Après un duo d'escapades portables, Paper Mario revient s'étaler de tout son long sur grand écran, son support de prédilection, pour la première fois en haute définition. L'occasion idéale de se rénover avec un bon coup de peinture fraîche, mais cette couche bigarrée se révèle-t-elle suffisamment épaisse ?
Paper Mario avait été l'une des premières oeuvres à exploiter un matériau, d'abord pour son rendu graphique, puis pour ses propriétés physiques. Avec ce surcroît de résolution, la saga d'Intelligent Sytems peut enfin afficher distinctement son grain singulier, le studio laissant ainsi s'affirmer sa fibre artistique. Certaines productions s'appuient sur des textures détaillées pour construire des décors à l'aspect réaliste, tandis que d'autres vont sans cesse plus loin dans l'abstraction. Color Splash mélange ces deux approches, à grand renfort de découpage, pliage, collage, et d'ombres portées, le tout copieusement arrosé de peinture. Cet opus parvient même à reléguer les fioritures ostentatoirement technologiques au second plan, les protagonistes finement dessinés en 2D se glissant harmonieusement parmi ces faux aplats polygonaux. Résultat, un univers ni cartoon, ni carton, intemporel et unique, qui évoque pourtant immédiatement le ton des pérégrinations du plombier moustachu. Et si l'on pense beaucoup aux paysages bariolés de l'île Delfino de Sunshine, l'arrivée à Port-Barbouille rappelle avant tout celle à Port-Lacanaïe dans la Porte Millénaire au vu de taches blanches assez inquiétantes...
La peur de la page blanche
Telle une vague d'eau de javel, une armée de Mas'pailles vient de déferler, ou plutôt d'aspirer les couleurs des lieux, ainsi que de ses habitants. Mario doit donc raviver tout ce beau monde qui a fatalement le moral un peu à plat, avec son marteau en guise de pinceau et son nouvel acolyte Peinturion, un coup de pot... de peinture ! Ce personnage au caractère bien trempé joue rôle de guide, sensiblement plus drôle et interventionniste que la collante Collette dans le précédent épisode. Une aide précieuse pour avancer en sus des rumeurs colportées au village, car le scénario ne s'encombre point d'une quelconque cohérence. Au contraire, son déroulement multiplie les péripéties plus décalées les unes que les autres, la mise en scène souvent spectaculaire et désopilante de ces truculents coups de théâtre masquant la linéarité de la trame de fond. Idem pour la structure de cet archipel, toujours constitué de chemins qui se tracent s'entrecroisent à mesure que l'on décroche des étoiles. Le sentiment de liberté quant au choix de la marche à suivre s'apparente à une sorte d'impressionnisme en trompe l'oeil, puisque l'ordre des étapes s'avère quasiment inflexible, sans occupations annexes ou presque.
Une palette de pouvoirs élargie
Ce balisage du parcours se reflète littéralement dans les pouvoirs, à commencer par le découpage des sections rectilignes repérées en arrière plan pour téléporter Mario vers cette dimension parallèle, et ainsi atteindre des zones autrement inaccessibles. Le dépliage de divers éléments s'inscrit dans une démarche similaire, quoiqu'il demande un peu plus de dextérité question plateforme. Or faute de réaliser ces figures imposées quelquefois guère évidentes, impossible d'aller plus loin et d'éclaircir le mystère dissimulé derrière ces sombres dess(e)ins, ce qui s'applique également aux fameux objets "trucs". Leur nature se montre encore plus variée qu'auparavant, entre le banal extincteur et la farfelue tirelire cochon. Et de par leur cadre d'utilisation légèrement moins restreint, s'en servir à bon escient demande de l'inventivité - enfin juste une goutte en comparaison des torrents d'imagination mis en oeuvre pour représenter ces séquences. Exit la "papierisation", il s'agit cette fois d'essorer ces bidules afin d'en extraire la peinture et surtout de les transformer en cartes (trucs en l'occurrence). Sous l'influence probable de Paper Jam, les cartes remplacent d'ailleurs les stickers pour l'ensemble des actions lors des combats, même les plus basiques !
Batailles à la carte
Fidèles aux habitudes, les ennemis demeurent visibles pendant les phases de déplacements de façon à les éviter ou les assaillir par surprise. De même, le timing des différents patterns conserve une incidence prépondérante en défense ou en attaque, combos à l'appui. Seulement Color Splash donne désormais l'opportunité de peinturlurer plus ou moins les cartes, ce qui augmente proportionnellement leur impact, et ajoute par conséquent une couche substantielle de stratégie. Gare néanmoins à ne pas tergiverser trop longuement, auquel cas les adversaires en profitent pour chiper des cartes. Une tâche pas forcément aisée quand on farfouille dans son paquet sur l'écran tactile, et ce en dépit de l'option de tri automatique, pratique pour ne pas dire cruciale lorsque Kamek vient brouiller les cartes. Il faut en outre veiller à garder suffisamment de cartes en stock, celles-ci étant à leur tour jetées après usage, y compris certaines carrément requises pour aplatir les Boss. Compte tenu de ces manipulations supplémentaires, le gameplay des affrontements gagne en épaisseur, mais hélas aussi en lourdeur, particulièrement pesante dès qu'ils s'enchaînent.
RPG en demi-teinte
D'autant que l'on doit constamment gérer la réserve la réserve de peinture, divisée entre les trois coloris primaires. Le recours plus ou moins important à l'un d'eux selon l'environnement ou la carte à teindre ne pose pas vraiment de problème, toutefois cette double fonction en fait logiquement la matière première de Color Splash. Dans l'absolu, la peinture se substitue à des points de magie, comme le souligne l'extension de la jauge par paliers grâce aux marteaux amassés à l'issue des joutes, autorisant du coup le leveling. En revanche, le nombre de points de vie, d'actions par tour et la force de frappe restent soumis à la progression de la quête. D'aucuns y verront un retour (trop) timide aux principes traditionnels du RPG, lentement mais sûrement effacés au fil de la série, d'autres une savante rénovation de la formule, quoique son équilibre suscite des interrogations. Une chose est sûre, ce Paper Mario persiste à privilégier l'accessibilité, au point de se barder de garde-fous, à l'image de la reconversion de la roulette payante dans l'hypothèse où l'on manque de cartes - fussent-elles généreusement distribuées - et des montagnes de pièces récoltées au cours des tournois de "pierre-feuille-ciseaux".
Mario Paper Story
Ces évènements joyeusement absurdes, n'en déplaise à Alex Kidd, témoignent des sacrifices effectués dans cette optique axée sur l'aventure, quitte à rendre le challenge artificiel. En l'absence de seconds couteaux reconnaissables au sein de la population de Toads (bien que nombre d'entre eux se consacrent au sauvetage), Mario est encore privé de véritables compagnons d'armes, et les sbires sympathisants d'autrefois se retrouvent ici encartés. Ces recrues éphémères ont des capacités fort salutaires, voire dévastatrices, cependant la rareté de ces cartes les cantonne à une vocation de collectionnite somme toute très anecdotique. Repeindre l'intégralité des niveaux se révèle nettement plus motivant avec les morceaux de la bande son en récompense, tant ces musiques sont soigneusement composées, et orchestrées. Pareil pour les stages qui forment chacun leur petit bout d'histoire, confectionné comme un origami. Et si Color Spash prend son temps pour se raconter, c'est parce qu'il ne se veut pas uniquement l'un des héritiers de Super Mario RPG, mais davantage celui de Mario Story, l'appellation nippone originelle de Paper Mario. Au delà de sentir la peinture fraîche, il respire donc indubitablement le travail bien fait.