Il n'a que quelques secondes à Kena Bridge of Spirits pour envoûter les spectateurs d'un événement PS5 en juin 2020. Plus d'un an, depuis, pour qu'Ember Lab parvienne à le livrer sur PS5, PS4 et PC au terme d'un parcours compliqué. Et un peu plus de 10 heures pour... être définitivement conquis.
Avant toute chose, rappelons qui est Ember Lab. Compagnie californienne fondée en 2009 par les frères Mike et Josh Grier, elle est à l'origine un petit studio d'animation. Les joueurs ont pu connaître son nom en 2016 avec un sublime court-métrage indépendant consacré à Zelda : Majora's Mask. Ce Terrible Fate salué par les fans est le point de départ d'une histoire qui pourrait durer. Car avec Kena Bridge of Spirits, Ember Lab a fait plus qu'étaler son expertise technique et artistique. Il y a derrière ce projet un vrai jeu. Parfaitement construit et réfléchi. Et capable de faire ponctuellement mumuse avec notre petit coeur.
Kena, ça pousse comme ça
Ah oui, ça, pour nous faire sourire ou verser une petite larme, Kena Bridge of Spirits s'y prend comme il faut. L'expérience. Presque une science, pour une histoire qui prend vie sous une forme pas si éloignée d'une production Dreamworks ou Pixar. Cela commence sur des bases assez simples. Un univers fantasy verdoyant ; une jeune femme, Kena, Gardienne des esprits de métier. Sa mission est d'aider des âmes perdues à se rendre dans l'Au-delà. Elle parvient à un village abandonné. Une étrange corruption a ravagé l'endroit. Bulbes et ronces rougeâtres ont bouté la végétation. Beni et Saiya, deux bonnes bouilles aux boucles vert émeraude et aux yeux d'anges apparaissent. On les trouve trognons. Et ils le sont. Mais ils ont aussi un problème : leur frère ainé est introuvable.
Cette première quête, comme les deux suivantes, nous verra accompagner des personnages attachants à l'histoire plutôt compliquée. Deuil, chagrin, histoires de famille, d'amour, de rancoeur... Et toujours une ombre menaçante qui semble vouloir empêcher le retour de la quiétude. C'est simple, léger, sans surprise incroyable. Classique pourrait-on convenir. Mais parfaitement mené et bien capable d'émerveiller petits et grands. Car le scénario permet à des cinématiques tout simplement ravageuses de traduire, en quelques instants les enjeux. De comprendre les sentiments. De ressentir les joies comme les peines. Et comme la direction artistique n'a pas de véritable talon d'Achille, et que la bande-son ne déraille pas, avec autant d'arrangements rustiques intimistes que d'envolées plus symphoniques et vigoureuses, on peut dire qu'il y a matière à être aspiré, impliqué. Et il vaut mieux l'être vu l'ampleur de la tâche.
Qu'est-ce que Kena, ma gueule ?
Soyez-en assurés, c'est beau. Effectivement, ça tue la tronche avec des panoramas insolents et des effets de lumière éblouissants. Et sur PS5 c'est fluide dans les deux modes d'affichage, Performance (4K dynamique/60 fps) comme Fidélité (4K native 30fps). Et comment c'est miiiiiiignooooooon. Hum. Gardons quand même à l'esprit qu'un jeu se doit de dépasser ces seuls aspects. On n'aimerait pas que celui d'Ember Lab soit dans le même cas qu'un autre jeu commençant par K qui avait à l'époque une réalisation 24 carats... et un manque d'inspiration frustrant côté gameplay. Mais heureusement, Kena n'est pas Kameo. Sa 3D chatoyante se met au service d'une expérience mêlant exploration, plate-forme, action et réflexion où l'on ne s'ennuie pas vraiment. Il convient de tempérer un peu sur les intentions et l'exécution. De garder en mémoire les racines indépendantes et la taille du staff.
De fait, il faut savoir que la région à visiter apparaît plutôt réduite. Trois quêtes, donc trois environnements "seulement" (forêt, champs, montagne), même s'ils présentent une certaine variété d'intérieurs et d'extérieurs, avec pas mal de verticalité. Une rengaine clair pour l'objectif principal : aller chercher à chaque fois trois reliques avant de pouvoir libérer l'esprit, forcément corrompu et avec lequel il faudra en découdre dans une baston joliment orchestrée. Ces objets se trouveront toujours au bout d'un parcours exigeant de bien ajuster ses sauts (gare, le jeu ne fait preuve d'aucune miséricorde pour quelques millimètres, l'héroïne ne s'accrochant qu'à des corniches balisées), de frapper des cristaux dans un certain ordre, déplacer des statues, se balancer vers des fleurs comme à l'aide d'un grappin, user de bombes pour dresser des plates-formes pendant une durée limitée et tabasser de la créature à plus ou moins longue distance. Les situations différentes ne manquent pas - même si vous risquez de revoir les mêmes fréquemment.
J'vais te l'planter moi l'bâton
La structure est simple, sans volonté de révolutionner quoi que ce soit. Il en va de même pour les quelques distractions du monde ouvert - enfin, qui s'ouvre un peu plus après purification d'une zone - comme des stands de tir à l'arc éphémères ou des "collectibles" à dénicher un peu partout, dont certains pour soigner le village directement. Vous vous en doutez, le combat occupe une place importante dans Kena Bridge of Spirits. Votre bâton en mains, vous aurez fréquemment à guerroyer contre des grappes d'ennemis. Pour faire simple, on les comparera à du Dark Souls pour leur apparente simplicité - des combos assez courts et un besoin de jouer sur l'esquive régulièrement. Mais sans en oublier la dimension stratégique, vite primordiale. Suivant la faune qui nous fait face, il faut privilégier des méthodes alternatives au simple matraquage des boutons R1 (coup rapide) et R2 (attaque forte). Outre les améliorations déblocables, la maîtrise du timing du contre s'avère nécessaire. Tout comme la visée au tir à l'arc (avec slow-motion dans les airs et concentation en option), le jeter d'explosif ou la téléportation.
Et c'est peut-être là qu'on réalise ne pas avoir affaire à un jeu pour enfants, du moins à partir du mode de difficulté "normal". L'agressivité ennemie impressionne, autant que la caméra et le verrouillage exigent de la concentration dans le feu de l'action. Une erreur se paie cash. Surtout face aux mid-boss et boss bien plus résistants et puissants. Certains, par leur omnipotence pourraient bien vous aiguiller vers le mode Histoire, beaucoup plus souple pour les joueurs occasionnels qui n'éprouveraient que l'envie de suivre la trame sur une dizaine d'heures, sans chercher la performance. Néanmoins, bon à savoir : tout le monde pourra y trouver son compte.
Rot Stuff
Et tout le monde devrait craquer pour le plus gros atout de Kena Bridge of Spirits : les Rots. Une centaine de ces petits boules sur pattes sont à trouver. Leur utilité, en plus de vous faire fondre comme de la guimauve au moindre sourire ? Améliorer, par leur nombre, l'accès à de nouvelles manœuvres (meilleur bouclier, plus de flèches, frappe en pleine course...). Mais aussi vous aider à résoudre des énigmes. C'est cette armée grandissante de petits êtres, qui feront tantôt penser à des Pikmin, tantôt aux larbins d'Overlord, qui déplacera pour vous des éléments du décor, éradiquera les fleurs du mal, vous aidera à récupérer de l'énergie... Et vous conférera, une fois encore en combat, à condition d'avoir les jauges bien remplies, de quoi immobilier l'adversaire ou lui donner le coup de grâce.
Indispensables au gameplay et à son épanouissement, les Rots procurent beaucoup de bonheur par leur simple présence. Ils vous accompagnent en permanence, se manifestent de façon amusante, jouent le jeu du mode Photo sans problème. Les complétistes seront heureux d'apprendre que les dénicher tous demandera pas mal d'investissement et d'observation. Et qu'il en va de même pour les chapeaux, accessoires futiles qui permettront de leur donner des looks encore plus irrésistibles. Presque obligatoires, donc.