En 2010, Level-5 s'associait aux non moins prestigieux Studios Ghibli pour donner vie à un J-RPG qui donnait l'impression de déambuler dans une production sortie du cerveau créatif d'Hayao Miyazaki. Pas loin d'une décennie plus tard, le développeur japonais remet le couvert, mais sans l'appui des spécialistes de l'animation.
L'exercice n'avait rien d'évident : quelles que soient les prouesses techniques dont sont aujourd'hui capables les plate-formes actuelles, il fallait passer le ravissement graphique de Ni no Kuni premier du nom, qui avait particulièrement marqué nos rétines lors de son adaptation sur PlayStation 3 en 2011. Mais si Ghibli profite du retour d'un Hayao Miyazaki sorti de sa retraite prématurée, Level-5 aura pris le temps de s'adjoindre les services de Yoshiyuki Momose, roi de l'animation sur l'archipel, et de Joe Hisaishi, compositeur émérite que nous n'aurons pas l'outrecuidance de présenter. Ce mini-mercato suffira-t-il à inspirer toute une équipe pour accoucher d'une suite au mois aussi inspirée que l'original ? Il semblerait bien que oui...
The Trump Card
Le J-RPG peut remercier l'un de ses premiers représentants : grâce à Hironobu Sakaguchi et sa volonté de boucler l'histoire de Final Fantasy sans espoir de développer un jour une quelconque suite, le genre permet de prendre en route à peu près n'importe quelle série, que ce soit au second ou au quinzième épisode. Il ne sera donc une nouvelle fois pas utile d'avoir connaissance des aventures temporelles d'Oliver entre Motorville et le Second Monde pour apprécier les aventures du jeune roi Evan, affublé d'oreilles de chat et accessoirement victime d'un coup d'état. Sale journée. Mais avant de découvrir le monde féerique et coloré de Ni no Kuni II, Level-5 opère une nouvelle fois un détour par le présent sorti d'à peu près nulle part, puisque le jeu s'ouvre tout simplement sur une séquence ou le président des États-Unis (pas le vrai hein) voit depuis la fenêtre fumée de sa limousine un missile longer un pont pour venir exploser en plein coeur de ce qui ressemble fort à Manhattan. Dont acte.
Par un twist assez WTF, le bougre se retrouve téléporté et accessoirement rajeuni dans le royaume de Ding Dong Dell (ou Carabas en VF), où le jeune roi Evan se voit obligé de fuir le trône qui lui était pourtant promis. En bon politicard, l'ex-maître du monde libre Roland se recycle ni une ni deux en conseilleur du prince déchu pour l'aider à relever la tête. Evan et Roland partiront ainsi bras dessus, bras dessous en quête d'un territoire vierge pour y ériger leur nouveau royaume, celui qui unira tous les autres et mettra fin à la Guerre, avec un grand G. Mais à l'instar de Rome, rien ne se fera en un jour, et le duo de départ rencontrera bien entendu tout au long de son périple un sacré paquet de personnages hauts en couleurs. Mais pas trop quand même, puisque "l'effet Disney" qui fait de ce monde un gloubiboulga de bons sentiments et de repentance ne s'estompe finalement jamais : tous les politicards véreux que vous croiserez sur votre route ne sont finalement que des pantins dont l'esprit à été perverti par Kundal, le grand méchant au rire machiavélique que vous n'aurez de cesse de poursuivre, à l'instar d'un certain Dhoulmagus il y a longtemps...
J'y pense et puis Ghibli
Que l'on soit ou non fan du genre, Ni no Kuni II frappe d'abord par sa direction artistique de haut vol. S'adjoindre les services de quelques ex-Ghibli aura été plus que payant pour Level-5 : en un mot comme en cent, le jeu est un ravissement qui donne une fois de plus l'impression de déambuler dans ce que l'animation japonaise à de mieux à nous offrir. Coloré, fluide et sans cesse renouvelé, le monde d'Evan profite en plus d'un character design précis, inspiré, et qui ne se contente pas de faire fonctionner à plein régime une photocopieuse de polygones. Chaque contrée, chaque ville possède une atmosphère marquée, singulière et cohérente qui offre un splendide supplément d'âme à une production qui n'en manquait déjà pas. Gamblor, l'une des premières cités visitées annonce très rapidement la couleur : dans cette ville d'inspiration taïwanaise où la chance décide de tout, les splendides décors asiatiques s'accompagnent d'une symbolique du dé omniprésente. Ah, et des gammes pentatoniques aussi, mais nous y reviendrons.
Malheureusement, cette partition bien engagée n'échappe pas à la fausse note : si l'on pourrait très facilement passer outre quelques backgrounds un peu flou et basiques, l'affichage en mode world map relève carrément de la faute de goût. Si Level-5 nous avait offert un Dragon Quest VIII visuellement cohérent et chatoyant de bout en bout, Ni no Kuni II perd de sa superbe dès lors qu'il s'agit de relier une ville à une autre : exit les personnages détaillés au sein de superbes environnements, place à une troupe SD déambulant sur une planète terne et trop réaliste en comparaison du reste. De plus, les combats qui s'opéraient jusqu'alors sans aucune transition se déroulent dorénavant dans des arènes accompagnées de leurs temps de chargement avant et après la joute. Le choc est rude, bien qu'il s'explique par l'un des ajouts spécifiques de cette suite. La fonction de téléportation permettra certes de rapidement se passer de cet assassinat en règle, mais le mal est fait.
Les mousquetaires de la confrontation
Mais avant de pouvoir se déplacer en un claquement de doigt où bon vous semble, il va falloir sortir victorieux des nombreux combats toujours visibles à l'écran, et c'est tant mieux. Original, le système de Ni no Kuni donnait quand même l'impression d'être installé le postérieur entre deux sièges : oubliez le drôle de choix entre personnage et familiers, vous contrôlez dorénavant l'un des trois membres de votre équipe, un point c'est tout. Et il ne faudra surtout pas chômer, dans la mesure où vos co-équipiers ne semblent vraiment pas dotés d'un instinct de survie viscéral. Ce sera donc à vous de trouver le bon tempo entre attaque lourde, légère, à distance, et l'indispensable esquive. Vos trois armes de poing permettent de varier les coups et les éléments associés, mais également de déclencher des super-attaques élémentaires dévastatrices.
Mais pour cela, il faudra charger chacune d'entre elle en assénant un nombre de coups suffisants aux ennemis vous faisant face. Que vous optiez ou non pour la visée automatique, l'action reste toujours aussi fluide que lisible, et au vu du nombre de paramètres à prendre en compte, c'est tant mieux. Car en plus de switcher en permanence d'une arme et d'un ennemi à l'autre, il faudra également gérer vos "Moussquetaires", des troupes de familiers tous droits sortis de la forêt de Mononoke Hime. Au nombre de quatre (logique pour des "Moussquetaires"), ces groupes de créatures prépareront en effet des attaques surprenantes ou des zones de soutien qu'il faudra déclencher en validant l'action. Décisive lors des combats de boss, leur présence couronne un système de combat riche et suffisamment prenant pour ne pas lasser. Dommage que vos deux acolytes y mettent tant de mauvaise volonté, et que le système de l'Égalisateur (qui vous permet d'être plus efficace contre certains types de monstres moyennant une faiblesse face à d'autres) ne vous soit pas particulièrement expliqué, car il sera du coup facile de passer complètement à côté.
107 guerriers, et plus si affinités
Pour justifier son sous-titre "L'Avènement d'un Nouveau Royaume", Ni no Kuni II ne se contente pas de dérouler l'habituel diptyque exploration/combat, et emprunte à la série Suikoden un mode gestion qui s'intègre parfaitement au reste du jeu. Les quelques années de développement auront été salutaires pour Level-5, puisque l'ajout du mode Royaume apporte un indéniable plus à une aventure déjà bien riche. Après quelques petites heures de jeu, Evan décide donc d'installer son nouveau domaine (qui change d'ailleurs de nom dans chaque langue, tout comme les patronymes de certains personnages...) et bascule dès lors dans une autre dimension. En posant son royal postérieur sur le trône, le joueur devient le planificateur d'Espérance, et devra dès lors décider des investissements à prioriser, mais également des citoyens à faire venir à lui.
Le terrain vague entourant votre modeste château de départ accueillera contre quelques centaines de pièces une armurerie, un laboratoire de magie et autres marchés aux poissons nécessaires à tout bon royaume qui se respecte. Chaque bâtiment ne fonctionnera bien entendu pas seul, et il vous faudra revenir sur vos pas pour rallier à votre cause les quidams précédemment croisés. Et cet intensif recrutement qui s'ouvre alors à vous illustre une des autres forces de Ni no Kuni II : sa propension à ne pas gaspiller. Que ce soit pour dénicher un expert en jardinage pour entretenir le potager du prince ou trouver le meilleur des cuistots pour pondre l'item qui vous permettra de progresser dans la trame scénaristique, le jeu de Level-5 oblige régulièrement à retourner sur les lieux de vos précédents faits d'armes. Là où la plupart des J-RPG débroussaillent tambour battant, Ni no Kuni II vous fait régulièrement prendre des nouvelles de vos compagnons restés dans leur jus. Et si la tâche pourrait s'avérer fastidieuse à souhait, la téléportation rend d'un coup l'exercice rapide et agréable. À croire que tout a été pensé pour le confort du joueur.
Nani no Kuni
La praticité, c'est sans doute ce qui caractérise le mieux cette suite : entre le journal de quête bien fichu qui conserve la trace de toutes les demandes évoquées, votre progression dans chaque sous-quête, le voyage rendu incroyablement souple grâce aux très nombreux points de téléportation, la jauge de niveau qui vous informe n'importe quand de votre progression éventuelle, la récolte d'item sans jamais devoir presser le moindre bouton ou les ennemis low level qui vous fichent une paie royale, tout a été pensé pour offrir un confort de jeu certain. Hormis l'incompréhensible absence de comparatif de statistiques lorsque vient le moment de fabriquer une arme ou une armure, Ni no Kuni II frôle le sans-faute en ce qui concerne son interface et sa facilité d'utilisation.
Dans le même esprit, les voix japonaises sont proposées (et conseillées) d'entrée de jeu, même si le virus de la localisation-qui-prend-parfois-des-libertés-avec-les-patronymes semble avoir une fois de plus fait quelques victimes. La direction artistique se prête évidemment très bien à la version originale convaincante et moins clichée qu'à l'accoutumée, et les références sont d'une variété telle que tout le monde y trouvera le clin d'oeil qui va bien : quand on réussit à citer pèle-mêle Dragon Ball, Blanche-Neige, Miyazaki (l'oeuvre et le bonhomme), Naruto, Star Wars ou Ace Attorney (succès assuré auprès de votre serviteur), et à le faire bien, ça force le respect. Mention spéciale à la localisation française qui pourrait être un modèle du genre, tant elle joue avec malice sur les accents et les jeux de mots dignes de nos intertitres pour apporter intelligence et légèreté à une aventure très (trop ?) bavarde. Un grand coup de chapeau.
Carmen me suive
En revanche, toute la meilleure volonté du monde ne fera pas passer la pilule du mode Stratégie, qui ne brille ni par son aspect ni par ses mécaniques : prenant place sur la world map et son design repoussant, ces phases de STR pour les nuls voient le roi Evan s'entourer de troupes diversement armées pour terrasser les lignes ennemies. Reprenant le principe d'un pierre-feuille-ciseaux assez basique, ces joutes ont le mérite d'apporter un autre type de gameplay qui s'avérera comme les autres obligatoire par moments, mais ne provoquent à aucun moment l'extase ou la sensation de devenir un grand chef de guerre prêt à prendre unilatéralement le pouvoir.
Mais quel que soit le mode choisi, vos oreilles pourront toujours se délecter des sublimes compositions de Joe Hisaishi, qui fait mouche à chaque nouvel environnement. Dirigé par le maître en personne, le Tokyo Philharmonic Orchestra (qui n'en est pas à son coup d'essai) livre un enregistrement impeccable et magistral, qui profite de la variété des environnements offert par Level-5 pour faire le tour du monde en musique. La magnifique cité de Gamblor déroule ainsi une partition pentatonique constamment surprenante, quand la maritime Celacan arrive à évoquer la subtile mélancolie d'un royaume tourmenté où l'amour est proscrit, en citant dans une même oeuvre Georges Bizet et Ennio Morricone. L'hallu est totale, d'autant plus que l'on n'en comprendra la portée qu'après avoir mis à jour les poétiques raisons de cette incompréhensible législation.