objectifs secondaires (qui en dehors de l'abominable maniement de Trudi s'avèrent relativement sympathiques), mais ce sont surtout les phases en compagnie de Clank ou Kit qui changent véritablement la donne : prenant la forme de puzzles inspirés de Lemmings, elles nécessitent de faire bon usage de sphères élémentaires pour conduire une cohorte de robots spectraux vers leur destination finale. Si l'idée est bonne, on se demande rapidement pourquoi leur maniement se borne à tout gérer avec la seule gâchette R2, et l'on ne peut s'empêcher d'imaginer que les mêmes esprits dérangés se cachent derrière cet étonnant choix.

La veille des sens

La différence est d'autant plus flagrante que Ratchet et Rivet se manient rapidement avec beaucoup de dextérité, et une fois digérée la gestion des sauts doubles ou planés, l'exploration devient très agréable, et permet même de trouver en plein combat de nouvelles applications. Mais malgré cette souplesse, Rift Apart ne parvient pas à se défaire des quelques boulets que la série se traîne depuis ses débuts sur PS2, à commencer par des collisions ô combien hasardeuses, qui mettent parfois la raison à terre. En plus de rebondir sur des textures invisibles et de ne pas s'en cacher, nos héros devront composer avec une physique parfois flottante, des passages que l'on pourra forcer comme un sagouin à grands coups d'éjections, sans parler des morts stupides générées par un saut "dans le vide" alors que le décor est pourtant matérialisé sous nos yeux. Les développeurs n'avaient simplement pas prévu de vous faire passer par là... Et il ne faudrait pas oublier les quelques recharges de sauvegardes indispensables pour se sortir de situations paralysantes, ou les scripts qui ne se déclencheront jamais, et nous aurons obligé à aller massacrer à la source les troupes ennemies incapables de franchir un obstacle. Qu'on se le dise : les speedrunners vont s'éclater à passer d'un trou de gruyère à l'autre.

C'est d'autant plus étonnant que l'aventure entre deux dimensions se veut en même temps être la vitrine technologique de la console, et ce jusqu'au bout des doigts : Insomniac nous avait prévenu, nous allions sentir ce que nous allions sentir, et sur ce plan, la promesse est assurément tenue... Un peu trop ? Sans doute. Si l'on profitera des différentes textures des sols largement inspirées par Astro's Playroom ou des armes à double détente grâce aux gâchettes à retour de force qui offrent une plus grande variété tactique, fallait-il pour autant faire usage des retours haptiques pour chaque input dans les menus ? Ou profiter du haut-parleur de la DualSense pour le moindre boulon récolté ? La réponse est évidemment non, trois fois non, et il fallait bien que quelqu'un essuie les plâtres et pousse le bouchon un peu trop loin : ce rôle revient donc aux petits gars de Burbank, qui saturent parfois le joueur d'informations, et contribuent à vider à vitesse grand V la batterie de cette pauvre manette, qui peine à tenir la distance lorsque tous les curseurs sont poussés au maximum... Heureusement, les plus soucieux de l'environnement pourront ajuster dans les options le niveau de vibrations souhaité, et revenir à un niveau raisonnable de sollicitations sonores.

Les yeux Rivet sur l'écran

Pourtant, on pardonnera bien des errances et autres clous qui dépassent à Ratchet & Clank Rift Apart, tant l'aventure parvient à nous happer avec brio dans son tourbillon d'action et de couleurs menée tambour battant, le tout porté par une écriture à la fois drôle et parfois profonde, qui réussit à multiplier les clins d'oeil aux vieux briscards sans jamais perdre en route ceux qui découvriraient la série avec ce nouvel opus. La formule est connue, désormais bien huilée, et pourtant : la magie opère, et c'est avec un petit pincement au coeur que l'on quitte Rivet & Co (dans cet ordre, deal with it), en espérant qu'il ne faille pas attendre un interminable quinquennat supplémentaire pour trouver une nouvelle bonne raison de sauver l'univers tout entier, tant la recette continue inlassablement de fonctionner, presque deux décennies plus tard. Finalement, Angel avait raison de citer Julo : "Ratchet & Clank fait partie de ces séries insolentes, qui nous pondent des épisodes toujours identiques dans leur formule, mais dont le charme opère toujours très vite, une fois la manette entre les mains." CQFD !

         
    Le retour du Collect-a-thon ?    
    Les hard looters sont là

 

Entre les dizaines de milliers de boulons à cumuler, les munitions à récupérer, les dimensions de poche à ouvrir, il y avait déjà de quoi faire. Ce n'était visiblement pas assez pour Insomniac, qui a choisit d'émuler l'exhaustivité d'un Masahiro Sakurai des grands jours : entre les boulons dorés qui offrent tous une option cosmétique ou un menu bonus supplémentaire, les robots espions qui déblatèrent sur l'environnement local ou les mystérieux enregistrements sphériques qui demanderont de relier entre eux les points, il y a décidément BEAUCOUP d'items à récolter dans Rift Apart, et les complétistes pourront gonfler la durée de vie respectable de quelques heures supplémentaires.