C'était il y a un an, déjà : au sein d'une cabine de panneaux agglomérés offrant une brève oasis de quiétude au beau milieu d'un certain salon allemand, votre serviteur découvrait avec des étoiles dans les yeux Night Call, une enquête pas comme les autres à bord d'un taxi parisien. Une rotation solaire plus tard, le jeu de Black Muffin et MonkeyMoon daigne enfin nous accueillir sur sa banquette arrière...
Si vous aviez perdu l'habitude de héler un de ces chauffeurs à l'ancienne, au volant de sa monture reconnaissable à sa crête blanche, Night Call va faire office de séance de rattrapage : alors que les VTC et autres Uber de tous poils se disputent le marché du piéton à écraser, l'aventure vous place aux commandes d'un tacos à l'ancienne, offrant une fenêtre hétéroclite sur la faune qui arpente les rues de la Ville Lumière à la nuit tombée.
La taxi en maraude
L'introduction de Night Call n'est guère des plus réjouissantes : alors que votre avatar soulève difficilement ses paupières, un son aussi régulier que caractéristique vous ramène bien vite à la dure réalité : juché sur un lit d'hôpital, vous voici auréolé d'un nouveau statut presque enviable, puisque vous voici désormais le seul et unique rescapé d'un tueur en série oeuvrant dans les rues de Paris. Si le commissaire Bialès nous rappelait qu'il convient de laisser la police faire son travail, c'est pourtant sur vous que la maison Poulaga va jeter son dévolu, par l'intermédiaire d'une barbouze tout droit sortie d'un film noir.
Très vite, Night Call plante le décor, son décor, celui d'une France post-attentats repliée sur elle-même et cédant aux sirènes de la caricature. Alors que le chauffeur que vous allez incarner chercher à se faire oublier à la suite d'une peine de prison, le commissaire Busset va venir appuyer là où ça fait mal pour vous forcer à traquer le tueur en cavale sans pour autant lever vos fesses. Ainsi, avant d'accuser notre cher Trazom d'avoir mis enfin son plan à exécution, il vous faudra profiter de vos maraudes nocturnes pour récolter le plus d'indices possibles sur ce meurtrier dont tout le monde parle en ville. Même si vous n'êtes pas du genre bavard.
Rive gauche
L'enquête parisienne vous mènera ainsi aux quatre coins de cette si petite capitale afin de conduire les oiseaux de nuit d'un point A à un point B tout en tentant de récolter le plus d'informations possibles. Plusieurs profils s'affichent sur une carte de Paris, et c'est donc à la tête du client que vous partirez plein gaz à la recherche de la vérité. Une fois plus ou moins vautrés sur la banquette arrière, vos passagers trouveront toujours le moyen d'engager la conversation, bien que toutes les discussions ne se révèlent pas forcément fructueuses. Vacuité de la télévision, exclusion sociale, racisme opportuniste, conflits de classe, mariages forcés, soirées alcoolisées : les sujets d'actualité abordés dans le secret de ce confessionnal roulant sont nombreux, et font souvent mouche.
C'est d'ailleurs là que réside la plus grande force de Night Call : en multipliant les thématiques à travers des personnages aussi variés et/ou improbables qu'un sosie d'Eric Brunet, un avocat accablé, un paysan devenu la risée d'Internet, un chat surpuissant ou (la première dans mon coeur) une aristocrate du XVIème et son syndrome de Gilles de la Tourette, tout le monde y passe, et y va de son regard personnel sur cette société où tout semble aller de travers. Si toutes les aventures narratives se caractérisent évidemment par une avalanche de textes, Night Call tire très clairement son épingle du jeu en jouant la carte du parti-pris ancré dans son époque. Quel dommage que les décors copiés/collés aux accents haussmanniens ne fassent pas preuve de plus de variété, car au vu de la variété des destinations atteintes, il eut été de bon ton de coller aux différents quartiers. Les quelques phases de collecte d'indices sur des lieux pré-déterminés se limitent d'ailleurs à de brefs échanges sur fond d'image fixe, là où l'on aurait espéré un peu plus d'interaction.
Le coup de la panne
Mais là où le bât blesse véritablement, c'est lorsque l'on rentre péniblement dans son studio forcément microscopique alors que les premiers rayons du soleil frappent à la fenêtre. Avant de s'affaler pour profiter d'un sommeil diurne et peu réparateur, votre chauffeur devra dérouler les preuves récoltées dans la journée, histoire de faire le tri parmi les différents suspects potentiels. Et si l'on espérait évidemment participer activement à cette traque, il n'en est malheureusement rien : la partie enquête se résume à examiner en quelques secondes les dossiers disposés ça et là, pour ensuite voir les pistes affichées sur un bête tableau de conspirationniste. Impossible de tenter de relier seul des éléments entre eux : c'est le jeu qui décidera seul en selle de ce qui est pertinent du reste. Ainsi, au moment de tenter l'arrestation tant attendue, le sentiment d'accomplissement n'est pas celui que l'on attendait, et donne la sensation d'avoir été plus spectateur que véritable acteur de cette immersion nocturne.
Dommage, tant la promesse était belle. Avec trois affaires différentes, Night Call pourra vous occuper un peu plus qu'une soirée, mais la répétitivité de son introduction dévoile un peu trop les ficelles pour ne pas faire retomber la mayonnaise. Heureusement, on pourra se consoler en écoutant encore et encore la bande-son, inspirée et éclectique, qui s'amuse à dépeindre chaque passager à grands coups de clichés instrumentaux. De l'électro posée pour un DJ quittant ses platines à l'incontournable accordéon des titis parisiens, tout y passe, et tout fonctionne. Volontairement répétitives, les compositions de Corentin Brasart installent une atmosphère sans pour autant être trop intrusives, un juste équilibre qui fonctionne bien, et contribue très largement à installer une délicieuse ambiance nocturne au sein de cet habitacle. La multiplicité des points de vue sur certaines répliques permet d'ailleurs de renforcer sans forcer ce sentiment de solitude assez plaisant, il faut bien l'avouer.