Il y a de ça une dizaine d'années sortait Mount and Blade, un mélange de gestion, de stratégie, de RPG et de batailles à grande échelle dans lesquelles on participait directement en temps réel. Malgré ses défauts et son manque de finition évident, le jeu turc a su s’imposer comme un véritable objet de culte pour toute une niche d’amoureux du genre et donnera même naissance à un héritier, Warband. Une extension XXL jouable en stand alone, qui sera garnie d’un bon nombre de DLC et de mises à jour gratuites servant en même temps de cahier de brouillon pour le prochain gros morceau de la saga que le studio TaleWorlds annoncera en 2012. Dix ans de développement (chaotique) et quelques années d’early access plus tard, c’est donc un Mount and Blade 2: Bannerlord très attendu qui débarque en version 1.0 sur consoles et PC, avec dans sa besace une ambition démesurée et une recette prête à faire perdre le sommeil des joueurs pendant des mois, bien que tout ne soit pas rose pour autant.
Un monde en crise
Direction Caldaria, un continent imaginaire en pleine période médiévale fantasmée, mais sans une seule once d’heroic fantasy. Ici, pas de dragons, de morts-vivants ou de magie, mais des seigneurs, des bandits et des armées qui s’entretuent pour la domination du pays. À l’instar d’un Kingdom Come Deliverance, Bannerlord opte donc pour le réalisme et troque les habituels donjons bourrés de trolls et les artefacts magiques contre des sièges de châteaux et des mariages arrangés pour une histoire de territoire et d’héritage par le sang. Un monde où tout est permis, ou presque, et où les mots font parfois plus de dégâts que l’épée.
Caldaria est donc en pleine crise après la domination sans équivoque de l’Empire, en plein déclin depuis des décennies et où les peuples se soulèvent en prenant des terres. Désormais, le pays est divisé en plusieurs factions. Les Sturgiens, un peuple semblable aux vikings (sans les drakkars) qui préfère frapper avant de parlementer, les Battaniens, des guerriers adorateurs de la forêt attachés à leurs traditions, les Aseraïs, des bédouins du sud experts en exploration et en commerce. Les Khuzaïtes, une population de nomades des steppes qui cherchent à se faire une place et les Vlandais, royaume autrefois sous le joug de l’Empire qui a fini par prendre son indépendance. Et enfin vient l’Empire, jadis dominant et radieux, la faction est désormais divisée en 3 sous-royaumes (l’Empire Méridional, Occidental et Septentrional), chacun cherchant à asseoir sa domination et son indépendance.
C’est dans ce contexte tendu que prendra place notre épopée, que l’on choisisse la Campagne, seul mode à disposer d’un didacticiel expédié et d’une trame narrative, ou le mode Bac-à-sable, qui nous largue tout bonnement dans le bain sans aide. Dans tous les cas l'objectif sera le même : marquer l’histoire de votre empreinte.
L’histoire ? Elle est vôtre
Mais avant de prendre le large, il faudra déjà créer votre avatar, homme ou femme. Si toute la partie personnalisation physique est accessoire (bien fournie cela dit), l’origin story sera en revanche d’une importance capitale puisqu'elle déterminera les premières pages de votre avenir.
On choisira donc une faction de naissance (sans y prêter allégeance pour autant) qui, outre les liens du sang favorisant d’entrée de jeu les interactions sociales avec cette même faction, offre des bonus et malus exclusifs. Des coûts amortis pour le recrutement de l'infanterie chez les Sturgiens, aux bonus sur le commerce pour les Aseraïs en passant par les améliorations de la cavalerie des Khuzaïtes, le choix vous est donné et tout dépendra de vos envies.
Ensuite, vient toute une partie où l’on vous posera des questions aux sujets de vos parents, de votre enfance et de votre adolescence. À chaque choix effectué, vous gagnerez vos premiers points de compétence parmi les 18 traits faisant office de statistiques (maniement de différentes armes, compétences en médecine, commerce, commandement, etc.). Passée la création de votre avatar, l’évolution de votre héros se fera de manière bien plus naturelle puisque chaque action, qu’elle soit délibérée ou non, impactera l’un de ses traits de caractère en vous faisant gagner de l’expérience.
Par exemple, combattre avec une épée améliorera votre endurance et votre maniement de ce type d’arme, vous balader à cheval augmentera votre expertise de l’équitation ou encore tromper vos interlocuteurs vous fera gagner de l’expérience en charme et roublardise. Notez par ailleurs que chacun de ces 18 traits dispose de plusieurs dizaines de compétences passives à déverrouiller vous permettant d’optimiser votre héros à la perfection tout en étant raccord avec votre façon de jouer. Une évolution organique, naturelle, où les aléas peuvent tout autant forger votre héros que les faits d’armes volontaires que vous aurez calculés à l’avance.
Cependant, gardez bien en tête que rien n’est simple dans Bannerlord, et que les moins avertis auront vite fait de se retrouver dépassés par les événements.
Chaque mouvement, chaque action et choix façonnent votre héros, oui, mais aussi le monde autour de vous et la perception qu’il aura de vous, votre clan et votre royaume (lorsque vous en avez un). Il suffit parfois d’un rien pour se mettre à dos une faction entière, déclencher une guerre, se retrouver prisonniers des jours durant ou flinguer sa réputation jusqu’à devenir un paria aux yeux de tous. D’un autre côté et avec un peu de jugeote, vous aurez vite fait de devenir un mercenaire accompli offrant sa lame au plus offrant, un glorieux vassal soutenant son roi contre vents et marées en le suivant en campagne, un noble influent usant de la politique pour retourner des royaumes et même vous créer une lignée d’héritiers en vous trouvant une dulcinée (ou un mari)… Les possibilités sont véritablement très nombreuses et offrent surtout le sentiment de vivre quelque chose d’unique et de faire partie d’un univers bel et bien vivant.
D’autant plus que chaque heure, chaque jour passé en jeu fait avancer le monde qui nous entoure puisque plus que notre histoire, c’est celle de toute la Caladria qui s’écrit dès que l’on bouge un sabot sur la map monde.
Le monde tourne, avec ou sans vous
Bannerlord se présente en effet comme un jeu de stratégie classique aux premiers abords, Total War, Crusader King voire même Civilization en tête. On se retrouve catapulté au beau milieu de la carte du monde où villes, châteaux, villages et groupes de PNJ sont représentés grossièrement et par défaut, le jeu est en pause et rien ne se passe. Mais contrairement aux exemples cités, au moindre de nos mouvements le temps s’active et le monde vit. Pour le reste, tout se déroule en temps réel, on se déplace sans limitation de quelconque point d’action, et l’on peut d’office faire à peu de chose près ce que l’on veut. Lorsque l’on arrive sur un point d'intérêt (que ce soit un PNJ ou une ville) une boîte de dialogue nous donne un aperçu des actions possibles et en cas de discussion avec d’autres personnages, un bref chargement nous colle le nez directement devant la personne concernée. C'est d'ailleurs l’occasion de perdre un œil sur la modélisation désastreuse des personnages qui semblent tous être sortis du même éditeur que le nôtre, mais sans l’attention du créateur.
Honnêtement, on aura vite fait de rire face aux tronches parfois tordues de certains personnages, ou des proportions totalement aléatoires de certaines parties de leur corps. De toute manière, pour faire simple, Mount and Blade 2 Bannerlord est vilain. Le soft nous donne la permission de nous balader dans les centres-villes, les châteaux et les villages, mais les environnements, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs, font mal aux yeux. Les textures bavent à tout-va, c’est anguleux, modélisé avec les pieds, et on en passe. Mais bizarrement, ça a tout de même un certain charme. Il y a comme une petite odeur de nostalgie rappelant ces jeux PC un peu underground d’il y a dix ans. Ces jeux de niche qui misaient sur autre chose que leur visuel pour séduire. Bannerlord est un de ceux-là, mais il lui arrive aussi de nous surprendre avec de jolies couleurs au coucher du soleil, ou un level design (des champs de bataille notamment) qui transpire le naturel et rend les paysages crédibles.
On notera également que, si l’on peut bien se balader en vue à la première ou troisième personne à différents endroits (et lors des combats), on a très vite fait le tour des tableaux que le jeu a à nous proposer. Des châteaux aux champs de bataille en passant par les repaires de bandits à attaquer exclusivement la nuit ou encore les villages, tout se ressemble et les assets semblent copiés jusqu’à plus soif. On sent bien qu’ici de gros efforts sont encore à faire.
Mais de toute façon, rien ne nous oblige vraiment à nous balader à pied ou en canasson (sauf quelques zones obligatoires) puisque tous les services sont accessibles via les menus de chaque patelin. En ville, on trouvera différents quartiers dans lesquels on pourra généralement trouver une auberge (pour recruter des mercenaires, vendre des prisonniers ou encore recruter des compagnons héroïques), un commerce pour se faire des deniers ou acheter tout un tas de ressources, une forge pour se crafter de l’équipement sur-mesure de la lame à la paume en passant par le manche, ou encore une arène pour participer à des tournois et remporter des récompenses en plus de la gloire. Avec suffisamment d’influence et d’or, il sera également possible de créer des caravanes commerciales pour se faire de l’argent facile, ou directement d’acheter des commerces.
Visiter les fiefs sera également l'occasion de croiser les nobles de chaque faction avec lesquels on pourra tailler une bavette et créer des liens diplomatiques, intéressés ou même amoureux pourquoi pas, mais ici aussi il vous faudra pas mal d’influence avant de pouvoir espérer tirer quelque chose de vos rencontres avec la haute société. Et l’influence, la renommée, ça se gagne par les actes sur le terrain.
Pot pourri de bonnes idées
Comme dit plus haut, au départ vous êtes totalement largué au beau milieu du monde, seul, nomade, avec juste assez d’or pour recruter quelques hommes et un peu de nourriture pour tenir lors du voyage. Sans allégeance au départ, vous devrez créer votre propre clan, veiller sur lui, gravir les échelons de la société et marquer l’histoire. En campagne, une petite trame narrative vous demandera également de suivre les traces d’un artefact récupéré en début de partie pour en découvrir tous les secrets. De fil en aiguille, la quête principale révélera une intrigue bien plus importante qu’une simple chasse aux réponses et vous permettra également de faire le tour de pratiquement toutes les facettes du jeu. On peut d’ailleurs tout à fait voir cette dernière comme une sorte de didacticiel gigantesque qui vous tiendra en haleine des dizaines, voire des centaines d’heures suivant vos méthodes. Mais si la rejouabilité de la campagne est presque infinie finalement, le mode bac à sable ravira les fans hardcore et les curieux durant de très très nombreuses heures supplémentaires.
En mélangeant du Chivalry, du Crusader King ou encore un peu de Total War, Mount and Blade 2 coche toutes les cases du jeu de gestion/stratégie addictif à souhait. Toute la partie gestion et politique, qui se passe essentiellement à travers des menus, sont d’une profondeur sans fin. Si, de prime abord, on ne semble qu'effleurer la pointe de l'iceberg, très vite, on se retrouvera nez à nez avec tout un tas de possibilités. Que l’on veuille s’occuper de ses propres colonies en construisant des bâtiments, ses lignes commerciales pour se faire de l’argent et échanger des ressources ou que l’on se penche sur la politique, ses doctrines (toutes différentes d’une patrie à l’autre), il y a de quoi faire. D’ailleurs, il est possible de créer une véritable dynastie sur plusieurs générations, faire des enfants, les marier lorsqu’ils sont devenus adultes et pouvoir à leur tour avoir des bambins, etc. Notez d’ailleurs qu’en plus de votre personnage, vous pourrez gérer les traits de caractère et les compétences de tous les personnages héroïques (tous ceux qui ne sont pas du menu fretin à envoyer au casse-pipe) de votre clan, natifs ou recrutés. Il est également possible de les laisser se développer d’eux même en automatisant leur évolution. Cependant, ces derniers sont hélas relégués au simple rang d'outils. Dépourvus d'âme ou de lignes de dialogue, ils seront tout juste bons à être placés à des endroits stratégiques en fonction de leurs compétences. Que ce soit sur le terrain avec vous, ou dans le siège de gouverneur d'une de vos propriétés par exemple. Malgré ça, la gestion et l’optimisation de son clan ont un potentiel tout bonnement énorme.
Par contre, ça se fera à la dure puisque l'on pestera sur les menus composés d’un dédale d’onglets peu clairs et d’explications planquées au fond d’une encyclopédie titanesque, ou sur des pages Wiki trouvables sur le net. C’est un peu « vas-y débrouille toi, teste et tu verras bien ce qu’il se passe ». Mais c’est aussi là que la magie opère puisque l’on tâtonne, on apprend et puis, finalement, on se familiarise et l’on maîtrise son rôle de leader né pendant que le monde autour de nous réagit à nos actes, même si parfois ça vire en bain de sang.
Et quand Bannerlord décide de verser l’hémoglobine, il n’y va pas de main morte. Vous ne trouverez rien d’aussi visuel qu’un Chivalry 2 toutefois, mais les cadavres s'empileront bel et bien sur le champ de bataille puisque l’on peut assister à des affrontements confrontant près d’un millier d’hommes en 500 vs 500. Des renforts arriveront par vagues si l’un des deux camps dépasse la limite maximale de 500 unités sur le terrain, bien que des mods PC peuvent faire sauter cette limite, encore faut-il avoir une grosse config.
Siège de châteaux ou de cités, combats dans les plaines ou les montagnes, peu importe, chaque combat est grisant, et plus grand est le nombre plus les sensations sont folles. Car oui, sauf si l'on décide d’envoyer ses hommes sans commandant, on se retrouve directement sur le champ de bataille en vue subjective ou à la troisième personne, c’est au choix. Et en tant que leader incontesté, en plus de croiser le fer avec l'ennemi, on doit également gérer l’attitude de notre armée. Armée que l’on recrutera un peu partout durant notre voyage, et que l’on pourra former avec tout un tas d’unités différentes, des archers, à la cavalerie en passant par les soldats en armures lourdes. Il en existe des dizaines différentes, toutes évolutives et également uniques à chaque faction.
Heureusement, on peut faire le tri dans nos rangs, qui seront parfois composés de plusieurs centaines d’hommes. Sur le terrain, il sera ainsi possible de créer des groupes, leur assigner un chef d’unité, gérer les formations, etc. On pourra également les diriger à des endroits spécifiques, leur ordonner de charger ou encore leur demander d’attaquer un certain type d’adversaires. Les joueurs de Total War seront en terrain connu, la vue du dessus en moins.
Si c’est parfois un peu chaotique, et qu’il faudra un peu de temps pour tout prendre en main, difficile de faire la fine bouche tant on se prend rapidement au jeu, quitte à ne jamais frapper un adversaire soi-même. Voir la cavalerie mener la charge en s’écrasant sur les boucliers levés sous une pluie de flèches est un spectacle dont on ne se lassera pas. Ajoutez à cela que les sièges (de ville ou de châteaux), amènent des possibilités stratégiques supplémentaires. En tant qu’attaquant, on monte d’abord son campement avancé et on construit ses engins de siège en défendant sa position avant d’aller à l’assaut des murs. Tandis qu’en tant que défenseur, on prépare la formation, on bloque l’adversaire aux murs en détruisant les béliers et autres engins, ou on se la joue agressif en tentant une attaque éclair sur le camp avancé de l'ennemi pour le prendre au dépourvu. Dans tous les cas, l’ambiance est assez dingue malgré les limitations techniques (graphismes pas toujours à la hauteur, ralentissements sporadiques suivant les scènes, animations datées…).
Les combats sont viscéraux au possible et là aussi TaleWorlds n’a pas voulu faire les choses simplement. Lorsque l'on combat, il faut par exemple prendre en compte la portance des armes à projectiles, les attaques et la parade au corps-à-corps suivent le regard et peuvent être asséné de différents angles, et la localisation des dégâts prend également en compte la tenue portée.
Dur à l'extérieur, fondant à l’intérieur
Non, rien n’est simple dans Mount and Blade 2 et ça pourra très certainement décourager quelques joueurs peu patients d’autant que le soft est particulièrement abrupt à aborder. On pourra également pointer du doigt des mécaniques de jeu qui peuvent frustrer, comme lorsque l'on est pas totalement maître de son destin (les choix des dirigeants, gérés par l'IA et les lois de l'aléatoire, sont parfois cruels), que l'on est condamné à faire défiler le temps et regarder passivement ce qu’il se passe partout dans le monde lorsque l’on ait fait prisonnier, ou quand on essaye de quitter une région en guerre et que l’on passe son temps à se faire capturer par l’ennemi par exemple. On pourra aussi pester sur la redite des activités secondaires (escorte de caravane, achat et revente de marchandise illégale, nettoyage de repaires de bandits, collecte de taxes, etc.). Bien qu'elles sont nombreuses (une vingtaine à vue de nez), le démarrage de l’aventure est un poil longuet et nous demande de grind un maximum nous obligeant alors à faire ce genre de missions à tour de bras jusqu’à l’épuisement, sans compter que l'on y reviendra tout au long de notre voyage.
Enfin, on mentionnera rapidement le multijoueur du titre qui, hors mod, ne nous offre que des batailles à se mettre sous la dent. C’est rigolo 5 minutes, mais on se lassera rapidement et on aura vite fait de se tourner vers un Chivalry, bien plus excitant en la matière. Aussi, il sera possible de se lancer dans des escarmouches en solo pour profiter de bonne grosse bataille sans se prendre la tête à tout gérer en amont ou tester des stratégie et des compositions d’armées.
Pour les joueurs consoles, sachez que si le jeu est parfaitement jouable et tient clairement la route, il va vous falloir un certain temps d’adaptation pour vous faire la main sur les contrôles à la manette, bien moins pratiques que le combo clavier/souris. C’est d’autant plus notable lors des batailles d’ailleurs, où l’absence de raccourcis clavier se fait ressentir puisque l’on manque cruellement de réactivité et de précision dans la prise de décision.
De plus, le support des mods étant absent au lancement, jouer à Mount and Blade 2 : Bannerlord sur console, c’est se priver d’une vraie mine d’or gorgée de contenus et d’une communauté ultra-active. Reste à voir maintenant si certains d’entre eux finiront par débarquer sur les versions salon. Mais pour le reste de l’expérience, c’est du pareil au même et le plaisir est intact. Dans tous les cas, peu importe la plateforme, le studio a déjà des plans pour la suite avec des mises à jour importantes et gratuites d’ores et déjà planifiées.