Souvent présenté un peu vite comme "le petit artisan du jeu vidéo", Nintendo a essuyé de nombreuses critiques quant à sa capacité de livrer un nombre suffisant de titres first-party sur la génération précédente. A priori conscient de ses limites et de l'appétit sans borne des joueurs pour ses licences maison, l'entreprise kyotoïte a su nouer avec le temps des partenariats aussi sous-pesés que suivi de près. Ces dernières années, voici que débarquèrent donc Pokkén Tournament (Bandai Namco), StarFox Zero (PlatinumGames), Mario + The Lapins Crétins : Kingdom Battle (Ubisoft), sans compter les remakes des intouchables Ocarina of Time ou Majora's Mask (Grezzo). Et si les aventures de la redoutable Samus Aran ont été pensées de l'autre côté du Pacifique, c'est en Espagne que se joue aujourd'hui son retour sur 3DS.
Les pérégrinations de la chasseuse de prime la plus renommée de ce coin de la galaxie occupent une place à part dans l'univers constamment en expansion des licences Nintendo. Non pas pour le sexe de la donzelle encore sous-représenté dans le milieu, mais par la rareté de sa présence tous supports confondus. Ce n'est pas comme s'il sortait des épisodes de Zelda en quantité industrielle non plus, mais avec 13 entrées en plus de trente ans (en plus je suis gentil, je compte l'inavouable Federation Forces), la belle se situe en queue de peloton, jouant des épaules aux côtés de Yoshi et autres Wario... Et si Retro Studios a su complètement relancer la saga en transposant avec brio le gameplay des premiers épisodes dans la troisième dimension, personne ne parvient vraiment à oublier les sensations angoissantes et le design labyrinthique de cette époque où l'on mesurait encore les bits.
Sans doute frileux à l'idée de donner une suite au nerveux Metroid Fusion, dernier épisode 2D original en date, Nintendo s'est penché de manière assez pragmatique sur son stock de vieilleries pour se rendre compte que le seul épisode qui pourrait objectivement faire l'objet d'un remake ne pouvait être que Metroid II : Return of Samus. En effet, avec un Zero Mission qui rendait l'opus fondateur rejouable à souhait et un Super Metroid intemporel et toujours aussi splendide presque un quart de siècle plus tard, seule l'aventure portable monochrome méritait un dépoussiérage en règle. On comprend d'autant mieux la récente réaction du développeur concernant le non-officiel Another Metroid 2 Remake banni des serveurs en quelques heures seulement...
L'art du compromis
Au vu de la chronologie quelque peu tarabiscotée de la saga, on se concentrera donc uniquement sur cette aventure portable, d'autant plus que les choses n'étaient pas si complexes à l'époque, même si Mercury Steam réussit à lier encore mieux son remake au reste de la saga. Car si Metroid II : Returns of Samus prenait la suite de l'opus original, il aura fallu y caser entre temps toute la trilogie Prime et ses à-côtés. Après moult péripéties, la blonde en armure se voit missionnée sur SR388, l'astre natal des fameux Metroids, afin de procéder à un véritable génocide en bonne et due forme, comme cela se fait visiblement dans l'espace.
Pour comprendre la spécificité de Metroid : Samus Returns (qui a donc perdu son chiffre romain au passage), il faut bel et bien se rappeler de la Game Boy et de ses cartouches limitées : comment réussir à retranscrire l'immensité du premier épisode dans une tête d'épingle ? Impossible de faire tenir Zebes dans ce bout de plastique et de circuits imprimés, les équipes du regretté Gunpei Yokoi ont ainsi du modifier la formule de base : exit l'exploration pure comme cela vous chante. Samus débarque sur SR388 avec cet implacable objectif chiffré, symptôme de la dérive managériale de notre son époque : éradiquer 40 de ces satanées bestioles volantes, ni plus, ni moins. Le compteur s'active d'ailleurs dès le début du jeu et ne vous quittera plus jusqu'à son dénouement final, que nous garderons ici intact : la fin de Metroid II ayant conféré tellement de personnalité à son héroïne au moment de sa sortie qu'il serait dommage de la gâcher, même 26 ans après.
40 nuances de grès
Ça n'a l'air de rien, mais ce choix de gameplay (on en parlera pas de narration, n'exagérons rien) conditionne de fait tous les aspects de l'aventure qui s'offre à vous : découpé en sept zones, le caillou que vous allez arpenter ne se laisse découvrir qu'après avoir vidé chacune d'entre elles de tous ses funestes occupants. Une sorte de Roue de la Fortune de l'Improbable se chargera de vous accueillir à l'entrée de chaque territoire afin de vous informer sur le nombre d'aliens gélatineux à défaire avant de passer à la suite. Et si chaque aire s'agrandira au fur et à mesure de votre progression, la contrainte de les débloquer une à une restreint forcément quelque peu la sensation de libre exploration des autres épisodes. Evidemment, le terme Metroidvania qui caractérise tant de productions actuelles ne fait pas référence à Samus Aran pour rien, et il faudra comme à l'accoutumée revenir sans cesse sur ses pas pour enrichir sa panoplie et faire gonfler le stock de missiles transportables. Mais on se sent néanmoins plus contraint que d'ordinaire.
Du coup, la chasse aux Metroids devient rapidement une obsession, puisqu'il s'agit du seul et unique moyen de débloquer de nouvelles zones. Mais si les premiers affrontements face à la menace extraterrestre s'avèrent riches de stress et de d'excitation, la pression retombe au fur et à mesure de la redondance des combats. Alors oui, les Metroids évoluent et deviennent de plus en plus menaçants avec la descente aux enfers de l'héroïne, ce qui ne manquera pas de ravir les zoologues de la série qui pourront ici observer la mutation de la créature éponyme. Mais rien n'y fait : après quelques heures, c'est plutôt la réptitivité ronronnante de l'exercice qui vous prend à la gorge. Surtout quand on découvre finalement que cette chasse aux sorcières galactique ampute quasiment le reste du jeu des traditionnels bosses pourtant si marquants d'ordinaire...
Il est à quelle heure le dernier métro ?
Fort heureusement, cette routine de l'objectif n'entache en rien le gameplay caractéristique de la série Metroid, et les joueurs rompus à l'exercice retrouveront bien vite leurs bases, et même quelques surprises inattendues. Conscients de la limite du jeu original, les équipes de Mercury Steam ont judicieusement pris la liberté de complexifier l'arsenal de base pour enrichir l'expérience de jeu. Et la première de ces améliorations réside dans le tir libre, déclenchable à l'aide d'une simple pression sur le bouton de tranche L, et qui fait apparaître un pointeur laser mobile à 360 degrés, pratique pour envoyer une bastos de l'espace entre deux dizaines d'yeux mutants. L'un des autres ajouts notables d'entrée de jeu réside dans le contre magistral que l'on peut désormais déclencher face à chaque ennemi pour peu d'en maîtriser le timing : accessible via le bouton X de la 3DS, il envoie valser l'adversaire et le met en position de faiblesse quelques instants, de quoi envoyer un ou deux missiles bien sentis. Le grappin apparu avec Super Metroid est également de la partie, et permet en plus des phases simiesques où l'on se balance de branche en branche de débloquer des passages obstrués en tirant certains éléments du décor, donnant accès à de nouvelles zones en créant des raccourcis très utiles pour la suite.
Mais la feature majeure de Metroid : Samus Returns réside dans la nouvelle jauge Aeon. Cette barre commune à quatre fonctionnalités différentes permettra de garnir un peu plus les compétences de Samus au fil de l'aventure. Ouvrant la voie au scan de l'environnement, à un bouclier défensif, une amélioration du tir de base et une stase (ralentissement du temps), il faudra rapidement sous-peser chacune de ses utilisations, puisque bon nombre de situations rencontrées nécessiteront impérativement l'une de ces quatre aptitudes. Si l'on ajoute cette jauge multitâche à toutes les nouvelles armes de l'héroïne, sans oublier les très bonnes idées héritées de la version Game Boy (au premier rang desquelles la diabolique Spider Ball), on finit par obtenir une palette d'armes et de mouvements extrêmement riche, et forcément très plaisante. Le seul intervalle dissonant à cette savante partition dépendra surtout du support sur lequel vous embarquez pour l'antre des Metroids : aisée sur 3DS XL, la maniabilité s'avère parfois crispante sur le modèle d'origine, tant il conviendra de rester la plupart du temps cramponné sur la touche L pour ajuster son tir.
La mise en abîme de l'Amiibo
Car si les premières heures de Metroid : Samus Returns pourraient inquiéter les habitués de la spéléologie du Cosmos, l'inflation de l'arsenal est parfaitement justifié par la suite. Bien que le roster de monstres use et abuse du color swap à gogo, leur vivacité et les dégâts qu'ils infligent par la suite feront serrer les fesses plus d'une fois. Le contre qui donnait lieu à une séquence slow motion au départ vous oblige par la suite à être bien plus réactif pour rester en un seul morceau. Cependant, Mercury Steam a fait le choix de ne pas être aussi intraitable que Pierre Martinet, puisque les rares points de sauvegardes ne seront pas les seuls endroits où reprendre sa partie, dans la mesure où chaque défaite ouvrira la possibilité d'un respawn des familles.
Dommage, d'autant plus que le plaisir de la découverte inhérent au genre et qui se trouve quelque peu amoindri par la taille des lieux à explorer en prend également un coup avec le fameux scanner tout juste mentionné. Pratique pour repérer un pan de roche à faire sauter, il dévoile finalement bien trop d'informations pour garder intact le plaisir de la curiosité récompensée. Les fans et les amateurs de challenge se rassureront en apprenant qu'il existe un mode "Fusion" relevant le challenge. Ils déchanteront néanmoins tout aussi vite en apprenant que l'achat d'un Amiibo est o-bli-ga-toi-re pour le débloquer...
Backtrack dans les bacs
Pour les nombreux joueurs qui devront se contenter de la difficulté de base, le défi est néanmoins bel et bien présent : c'est bien simple, nous n'étions pas morts aussi souvent dans un jeu sous licence Nintendo depuis Breath of the Wild. Et encore, heureusement qu'il est sorti celui-là, sinon je ne sais vraiment pas quel jeu aurait pu tenir la comparaison ! On trouve ici l'explication dans le fait que les ennemis aspirent en un éclair votre barre de vie. Et que ce soit face aux bestioles de base où aux dernières formes des Metroids, une seule et unique règle doit être religieusement appliquée : ne jamais se faire toucher. Jamais.
Mais si la frêle flingueuse débute comme il se doit quasiment nue, l'accumulation des items et upgrades en tout genre souffre d'un déséquilibre persistant : plutôt que de distiller régulièrement des améliorations en termes d'armes ou de capacités, Mercury Steam s'emmêle un peu les pinceaux. En effet, on passera parfois plusieurs heures à déambuler sans glaner le moindre boost, pour finalement récupérer trois améliorations dans la foulée, sans même avoir le temps de les essayer tranquillou. De plus, le backtracking caractéristique du genre se trouve ici réduit à de la pure amélioration de missiles et autres Power Bombs : là où les environnements plus "ouverts" des autres opus 2D nécessitaient quelques moments de réflexions et d'exploration pour pouvoir avancer, chaque zone se suffit ici à elle-même. Inutile de se creuser la tête trop longtemps : la solution à vos problèmes se trouvera toujours dans l'environnement immédiat.
La femelle alpha
En ce qui concerne l'aspect graphique de cette refonte, il faut avouer que Mercury Steam a dû composer avec un hardware quelque peu daté : il n'est en effet pas chose facile de faire briller cette bonne vieille 3DS en 2017, plus de six ans après sa sortie. Et s'il faut rendre hommage au travail accompli par les espagnols, toujours est-il que le choix d'avoir opté pour une 2,5D s'avère parfois discutable, parfois inspiré (surtout sur la fin). Metroid : Samus Returns se raconte avec bien peu de choses, et ce seront donc les décors et quelques cut scenes qui tenteront de distiller un semblant de narration à l'ensemble. Sage durant ses premières heures, le jeu crache finalement toutes ses tripes dans son dernier tiers : rythmé, complexe, savamment corsé et même carrément beau, la musique monte également en gamme, en balançant venu de nulle part une incroyable reprise de Lower Brinstar d'une orchestration changeante absolument maboule. Il faut aussi nécessairement mentionner le travail de titan opéré sur la profondeur du jeu : bien tout le monde semble s'en ficher depuis un bail, la 3D autostéréoscopique de Metroid : Samus Returns est incroyable. Et tant pis pour les allergiques ou les possesseurs de 2DS... Le moteur du jeu pédale parfois dans la semoule lorsque s'affichent à l'écran plusieurs ennemis et animations lancées en parallèle, mais le cas s'est présenté avec suffisamment de rareté pour que cela n'affecte en rien le plaisir de jeu.
En revanche, Metroid : Samus Returns aurait largement gagné à bénéficier d'un soin plus méticuleux en ce qui concerne son contrôle qualité, puisque nous aurons réussi par deux fois à nous rendre dans des zones inaccessibles à ce moment de la partie, pour ensuite se retrouver complètement bloqués ensuite, un grand merci aux collisions hasardeuses. J'en place également une pour le freeze improbable qui a complètement bloqué la console... Toujours est-il qu'en terme de recyclage, ce retour en grâce de l'épisode Game Boy est un modèle du genre. Le terme de "remake" s'efface d'ailleurs presque pour laisser place à une "refonte" totale de l'original : en conservant simplement le déroulement et quelques armes de base, Mercury Steam est parvenu à réécrire complètement cette aventure qui avait un peu sombré dans les oubliettes de la playhistoire. Finalement, peu importe que vous soyez familier ou non de Metroid II, cette version 3DS a été tellement bichonnée que l'aventure semblera inédite dans tous les cas de figure. Les habitués de la série retrouveront un gameplay ayant fait depuis longtemps ses preuves, les éventuels petits nouveaux pourront se faire les dents sur un épisode plus dirigiste qu'à l'accoutumée, mais qui donnera sans nul doute envie d'aller voir un peu plus loin.