Déjà repéré par deux fois pour les remarqués Coma et Skinny, Thomas Brush fait désormais partie de la scène indé bien en place. Pour son premier jeu commercialisé, il s'est astreint à tout faire lui-même, si l'on met de côté son Kickstarter réussi à 100.000$. Cinq ans plus tard, voici donc le fruit d'un travail acharné : Pinstripe, une aventure qui avait fait tourner la tête des critiques lors de sa première présentation en 2015. Mais que se cache-t-il vraiment derrière cette esthétique enchanteresse ? Nous allons vite le découvrir.
Quoi qu'on en pense, c'est toujours une prouesse hors du commun de parvenir à accoucher seul d'une oeuvre nécessitant tant de connaissances dans des domaines si différents. Tout comme Fez en son temps, Pinstripe incarne la vision et le reflet très personnels de son créateur... Avec ses forces, mais également ses faiblesses. On imagine aisément Thomas Brush peaufiner son oeuvre dans les moindres détails, tentant de capitaliser sur le succès critique de ses précédents efforts, mais tombant comme tant d'autres dans le piège du vase clos. En effet, comment conserver un regard critique sur son travail lorsque l'on donne cinq ans de sa vie ? C'est la difficile équation qu'il va lui falloir résoudre.
Trains set and match spied
Démarrant brièvement son intrigue à travers les wagons d'un train lancé à pleine allure (celui qui vient de hurler "Final Fantasy XV" peut prendre la porte, merci), Pinstripe nous met dans la peau de Ted, un pasteur qui accompagne sa petite fille Bo vers une destination inconnue. Très vite, l'escapade ferroviaire tourne mal, alors qu'un mystérieux homme en noir aux tendances psychopathes affirmées se monte très intéressé par la fillette. Malgré les efforts du pauvre Teddy, ce vilain Mr Pinstripe va obtenir gain de cause et propulser le père dans un univers fantastique, où ce dernier n'aura de cesse de secourir la chair de sa chair. Mais en marchant quelques mètres, on ne peut qu'être frappé par la présence dans le décor d'un train en flammes copieusement amoché. Car cette contrée qu'il va falloir arpenter n'est rien d'autre que le chemin qui précède la mort. Le décor est planté.
T'as de Bo yeux, tu sais
Ce qui frappe immédiatement, c'est évidemment la justesse de la direction artistique. De bout en bout, Pinstripe n'est qu'enchantement : à travers ses quatre contrées (pour autant d'heures de jeu), Thomas Brush nous embarque pour un voyage visuellement remarquable, et qui s'accorde avec brio avec de sublimes musiques toutes en retenue. Mais ne l'oublions pas trop vite : ce périple qui attend Ted le pasteur n'est autre que sa descente aux enfers (ou montée au paradis, à vous de voir). Et si des premiers panoramas se dégage une douce mélancolie faite de forêts enneigées et de chalets douillets, Pinstripe saura illustrer cette spirale infernale en évoluant vers de sombres et angoissantes grottes et finalement évoquer à travers ses derniers tableaux une ambiance d'apocalypse tourmentée. De ce côté, le travail de Thomas Brush est remarquable et ne souffre d'aucun temps mort.
Cette justesse s'appliquera tout aussi bien au jeu d'acteurs : chaque personnage est criant de justesse, ce qui donne vraiment envie, pour une fois, d'aller tailler une bavette avec tous les inquiétants protagonistes qui peuplent ce monde onirique. Chaque rencontre sera généralement l'occasion de profiter d'une écriture pleine de sarcasme et de subtilité, sachant que la localisation française se montre fièrement à la hauteur du texte original, un très bon point. Il vous sera également demandé d'orienter les réponses du padre loco, et si les choix se résument trop souvent à incarner d'une manière bien manichéenne le type sympa ou le salaud zélé, sachez qu'ils contribueront à orienter la fin de l'aventure. Vous l'avez deviné, Pinstripe propose donc plusieurs fins, mais encore faudrait-il y parvenir pour en profiter...
Eat my shorts !
Car pour chaque merveilleuse trouvaille visuelle ou sonore, le jeu de Thomas Brush se sent obligé de compenser par un gameplay plus que bancal. Ne parvenant jamais à allier la beauté de son discours avec ses mécaniques, l'aventure se transforme bien vite en aller-retours soporifiques, ponctués de phases de plate-formes crispantes. Non pas que Pinstripe soit difficile, loin s'en faut. Mais la rigidité du personnage couplée à une palette de sauts aussi restreints qu'approximatifs transforme rapidement l'expérience en véritable calvaire. Un vrai souci lorsque la plupart des actions consistent justement à atteindre ces nombreuses plate-formes, d'autant plus qu'elles souffrent régulièrement d'un véritable déficit de lisibilité.
La seule arme disponible lors du premier run (un lance-pierre, et c'est tout) ne permettra pas non plus de faire briller les quelques affrontements avec les trois types d'ennemis présents. Simplistes quand ils ne virent pas au carrément relou, les combats n'apportent quasiment rien à l'expérience de jeu. Imaginez lorsqu'il faut en plus faire preuve de grâce en se déplaçant tout en jouant les Denis la Malice du dimanche, et vous aurez une certaine idée de l'enfer, le vrai cette fois.
Bienvenue à Gattacaca
Et encore, c'était sans compter sur les puzzles de Pinstripe ! Dernier tiers de ce cocktail frelaté de gameplay, ils provoqueront l'étonnement dans la mesure où c'est l'incohérence la plus totale qui domine. Désordonnés, redondants et souvent prétextes à une collecte d'items de plus, les énigmes auraient pu sauver le Titanic du naufrage, mais il n'en est rien. Heureusement, il faudra parfois se creuser la tête pour trouver certaines combinaisons en tenant compte des quelques items stockés dans l'inventaire : dans ces moments-là, Pinstripe ressemblerait presque à un jeu vidéo digne de ce nom.
Les objets tout juste mentionnés permettent également de densifier quelque peu la narration en laissant le joueur recoller certains morceaux et découvrir l'horrible vérité. Il est d'autant plus incompréhensible que cohabite alors avec cette subtile manière de raconter une belle histoire une obsession scatophile complètement hors de propos. Okay, au bout de la deuxième blague récurrente sur les étrons géants qui jonchent le sol, on avait eu notre dose. C'était sans compter sur les bruits de pets récurrents dès lors que l'on saute sur un champignon... A moins que ce ne soit pour rappeler à ceux qui l'ignorait qu'un cadavre est encore capable d'expulser plusieurs types de gaz, difficile de justifier ce parti-pris.