Depuis son annonce en août 2015, Mafia III suscite une belle attente, autant de la part des fans de la licence que des néophytes, séduits par une atmosphère singulière. Avec ses bandes-annonces et trailers de gameplay tous plus farouches les uns que les autres, il était impossible de ne pas avoir l'eau à la bouche. Au point de voir le jeu de Hangar 13 tenter un putsch sur Grand Theft Auto. Alors, 6 ans après Mafia II, la licence enfile-t-elle le costume de Don Corleone ? Ou se dégonfle-t-elle pour apparaître plus proche de Don Patillo ?
Il y a quelques semaines, notre bon Camille était revenu d'une session de 5 heures de Mafia III des étoiles plein les yeux. Et bien qu'il fut en état de sur-ventilation au moment de nous raconter son expérience, son récit était des plus cohérents, eu égard à ce qu'il avait pu voir : un fragment bien rythmé du prologue du jeu, présentant convenablement, tout en laissant planer un certain mystère, la quête de vengeance sanglante et destructrice de Lincoln Clay. Et le fait est, en connaissant tout ce qui nous avait été présenté jusqu'ici, qu'on imaginait mal ce qui pourrait capoter, même en s'interrogeant sur les raisons qui pourraient pousser 2K Games à ne pas envoyer de versions du jeu à la presse avant sa sortie.
Nous avons donc été acheter notre propre exemplaire pour tenter de vous rendre notre test dans les temps. Un peu plus de 20 heures plus tard, on comprend mieux. Et c'est le poing serré, quand bien même on repense à l'histoire et aux différentes fins aperçues (et très satisfaisantes), que l'on est obligé de parler de désillusion.
On dirait le Sud
Petit récap'. Nous sommes en 1968, dans la ville fictive - mais fortement inspirée de La Nouvelle-Orléans - de New Bordeaux. Le héros, Lincoln Clay, vétéran du Vietnam, effectue quelques boulots pour Sammy, chef de la pègre noire américaine du coin. Celle-ci bosse pour Salvatore Marcano, Don de la famille italienne éponyme qui a la main-mise sur les activités illégales de la ville. L'entente est bonne. Lincoln est même pote avec le fiston du parrain, Giorgi... Sauf que, évidemment, avec les ritals, lorsqu'il y a costume, il y a entourloupe. La trahison est là. Mortelle.
Le protagoniste assiste à une boucherie, avec supplément feu. Son clan est décimé et lui, laissé pour mort. A son réveil, une balafre bien visible sur la droite de sa tête est là pour lui rappeler qu'il a tout perdu. Et maintenant, avec un pote de l'armée, il va tout mettre en oeuvre pour faire chuter l'empire de Marcano. De la base jusqu'au haut de la pyramide. Avec un dénouement qui vous étonnera. Mais chut, pas de spoilers.
Lincoln, des fans
C'est peu de dire que le début se révèle enthousiasmant. Récit déstructuré avec des flashbacks et des témoignages plus ou moins récents ; découverte émerveillée d'une ville de New Bordeaux bluffante de variété et de ses alentours ; atmosphère pesante, brutale, qui insiste bien sur la ségrégation raciale toujours omniprésente en cette année d'assassinat de Martin Luther King, présentation des différents aspects d'un gameplay qui semble bien huilé, dans des conditions idéales...
On a l'impression d'être plongé dans un film interactif et qui nous amènerait à réfléchir sur cette période où l'on entendait un peu trop certains mots... Quoi qu'il en soit, en plus d'être intriguant, c'est plutôt agréable à regarder et ça se joue bien. Un petit peu d'infiltration dans une cahute du bayou permet d'apprécier l'idée et la prise en mains. La conduite souple et nerveuse dans les rues d'une ville qui transpire l'authenticité et la diversité des tons et architectures, au son des classiques de l'époque (une centaine de morceaux pour la plupart mythiques du rock, de la soul et du rhythm & blues) laisse à penser qu'on sera heureux d'avaler les kilomètres en se fiant aux panneaux de signalisation faisant office de GPS. Quant aux gunfights, ils brillent clairement par leur pêche.
Le ressenti en flinguant quelqu'un ou en effectuant une mise à mort rapprochée s'avère très étonnant. Avec un rendu toujours très énergique, viscéral. Pas de concession sur les gorges tranchées au couteau de chasse et autre coups de chevrotine à bout portant sur la tronche. On ressent les impacts. Animal. Jouissif. Jusqu'à ce qu'on note que les mobs, trop confiants ou mal programmés, ne brillent pas par leur intelligence, leur nombre étant la seule solution pour vous faire souffrir. Et puis on fait gaffe à d'autres choses. Ce flic qui entre dans une maison pour vous trouver et ne fait guère attention aux cadavres que vous avez semés. Ce SEUL passant censé appeler la maréchaussée (facile à semer) et qu'on peut assommer à la vue de tous. Ces ennemis sans vision périphérique qui vous regardent menacer un des leurs sans broncher ou qui foncent sur vous sans idée de repli à la cinquième balle dans le buffet... Bref, il y a quelque chose de cassé dans les cerveaux numériques. Du coup, on a l'impression que c'est facile. Et ce n'est pas tout.
Un insigne et du blabla ?
Tout comme pour le deuxième volet, après la phase d'exposition des enjeux, l'aventure a du mal à décoller. C'est que caser ponctuellement des cinématiques certes réussies (avec des visages d'une expressivité assez folle) ne fait pas tout. Les missions pour séduire vos futurs lieutenants que sont Burke l'irlandais, Cassandra l'haïtienne et Vito, héros de Mafia II qu'on a plaisir à retrouver, poppent sur la carte sans explications. Ce ne sont que des mots, des icones. Vous menant toujours à déboussoler des subalternes de Marcano en cassant leur business, elles ne bénéficient que trop rarement d'une mise en scène ou d'une trame un tant soit peu étoffée. Des personnages secondaires censés nous aider se retrouvent figés dans un plan fixe qu'on aurait accepté à au temps de GTA III (et encore), rendant le dialogue juste générique. Dommage, à l'époque d'un The Witcher III capable d'offrir un peu de profondeur à la moindre de ses quêtes...
Quant aux mécaniques de progression employées, elles ne varient pas : trouver des informateurs (à zigouiller ou non), tuer un gars ou un groupe de gars au fond d'une cour/dans une ruelle/dans un jardin, voler du matos ou des billets verts, sauver quelqu'un, intercepter une marchandise... Pas d'originalité au programme. Et une fois une certaine somme volatilisée, vous retrouvez les gredins dans leurs quartiers - que vous aurez peut-être déjà nettoyé 3 minutes auparavant pour les occire. Mais avant, vous aurez certainement employé des fusibles sur des postes de raccordement dont le mini-jeu de crochetage fait lever le sourcil, histoire de connaître les mouvements de vilains d'un quartier. Et vous recommencez plusieurs fois pour comprendre que le disque est rayé comme il faut.
Si t'as pas de money, t'as pas de friend
Heureusement, bien que toute aussi peu surprenante sur le plan ludique, la seconde partie du jeu va introduire, si ce n'est de quoi rafraîchir la formule, un peu d'air en procurant l'impression d'avancer à tous les niveaux. Vos alliés, à qui vous allez pouvoir promettre et offrir des quartiers liés à des filiales précises vous proposeront des assignations pour renforcer les liens. Et ils vous octroieront, leurs revenus grimpant, des faveurs à invoquer à tout instant. Cela ira, en échange d'argent, d'un camion d'armements dont la présence n'inquiète personne dans la rue à la commande d'un bolide ou de renforts en passant par le soudoiement express des flics, le dépôt de vos liquidités ou encore l'amélioration de certaines capacités comme la visée au pistolet. Il faudra d'ailleurs faire attention à ne pas trop favoriser un membre du trio au détriment des deux autres. Cela pourrait générer des tensions lors d'un conseil et, qui sait, à la toute fin de votre épopée...
Autre motif de satisfaction : après avoir bien sapé les petites frappes, vous pourrez constater un semblant de développement des "capos" de Marcano. Les super sous-fifres et leurs bras droits, en plus de bénéficier d'un traitement narratif de premier choix, ont au moins droit d'être poursuivis dans des lieux un peu originaux, souvent très soignés, avec un minimum de scénographie. On pense à une séquence sur un bateau à vapeur ou encore dans un banquet où un vin un peu spécial a fait de l'effet auprès des convives. Ce genre de moment tristement rare auraient dû être un standard pour ce titre qui se résume finalement à un simple mix infiltration/action bien violent mais pas super original et un peu de recherche de magazines ou pochettes de vinyles à collectionner, Lincoln n'ayant pas d'autres occupations que sa vendetta personnelle. Alors ne cherchez pas de courses à faire, d'activités sportives, de fringues. La ville s'étend bien. Mais comme le manque de population et de circulation (sans motos ni vélos, d'ailleurs) l'indique, il n'y a rien à y faire. RIEN.
La nuit je mens
Un peu jour de la marmotte, Mafia III a d'autres problèmes choquants qu'on imagine naïvement comme pardonnables, ou alors éphémères, à l'entame. Après l'avalanche de contenus visuels qui nous ont régalé depuis son annonce, on a du mal à le croire. Pourtant, c'est vrai : in-game, on a vu des jeux PS3 plus réussis et plus constants.
Par moment, il est effectivement somptueux, surtout dans des intérieurs de missions hors cadre ou la nuit, quand filtres et effets en tout genre peuvent maquiller le moindre méfait. Reste que la plupart du temps, on note un aliasing gênant, des textures qui s'oublient, des lumières qui ne savent plus comment s'appliquer entre chien et loup ou au passage d'un nuage et surtout un clipping à se tailler les veines. Lorsqu'on constate que la végétation surgit un peu tard à proximité du bayou, on ne s'affole pas. Puis une camionnette apparaît à quelques enjambées alors qu'on file à toute allure, une affiche 4 par 3, un monument...
Mais le pire restera probablement une bouteille et des couverts posés sur une table et se matérialisant à quelques pas. Ah non, pardon. Ce serait oublier le rétroviseur digne d'un jeu de caisse PSone, qui vous montre ce qui vous suit jusqu'à 30 mètres, avec disparition derrière un bloc de couleur ciel aussi brutal que dégueulasse au-delà. A se demander si le jeu est bien fini...